Le rapport d’évaluation de l’état d’émergence économique des pays africains vient d’être publié par l’Institut de l’émergence à Dakar au Sénégal. Selon ce rapport, tous les pays à faibles revenus ou à revenus intermédiaires, dont la capitalisation boursière demeure relativement modeste comparée aux marchés financiers des pays développés, peuvent aspirer au titre de marché émergent… On y estime que l’émergence économique constitue une transition décisive vers la convergence et le développement.
Qu’en est-il de la Tunisie dans cet Indice synthétique d’émergence économique (ISEME) ? Celle que Hatem Karoui, conseiller à l’export, décrivait dans un article publiée en novembre 2010 comme étant : «Un nouveau dragon». L’éloge est plus que significative, expliquait l’auteur, car celui qui décrivait ainsi notre pays n’était autre que le Français Pascal Lamy, alors directeur général de l’Organisation mondiale du commerce.
8 ans après, la Tunisie ne figure plus en haut du palmarès économique de l’Afrique. La machine économique a été malmenée et les réformes tardent à venir. Mais comme l’expliquait à l’époque M. Karoui, pour s’imposer à l’échelle régionale et internationale, il faut consentir des investissements en devises destinés à renforcer l’appareil exportateur et rationaliser la gestion des importations. Comment le faire aujourd’hui avec un dinar en pleine débâcle, et des importations faramineuses et qui plus est proviennent de pays protégés par des lobbys politiques qui sévissant aussi bien à l’ARP qu’au gouvernement ?
Comme le stipule le rapport cité plus haut, avons-nous, depuis 2011, pris en compte dans nos politiques économiques un autre impératif de la mondialisation : soit la transformation structurelle de l’économie ? Un changement de la composition sectorielle du produit intérieur brut ? Avons-nous redéfini la part du secteur primaire en termes d’emploi et de production allant à l’industrie et à des services modernes ou encore œuvré pour une plus grande utilisation des technologies et une meilleure productivité dans tous les secteurs ?
Ne réalise-t-on pas qu’après tous les efforts consentis par l’Etat tunisien depuis les années 70 pour sortir du secteur tertiaire et en prime le commerce et les services au sens basique du terme pour migrer vers un secteur secondaire performant et consolider le secteur primaire, nous sommes revenus aujourd’hui 50 ans en arrière ?
La Tunisie, qui s’est pourtant dotée de firmes performantes dans le textile, les composants automobiles, les industries manufacturières, l’aéronautique et les hautes technologies, est en train de perdre tous ces acquis à cause d’une absence totale de stratégies économiques concrètes et de l’incapacité du gouvernement à entamer sérieusement des réformes structurelles. Conséquence, elle perd pied à l’international.
La Tunisie est-elle encore un pays émergent en Afrique ?
Moubarek Lo, auteur du rapport d’évaluation économique de l’émergence des pays africains, a établi un Indice synthétique d’émergence économique (ISEME) ; un indice qui s’appuie sur «les données de base provenant du World Development Indicators de la Banque mondiale et de la CNUCED.
Selon cet indice, la Tunisie a régressé de manière significative dans son insertion dans l’économie mondiale. Elle est classée 33ème en Afrique (sur 54 pays) pour ce qui est de la richesse inclusive, 9ème s’agissant du dynamisme économique et cadre macroéconomique sain, 50ème en transformation structurelle -c’est dire les réticences- et 28ème dans l’insertion à l’économie mondiale. Sur cinq ans, on a observé une nette régression des IDE et la stagnation des exportations.
La législation économique depuis 2011 a traversé l’une des ères les plus noires de l’histoire de la Tunisie. On y a instauré la grève comme droit constitutionnel sans constitutionnaliser le droit de travailler. On y a introduit des articles de lois visant à protéger les “énormes richesses naturelles“ de la Tunisie (sic) et qui n’ont fait que repousser les investisseurs surtout dans le secteur des hydrocarbures.
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Résultat : la Tunisie, qui importait tout juste 20% de ses besoins en pétrole, en importe aujourd’hui 60% à cause des baisses substantielles de la production nationale et de la politique inquisitoire de l’ARP à chaque fois qu’il s’agit d’investir dans ce secteur, sans oublier les campagnes sales, bêtes ou méchantes, telles «Winou el pétrole» ou encore les grèves sauvages et insensées dans les régions du sud du pays où il y a des exploitations pétrolières.
Les compagnies pétrolières internationales –certaines en tout cas- boudent aujourd’hui la Tunisie, et le dinar dégringole.
Le phosphate, quant à lui, est au cœur de l’un des plus grands scandales politico-économiques de la Tunisie. Il est au cœur d’un jeu d’intérêt néfaste entre des acteurs de la vie publique possédant d’énormes intérêts privés à Gafsa, ce qui a pour conséquence : la paralysie des moyens de transport du phosphate à chaque fois que les principaux intéressés jugent leurs entreprises menacées.
Il n’y a pas que la CPG et le Groupe chimique qui en payent les frais, des privés qui ont investi gros dans des activités étroitement liées au groupe Chimique payent le prix fort de leur courage et de leur volonté d’investir dans leur pays.
Et le plus triste dans ce que vivent la Tunisie et les Tunisiens aujourd’hui est que le plus grand blocage à un rebond économique est politique. Aucune restructuration, aucune avancée au niveau des réformes ou encore des investissements ne se fera dans un environnement politique délétère où les experts parlent, expliquent et proposent, mais les politiques entendent, n’écoutent pas et ne décident pas parce que leurs intérêts sont ailleurs et surtout parce qu’à quelques mois des prochaines élections, ils laisseront au prochain gouvernement le soin de sévir.
Le rêve d’un gouvernement à la mesure de la Tunisie pourrait-il se concrétiser un jour ?
Amel Belhadj Ali