Pour le président de la Commission de la santé et des affaires sociales de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), ce n’est pas un hasard si la mise en place de l’identifiant unique tarde à se mettre en place. Il n’est pas le bienvenu pour ceux que la transparence qu’il implique dérange.
WMC: La Commission de la santé de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), que vous présidez, a récemment auditionné une délégation estonienne au sujet de la numérisation du système de santé et de la mise en place d’un identifiant unique dont la Tunisie cherche à se doter depuis plus de cinq ans. Pourquoi cette initiative ?
Dr Souheil Alouini : Au départ, c’était une initiative personnelle. L’Estonie est le premier pays au monde à avoir numérisé tout l’Etat. Au cours d’un récent voyage en Suède pour assister à un congrès médical, j’ai décidé de visiter l’Estonie par l’intermédiaire d’un député estonien que je connais déjà.
J’ai effectué cette visite –d’un peu plus de vingt-quatre heures- en juin dernier, durant laquelle j’ai vu ce qu’est un Parlement sans papier, et rencontré la directrice exécutive de l’Académie de la bonne gouvernance où on m’a présenté tout le système numérique de l’Etat estonien.
Cette visite m’a fait comprendre que le gouvernement numérique est un domaine vaste et qu’il faut bien commencer par quelque chose. Et la première question que j’ai posée à cette dame a été : «par quoi avez-vous commencé après être sorti de l’Union soviétique ?».
En fait, quelques années après l’accession de l’Estonie à l’indépendance, les Estoniens ont organisé un débat national sur la manière de mettre en place le système numérique. Ils ont alors réalisé qu’il leur fallait identifier tous les citoyens estoniens. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer l’identifiant unique. Tous les Estoniens ont été obligés par une loi d’en avoir un. Y compris les nouveau-nés, même lorsqu’ils sont mort-nés.
La deuxième étape –pas la première- a été la création d’une carte d’identité numérique. A partir de là, beaucoup d’autres systèmes sont par la suite venus se greffer sur l’identifiant unique. Des programmes ont même permis d’établir des passerelles avec les anciens systèmes afin de faciliter la récupération de leurs données.
Aujourd’hui, on compte en Estonie près de 2.000 services numérisés, au sein et à l’extérieur de l’Etat. Et ce qui a facilité cela, c’est qu’à un moment donné, les banques, publiques et privés, ont décidé de permettre à leurs clients d’utiliser leur carte d’identité numérique à la place de leur carte bancaire.
Donc, tout a commencé en Estonie avec cette petite chose qu’est l’identifiant unique, dont nous parlons chez nous depuis des années et que personne ne veut réaliser.
Quelles conclusions avez-vous tiré de ces échanges ?
Nous avons beaucoup parlé de e-santé –car nous avons un gros problème avec l’archivage des dossiers médicaux- et d’identifiant unique, qui relève également de la compétence de notre commission qui s’occupe aussi des affaires sociales. Comme vous le savez, chaque administration tunisienne a son propre identifiant unique. Il serait temps de les unifier en un seul.
Cela fait cinq ans que la Tunisie essaie de faire cela …
Beaucoup plus. Cela a commencé du temps de Ben Ali…
Vous dites que certains ne veulent pas de cet identifiant unique. Qui n’en veut pas et pourquoi ?
Quand on parle d’identifiant unique, on parle de transparence. Or, la transparence beaucoup de gens ne l’aiment pas. Car, qui dit transparence, dit traçabilité et redevabilité. L’identifiant unique permet de tracer tout le monde.
En fait, il y a «acquis» dans beaucoup d’administrations qui permettent de contourner la loi, de tirer profit des marchés. C’est-à-dire de la corruption. L’identifiant unique va mettre fin à ce système qui profite à quelques personnes, mais pas à tous. Car je pense que la plupart ne sont pas dans ce jeu-là.
En ce qui concerne l’identifiant unique, il n’y a pas de vrai blocage technique. Certaines administrations mettent en avant le fait qu’elles ont un système différent des autres comme entrave au passage à un identifiant unique. Ce n’est pas vrai. La technologie permet aujourd’hui de jeter des passerelles entre les différents systèmes. Il n’y a aucun problème à ce niveau. C’est une question de volonté.
La visite de la délégation estonienne a remis le dossier sur la table. Je sais que cela dérange. C’est un dossier que je suis. Je ne vais pas m’arrêter. Je vais pousser un petit peu avec le chef du gouvernement, une fois que cette histoire de remaniement se sera calmée. Je vais lui demander de nouveau de prendre le dossier en main.
Propos recueillis par Moncef Mahroug