Les informations publiées récemment dans des journaux à propos d’une possible implication des frères Daimi dans des affaires de financement occulte et dans lesquels on a cité la Commission tunisienne d’analyses financières (CTAF) ont suscité de l’émoi chez le grand public et l’indignation de la Commission qui a fait vite de diffuser un communiqué démentant l’information, arguant, à juste titre, qu’elle ne rend jamais publics ses rapports et encore moins les affaires qu’elle soumet au Pôle judiciaire financier et économique.
La CTAF, organisme sous tutelle de la BCT, peut enquêter à propos des affaires relatives au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme, mais n’a aucun pouvoir sur les contrevenants. Tout ce qu’elle peut faire c’est envoyer les dossiers au Pôle judiciaire.
Nous aurions compris que cette commission soit privée de l’auto-saisine dans un régime dictatorial lorsque tous les pouvoirs étaient aux mains du président de la République, mais pourquoi aujourd’hui alors que la BCT est une institution autonome dont le gouverneur ne peut exercer qu’après avoir eu la bénédiction de l’ARP ? Pourquoi alors que toutes les garanties de neutralité et d’intégrité requises sont là pour rassurer les Arpéistes ?
Le pire est que la Tunisie n’a jamais vu et vécu autant de corruption, de malversations et d’actes illicites dans tous les secteurs porteurs, et n’a jamais autant souffert jusqu’à il y a 7 ans et successivement avec une Constituante et une Assemblée obsédées par la lutte contre la corruption et des députés qui ne passent pas un jour sans en parler. C’est l’ironie du sort ou peut-être la logique du «étant moi-même impliqué, je dois crier plus fort que les autres pour clamer une morale dont je ne peux pas me targuer» (sic).
Du temps même de ce fameux «dictateur», le nom de la Tunisie ne figurait pas sur la “liste noire“ de l’Europe, et des instructions orales étaient données aux banques par la BCT pour qu’elles transmettent tout financement controversé à la plus haute autorité monétaire du pays. Il est d’autant plus vrai que les ONG des droits de l’Homme en ont souffert puisque leurs financements venaient de l’international et qu’à cause de ces instructions, ils pouvaient être bloqués, le point positif de ces mesures étaient que la souveraineté nationale a été préservée jusqu’en 2011.
Aujourd’hui, nous ne savons pas quand la Tunisie sortira de la “liste grise“ de l’Union européenne et à quel moment le GAFI (Groupe d’action financière internationale) révisera ses positions par rapport à notre pays.
En 2014, et sur la demande de Habib Essid, alors chef du gouvernement, on a démarré la réalisation d’une étude de terrain pour une évaluation des risques de blanchiment d’argent de financement du terrorisme sur la Tunisie. L’opération a été conduite par la CTAF en partenariat avec les ministères de la Justice et de l’Intérieur.
Par cette évaluation, la Tunisie se place en tant que premier pays dans la région MENA à procéder elle-même à l’identification des phénomènes cités plus haut et qui menacent la sécurité de l’Etat.
Au bout de 30 mois de recueil des informations, on a dénombré 460.000 dossiers soumis à la justice, 2.000 comptes bancaires et des milliers d’opérations bancaires douteuses dont le montant a atteint les 10 milliards de dinars. Les concernés se trouvent dans les secteurs public et privés et la société civile.
Les risques identifiés sont les suivants :
-La corruption, l’évasion fiscale et la cybercriminalité surtout par le hacking des comptes bancaires à l’étranger et qui constituent l’une des principales menaces et des risques élevés de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
-L’usage du dinar et des devises par des associations et des sociétés de commerce international non résidentes dans des opérations touchant aux secteurs immobilier et aurifère et d’autres à hauts risques, ce qui constitue une sérieuse menace pour la sécurité nationale.
-Le manque de moyens humains et technologiques dans le secteur bancaire, ce qui facilite la menace du blanchiment d’argent et de financements occultes et la nécessité de prendre des mesures drastique en matière de surveillance et de contrôle des opérations bancaires.
Et malgré l’existence d’un impressionnant arsenal réglementaire et procédural, nombreuses sont les faiblesses qui rendent possibles les opérations de blanchiment et de financement du terrorisme.
La commission chapeautée par la CTAF en cite :
-la méconnaissance des acteurs concernés des dangers du blanchiment d’argent ;
-l’inefficience des mesures coercitives et des opérations de contrôle des mauvaises pratiques ;
– l’absence d’une coordination réelle entre les différentes parties agissantes du système ;
– les capacités d’analyse insuffisantes sur les aspects liés à la criminalité financière des opérateurs publics et privés ;
– l’inexistence d’une institution spécifique chargée de contrôler les opérations financières illicites dans le secteur de l’immobilier, la Poste tunisienne et les bijoutiers ;
– les retards enregistrés dans la condamnation par les autorités judiciaires des auteurs de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
Quoi de plus normal lorsque le Pôle judiciaire plie sous le nombre de dossiers de corruption venant de toutes parts et lorsque nous parlons aujourd’hui de partis au pouvoir impliqués dans ces opérations et qui ont la capacité de freiner l’avancement de ces dossiers en justice.
Conclusion, si les députés n’étaient pas autant amoureux d’une fausse démocratie et des grands titres sur les droits de l’Homme, peut-être qu’aujourd’hui la CTAF aurait eu son auto-saisine et qu’elle aurait pu trancher dans nombre de dossiers relatifs aux opérations financières illicites au lieu de transmettre automatiquement au Pôle judiciaire des dossiers dont nous n’entendons même pas parler. Des dossiers qui, face au silence de la justice, confortent leurs acteurs dans leurs sentiments d’impunité et les encouragent indirectement à poursuivre leurs activités criminelles qui menacent la souveraineté nationale et la sécurité de l’Etat.
Amel Belhadj Ali