Sous d’autres cieux, les monuments historiques sous leurs différentes formes, qu’il s’agisse d’immeubles ou d’objets mobiliers, ont un statut particulier et sont soumis à un statut juridique particulier destiné à les protéger, du fait de leur intérêt historique, artistique et architectural.
En Tunisie, c’est le dernier souci des «Arpéistes» complètement déconnectés de l’histoire et de la civilisation du pays. Pire, des députés qui tiennent à gommer cette histoire pour qu’elle corresponde à l’image qu’ils veulent du pays. Un pays «bédouinisé» à souhait !
Ainsi, la Commission de l’industrie, de l’énergie, des ressources naturelles, des infrastructures et de l’environnement, présidée par Amer Larayedh (Ennahdha) a adopté, vendredi 11 janvier, plusieurs articles de loi concernant les bâtiments délabrés, au nombre de 5.000 selon l’Administration publique, dont un autorisant les maires à les démolir y compris ceux datant de l’ère coloniale ou ceux sis dans les médinas. Ce qui revient à dire que dans un pays riche en monuments et en édifices historiques comme la Tunisie et où malheureusement les ministères de la Culture successifs depuis l’indépendance n’ont jamais procédé au dénombrement et à la classification de ces bâtiments, nous allons assister à l’effacement d’une bonne partie de notre histoire.
Pire, la loi prévoirait, entre autres, que ces bâtiments soient cédés à des investisseurs locaux ou étrangers.
Attendons-nous donc à voir toutes les bâtisses historiques jalonnant l’Avenue de la Liberté, Habib Bourguiba, Rue de Palestine et des centaines d’autres partout sur le territoire national bradées ou vendues par les municipalités, chacune suivant le nombre dont elle dispose et remplacées par d’autres à la «Dubayote» ? Il faut reconnaître que les prochaines élections avancent à grands pas et que les municipalités occupées dans leur grande majorité par le parti islamiste doivent s’y préparer comme il se doit.
Quant à la reconnaissance de la valeur patrimoniale de tous ces édifices soumis désormais à l’appréciation des collectivités locales, il ne faut surtout pas s’y attendre lorsque nous avons déjà été témoin de la destruction délibérée de vestiges romains et celle poignante des mosaïques ornant l’entrée du Belvédère. Suite à ces actes hideux dénoncés par la société civile, les responsables locaux ont prétendu ou ne pas être au courant, ou que les exécutants se sont trompés de «cibles» (sic).
Que l’on transmette l’art et le savoir aux générations à venir est la dernière des préoccupations des nouveaux décideurs de la Tunisie ! Le projet de loi sur la démolition des bâtiments (5-2018), dont quelques articles votés par la Commission de l’énergie, de l’Industrie, l’environnement et de l’infrastructure où plus de la moitié des membres récalcitrants à son vote étaient absents et en présence d’une délégation apparemment «persistante» du ministère de l’Equipement, sera très bientôt soumis à l’approbation de l’ARP en plénière. Les présents ont estimé très secondaire l’importance historique des bâtiments dès l’instant où il y a risque d’effondrement.
La réhabilitation et la rénovation sont des termes inconnus par les membres de la Commission qui est revenue à la charge malgré la résistance et la lutte acharnée de l’Association de sauvegarde de la Médina.
Zoubeïr Mouhli, président de l’ASM de Tunis, dénonce ce «carnage» de notre patrimoine dans une interview publiée récemment sur le magasine Jeune Afrique. «Cette loi considère les édifices du patrimoine comme des bâtiments ordinaires sans intérêt et recourt facilement à la démolition tout en déléguant aux municipalités la résolution des problèmes dont le relogement et le foncier… La vraie question est comment a été fait le recensement des 5.000 édifices, par qui et selon quels critères ? Nul ne le sait. Les institutions concernées n’ont pas été consultées. Le projet écarte les architectes et prévoit de confier les tâches à des ingénieurs ou des bureaux d’études».
Et c’est peut-être là où le bât blesse ! Quels seront les critères de choix de ces bureaux ? Sont-ils réellement qualifiés pour juger de la préciosité d’un édifice historique ? Notre héritage architectural risquerait, selon M. Mouhli, de tomber entre les mains des spéculateurs et des lobbies de l’immobilier, très forts du reste.
Zoubeïr Mouhli déplore que l’Etat s’arroge le droit de décider du sort d’un patrimoine classé par l’UNESCO… en infraction avec justement le code du Patrimoine. Ce qui n’est pas mentionné par la Commission qui estime que les articles de loi adoptés à ce jour sont en conformité avec le code.
La meilleure chute pour cet article à propos du déclenchement du massacre à la tronçonneuses de nos bâtiments historiques, c’est le commentaire de Aziza Dargouth, sociologue et consultante auprès de nombre d’organismes internationaux : «Les dérives de cette décentralisation au niveau des communes. Quand les plans d’aménagement urbains sont confiés aux spéculateurs et ingénieurs. Notre patrimoine est entre des mains incultes».
Amel Belhadj Ali