Lors de leur réunion, lundi 21 janvier 2019, les membres du bureau de l’Assemblée des représentants du peuple sont revenus sur la violence des échanges verbaux ayant marqué la plénière du 16 janvier et qui ont porté atteinte à la dignité des parlementaires.
Ils ont déclaré rejeter tout débordement de nature à ternir l’image de l’institution parlementaire, même s’il est vrai que les différends politiques constituent un indicateur de bonne santé démocratique.
Le bureau de l’ARP invite tous les parlementaires à œuvrer ensemble afin que ces écarts ne se répètent plus.
La véhémence de ces échanges a remis sur le devant de la scène la question de l’amendement du règlement intérieur de l’ARP et l’urgence de l’élaboration d’un code de déontologie du député.
Elle a également montré que la “liberté d’expression”, dont bénéficient les députés, peut représenter parfois une arme à double tranchant.
Certains observateurs de la chose politique se sont même posé des réflexions sur la question de la liberté d’expression et ses limites, estimant toutefois que les débordements et les échanges houleux entre les députés sont le résultat naturel du climat de liberté “inattendu” qu’a connu le pays après 2011.
Un climat qui ne justifie aucunement le recours à la violence verbale, estiment la grande majorité des parlementaires.
Une journée d’étude sur le thème “Code d’éthique et de déontologie parlementaire” a été organisée par l’Assemblée, en avril dernier, avec pour objectif l’élaboration d’un code d’éthique pour les députés qui rendrait la confiance aux citoyens dans l’action parlementaire.
Interrogés sur la nécessité de l’élaboration de ce code d’éthique et de l’amendement du règlement intérieur, des députés de différentes sensibilités politiques ont fait observer que la Tunisie est l’un des rares pays qui ne disposent pas encore d’un code d’éthique parlementaire.
Le député Riadh Jaïdane, qui avait présenté, début 2016, une initiative pour l’élaboration d’un code d’éthique parlementaire, a déclaré son intention de proposer, dans les prochains jours, un projet de loi intitulé “Transparence et moralisation de la vie politique” qui concerne les députés, les membres du gouvernement et les partis.
Ce projet de loi vise à mettre en place un ensemble de valeurs permettant de définir un comportement éthique loin de tout dérapage scandaleux.Pour lui, l’amendement du règlement intérieur est indispensable.
Le temps est venu, a-t-il dit, de s’attaquer à “la démocratie de palabre” et au simulacre de la présence en plénière qui ne vise qu’à améliorer “la mise en scène cathodique”.
Le constat est le même pour la députée du bloc de la Coalition nationale, Bochra Belhaj Hmida, qui soutient résolument la mise en place d’un code déontologique et l’amendement du règlement intérieur du parlement de manière à garantir des sanctions strictes pour les députés.
“Les parlementaires qui tiennent de tels agissements, quelles que soient leurs appartenances politiques, ne respectent ni leurs collègues, ni leurs électeurs. Tout leurs faits et gestes devant les caméras relèvent du show. Dans les antichambres du parlement et les réunions privées, personne ne pense aux problèmes du simple citoyen”.
Belhaj Hmida estime, dans ce sens, qu’il est indispensable de hausser le seuil des sanctions dans le règlement intérieur. Pour elle, il est question entre autres de priver les députés de missions à l’étranger et de leur droit à la prise de parole dans les plénières et de penser à d’autres mesures disciplinaires pour instaurer des règles déontologiques entre les parlementaires.
Pour sa part, le député du bloc du mouvement Ennahdha, Néji Jmel, considère que ces agissements sont d’autant plus regrettables, qu’ils affectent les téléspectateurs. “Il est essentiel de rappeler à chaque fois l’importance du dialogue bienveillant et d’éviter toute tension inutile. Par ailleurs, on ne peut pas imposer des manières de conduite et des principes déontologiques aux députés, ni imposer des sanctions aux députés qui enfreignent le contrat déontologique, ça serait une chimère”, a laissé entendre Jmel.
Le député a fait observer que le règlement intérieur en vigueur au parlement comporte un régime de sanctions, lesquelles ne sont pas appliquées et n’ont aucune utilité.
La députée du groupe Nidaa Tounes, Khansa Belhareth, s’est inscrite en faux contre la mise en place d’un code déontologique pour les députés, arguant à cet effet que le respect d’autrui est une question d’ordre personnel et qu’il ne peut engager les parlementaires que ce soit par ledit code ou par des mesures de sanctions plus sévères.
Le député Zied Lakhdhar, du groupe Front Populaire, considère que les contestations de certains membres de son groupe lors de la plénière du 16 janvier constituaient une réaction sur le ravissement du président de l’ARP à donner la parole, indiquant que “ce qui se passe dans les coulisses et derrière les portes closes est encore plus affligeant”.
Il aurait été plus judicieux, a ajouté Lakhdhar, d’interdire le “tourisme parlementaire” dans le règlement intérieur de l’ARP, ainsi que “l’instrumentalisation par le chef du gouvernement des appareils du pouvoir exécutif dans le but de former un bloc de soutien au sein de Parlement”.
Pour lui, le Parlement a délaissé son rôle de superviseur au profit du gouvernement, devenant ainsi un pouvoir assujetti au pouvoir exécutif.
Le président de l’ARP, Mohamed Ennaceur, s’est vu contraint, le 16 janvier, de suspendre la séance plénière suite à des tensions entre les députés du Front Populaire et de la Coalition nationale, et ce lors du débat consacré à la grève générale prévue dans la fonction publique et le secteur public.
Le règlement intérieur de l’ARP stipule dans ses articles 130, 131, 132, 133 que: “A l’exception du président de séance, aucun membre ne peut interrompre un orateur, ou lui adresser des remarques. Aucun membre ne peut prendre la parole sans y être autorisé par le président de séance. Le président de la séance rappelle le règlement à tout député qui enfreint le règlement ou le perturbe ou qui prend la parole sans autorisation du président de la séance.
Le président de la séance adresse un avertissement à tout député (…) qui a proféré insulte, diffamation ou menace à l’encontre d’un ou de plusieurs membres de l’Assemblée.
(…) Si le membre ne se conforme pas aux mesures prises à son encontre en continuant de perturber le travail de l’Assemblée ou en faisant usage d’une quelconque forme de violence physique au cours d’une séance plénière ou en adoptant un comportement dégradant pour l’Assemblée ou le président de la séance, le Bureau de l’Assemblée peut, sur proposition du président de séance, le priver de la prise de parole sans pour autant lui retirer son droit de vote ; cette privation ne pouvant excéder trois séances consécutives, durant lesquelles le député indiscipliné est considéré comme absent. Le Bureau prend sa décision à la majorité de ses membres
(..) Le président de séance peut ordonner l’évacuation de toute personne troublant l’ordre à l’intérieur de la salle (…) Si le déroulement normal des travaux est perturbé pour une quelconque raison, et que le Président n’est pas en mesure de rétablir l’ordre, il peut ordonner la suspension de la séance. Si la perturbation continue après la reprise des travaux, la séance est reportée à une date ultérieure”.