Porteurs de ses espoirs de changement et d’amélioration de son vécu, les représentants du peuple sont loin d’avoir été à la hauteur. Explications.
Les députés aggravent encore leur cas aux yeux des Tunisiens par l’image qu’ils leur renvoient lors des débats. Qui assez fréquemment tournent au pugilat, au sens figuré mais aussi, parfois, propre.
Les échanges musclés, les insultes entre députés et à l’adresse du président de l’ARP et les tentatives d’agressions physiques observées mercredi 16 janvier 2019, lors de la plénière consacrée à la discussion des projets de lois organiques relatifs à la création du programme «Amen Social» et au budget, et provoquées par les députés Fayçal Tebini et Jilani Hammami, l’illustrent parfaitement.
Mais les échanges au vitriol et même les bagarres, assez fréquentes au cours des dernières années, ne constituent qu’une facette de la réalité des relations entre les députés, assure l’un d’entre eux. «Les rapports sont très corrects, voire cordiaux. Les députés peuvent s’asseoir autour d’une table et discuter calmement de choses et d’autres. Mais hors caméra».
D’ailleurs, deux mondes opposés cohabiteraient au Parlement. Sous la coupole, les députés ne se font pas de cadeaux, et à la cafétéria, ils rivalisent de bises et d’accolades.
Toutefois, si lourdes de conséquences soient-elles, les défaillances personnelles des députés ne constituent pas les seules entraves au plein et bon exercice par l’Assemblée parlementaire de son rôle. Le Parlement lui-même, en tant qu’institution, est loin d’être irréprochable. Notamment en matière de gestion.
Dans son trentième rapport annuel, la Cour des Comptes avait révélé de nombreux écarts de conduite dans le domaine financier sous l’Assemblée nationale constituante (2011-2014).
Ceux-ci vont de l’octroi aux députés d’une prime couvrant leurs frais de séjour en hôtel et de restauration -alors qu’ils sont déjà pris en charge par l’Assemblée- à la violation du règlement en matière de rémunération des heures supplémentaires des fonctionnaires du Parlement –dont une centaine ont profité alors qu’ils étaient en congé-, à l’octroi de manière indue de voitures de fonction aux deux vice-présidents de l’ANC, et à la violation de l’obligation légale d’appel à la concurrence dans les appels d’offres, etc.
Néanmoins, si l’action de l’ARP laisse à désirer, la faute n’en incombe pas aux seuls députés. Sa mission est aussi entravée par le cadre dans lequel elle opère.
La Constitution de janvier 2014 stipule que l’Assemblée doit jouir de l’autonomie administrative et financière. Or, cinq ans après c’est loin d’être le cas. Un projet de loi y afférent a bien commencé à être discuté en 2015, mais il est tombé depuis dans l’oubli.
Un député accuse, sous le sceau de l’anonymat, la présidence de la République de bloquer l’adoption de ce texte par le biais du président de l’ARP, Mohamed Ennaceur, connu pour être très proche du chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi, parce qu’elle ne veut pas d’une Assemblée forte. Un membre du staff du «premier» des députés rejette cette accusation, du bout des lèvres.
Principal pôle de l’exécutif, le gouvernement non plus ne facilite pas la tâche des députés. Certes, il a élaboré un projet de nouvelle loi organique du budget (LOB) supposé renforcer le rôle du Parlement dans le processus budgétaire. Mais ce texte n’emporte pas l’adhésion de l’Observatoire tunisien de l’économie, un think tank créé en 2012, qui estime qu’il est loin de «rompre avec la pratique faisant de l’Assemblée élue une simple chambre d’enregistrement du gouvernement».
Mais le Parlement manque aussi de moyens. Par exemple, les députés n’ont pas d’assistants parlementaires. Seuls les groupes parlementaires ont droit à deux conseillers chacun, «mais ils assurent surtout des tâches administratives», observe Dr Souhail Alouini. «Les députés travaillent seuls. Nous faisons nous-mêmes les recherches en rapport avec l’élaboration d’un projet de loi et il y a parfois des erreurs, car nous ne sommes pas juristes», ajoute le président de la Commission de la santé et des affaires sociales.
Au bout du compte, l’ARP risque fort, à la fin de l’année, de clore son mandat avec un bilan encore plus négatif que celui de l’ANC. Celle-ci n’avait pas pu examiner près de 70 projets de lois. A moins d’une accélération de son rythme de travail au cours des mois à venir, l’ARP va en faire hériter près d’une centaine à la prochaine assemblée.
Moncef Mahroug
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