Les Béjaois, toutes catégories confondues (hauts cadres administratifs, députés, représentants de la société civile, chefs d’entreprise, simples citoyens), n’ont jamais été aussi unis que grâce au pôle de compétitivité.Ils étaient, le 10 novembre 2019 un millier de personnes à se donner rendez-vous, à l’amphithéâtre de l’Ecole supérieure des ingénieurs de Medjez el Bab, pour débattre, avec des représentants du gouvernement et des organisations nationales (UGTT, UTICA, UTAP…), du blocage de l’étude du pôle de compétitivité Jinene Medjerda en dépit de la disponibilité d’un financement de 2,5 millions de dinars (MDT), fourni spécialement à cette fin sous forme de don par le Fonds arabe pour le développement économique et social (FADES) et d’un consortium de bureaux d’études sélectionnés pour mener l’étude de faisabilité technico-économique du projet.
Quid de Jinene Medjerda ?
Ce mégaprojet dont le coût est estimé à 2 milliards de dinars consiste à aménager, à 70 km de Tunis, sur 900 hectares de terres domaniales localisées sur les monticules du village Oued Zarga (gouvernorat de Béja), d’une nouvelle ville intelligente «smart city» autour d’une université, “College Town“.
Il s’agit de capitaliser en amont sur l’amélioration de l’enseignement, la formation et l’encadrement pour promouvoir des activités agricoles, agro-forestières et éco-touristiques avec en aval le développement d’industries agroalimentaires et biotechnologiques propres, ainsi qu’une station photovoltaïque flottante de 5 mégawatts, l’ensemble soutenu par des industries et services adaptés.
L’objectif stratégique est de conférer à la production agricole de la région une forte valeur ajoutée et de créer les conditions de restructuration et de transformation profonde de l’économie du nord-ouest à travers l’amélioration des compétences technologiques et de gestion des exploitations agricoles et l’introduction de nouveaux produits à haute valeur ajoutée à l’export.
Plus simplement, ce pôle de compétitivité à forte employabilité, développé dans le cadre d’un partenariat public/privé (PPP), à l’instar de la Société de promotion du lac de Tunis (SPLT), se propose de mettre la technologie au service de l’agriculture, d’accroître le chiffre d’affaires agricole, de créer à terme 24.000 nouveaux emplois directs et indirects dont un bon pourcentage d’ingénieurs et de gestionnaires qualifiés.
On comprend donc pourquoi les Béjaois tiennent particulièrement à ce projet.
Etat des lieux
Lancé depuis 2011, le projet dont l’étude de faisabilité a été confié, le 27 janvier 2017, aux termes d’un appel d’offres, à un groupement de bureaux d’études Ernest Young/SCET pour un forfait de 1,7 millions de dinars, et ce après approbation de l’appel d’offres et du contrat d’études par le ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale et par le donateur.
Seulement, après un début d’étude sans encombre pendant 4 mois et la consommation de l’ordre de 25% des travaux prévus par le contrat d’étude, le refus de transférer pour paiement de la première facture due à la signature du contrat a obligé le bureau d’études à suspendre le contrat (début juillet 2017).
Ni les manifestations de la société civile, ni les très nombreuses interventions des responsables régionaux et nationaux, ni la décision du chef du gouvernement (du 15 août 2017), ni les promesses du ministre du Développement en séance spéciale à l’Assemblée des représentants du peuple du 24 février n’ont permis de débloquer la situation du contrat depuis maintenant 15 mois.
Il semble qu’un lobby administratif au sein des ministères de l’Agriculture et du Développement (qui serait derrière ce blocage) estime que la construction de ce pôle de compétitivité menacerait le barrage Sidi Salem et risque de polluer ses eaux.
Mais qu’en pensent les experts ?
Selon Marouen Taleb, ingénieur-chercheur, le diagnostic territorial établi par l’étude du schéma directeur d’aménagement et de développement du gouvernement de Béja -étude élaborée par la Direction générale de l’aménagement du territoire- a identifié un ensemble d’opportunités et d’avantages favorables à la faisabilité de Jinene Medjerda.
Parmi ces facteurs, il cite un milieu physique diversifié mais favorable malgré certaines vulnérabilités, un faible dynamisme socio-économique généralisé traduit par le niveau des investissements, la dynamique démographique, la rareté des stratégies sectorielles régionales.
Ce diagnostic fait état également d’autres avantages à valoriser : une situation géographique de carrefour régional peu valorisée malgré une bonne densité routière, un patrimoine historique et archéologique insuffisamment valorisé, un milieu urbain peu attractif alors que le milieu rural est répulsif, et la proximité du Grand Tunis qui ne profite jusque-là qu’à la délégation de Medjez El Bab.
Pour lui, le message est des plus clairs. Pour peu que ce pôle de compétitivité voie le jour, les Béjaois n’auront plus à regarder dans la direction de Tunis ni à tourner le dos à Béja.
Le relayant, Sami Zaoui, représentant du consortium des bureaux d’études qui a entamé l’étude de faisabilité du projet avant de la suspendre, évoque d’autres atouts qui peuvent être valorisés par le canal de ce mégaprojet. Parmi ces derniers figurent une région riche en ressources humaines et naturelles et un potentiel sous-exploité (faible valorisation des ressources et rareté des projets de développement).
Mieux, l’expert voit dans le pôle de compétitivité de Jinene Medjerda «un concept de développement régional inclusif et durable pour booster le développement dans la région économique du nord-ouest».
Il devait citer, ensuite, des projets de pôle de compétitivité similaires qui ont réussi à travers le monde et dont Jinene Medjerda pourrait s’en inspirer. Il s’agit entre autres de l’Université of California aux Etats-Unis (production agricole et forestière), agri-ouest innovation en Midi Pyrénées et Aquitaine en France (agriculture et agro-industrie), centrale solaire flottante de Kyocera dans le sud-est de Tokyo au Japon (la construction d’un parc solaire flottant de 180.000 m2 sur la surface du plan d’eau) ; la région de Tyrol Italie (activité agro-touristique…) et Green city à Freiburg en Allemagne, un site qui concilie entre l’écologie «douce» et l’économie «dure».
Appui au projet des organisations nationales et de la société civile
Dans leurs interventions, les représentants des organisations nationales, en l’occurrence, Ali M’barki (SG adjoint de la centrale syndicale), Samir Majoul (président de l’UTICA) et Naceur Amdouni (président de l’Union régionale de l’agriculture et de la pêche de Béja), se sont engagés à parrainer le projet, à le soutenir et à faire pression sur le gouvernement pour l’amener à débloquer la situation.
Lors du débat, les représentants de la société civile ont déploré, à gorge déployée, la tendance de l’administration à suspendre l’étude de faisabilité du projet alors que toutes les conditions sont réunies pour l’effectuer dans de bonnes conditions (financement…).
Ils se sont interrogés sur les intentions réelles de lobbys administratifs qui ont condamné la faisabilité du projet alors que les études ne se sont pas encore prononcées sur la faisabilité ou non dudit projet.
Le débat s’est clamé à la fin et s’est achevé par des propos sages et pragmatiques dont ceux d’Omar El Behi, ministre du Commerce, qui assistait à ce rassemblement en tant que fils de la région. Tout en s’engageant à tout faire pour refaire démarrer les études, il a appelé toutefois les initiateurs du projet à faire preuve de flexibilité et d’accepter un changement du site si jamais l’étude l’estime nécessaire.
Au final, nous estimons que les Béjaois sont unis autour de ce projet. Ils sont déterminés à défendre, par tous les moyens, leur droit de rêver et de disposer un jour d’un pôle de compétitivité qualitatif qui ne manquera pas de tirer par le haut leur région.
A suivre : Tendances régionales – Jendouba : La région ne veut plus tourner le dos ni à la mer ni à l’Algérie
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