“Les paroles de regret ne suffisent pas à exprimer ma peine, pour la perte d’une faune qui a été éradiquée depuis la moitié des années 80. Le désert du gouvernorat de Tozeur est, aujourd’hui, quasiment dépeuplé, sauf de quelques oiseaux, dont l’outarde houbara qu’on trouve dans les régions nord du gouvernorat de Tozeur… jusqu’à la région de Ben Guécha, aux frontières algériennes”, soupire Mohamed, ancien garde forestier à Tozeur.
Ce garde, qui a passé trois décennies à se déplacer dans le cadre de son travail, entre les délégations du gouvernorat et à essayer de préserver autant que possible animaux et oiseaux, a déclaré à l’agence TAP que “la récente visite d’un groupe princier arabe n’est pas la première et ne sera pas la dernière, étant donné que la violation de la nature continue depuis des décennies, au su et au vu des autorités régionales et centrales”.
A rappeler que la société civile tunisienne a dénoncé une partie de chasse menée dernièrement par un groupe de Qataris venu faire de la chasse à Tozeur.
Pour Mohamed, “il y a plus de deux décennies, les régions nord et est de Tozeur recelaient des gazelles, des perdrix, des outardes houbara, des lapins sauvages et des fennecs. Les gazelles étaient visibles au début des années 90, et c’est pour cela que le ministère de l’Agriculture avait envisagé de créer le parc national de Dghoumès pour préserver cette faune”.
Les possibilités de braconnage et l’absence de sensibilisation quant à l’importance de la nature sont les principales causes de l’afflux de délégations touristiques et d’émirs arabes, de personnalités influentes de la région, des responsables administratifs et sécuritaires, qui ont occupé des postes de responsabilité dans la région, entre les années 90 et 2000…
Le garde forestier affirme que “cette situation n’a changé qu’en 2011, lorsque la direction régionale des forêts a pu sanctionner les braconniers, quelles que soient leurs positions et leurs fonctions. C’est ainsi qu’entre 2012 et 2016, des faucons et des armes utilisés dans la chasse ont été confisqués et des amendes appliquées, lesquelles ont généré des revenus respectables à la direction”.
Il a rappelé qu’auparavant, “des gens de pouvoir payaient des personnes pour reconnaître les endroits où nichent les oiseaux dans les régions de Oudia, Edhafria, Oued Sehili, les zones de repeuplement et Ben Guecha…”.
D’après lui, “ces campements bénéficiaient d’une protection sécuritaire et des autorités régionales et centrales, ce qui confirme la complaisance de l’autorité à l’époque. Même certaines agences de voyages et de personnes ordinaires facilitaient la mission de ces délégations”.
Abdelhafidh Omri, un habitant de la région de Kechmou (délégation de Hamet Djerid), qui connaît bien les chasseurs et les visiteurs de sa région, a indiqué que “longtemps les bergers ont servi de guides aux chasseurs, pour leur faire connaître les endroits de reproduction de certains oiseaux”.
Selon lui, le nombre d’outardes houbara dans la région ne dépasse pas les 10. Cet oiseau privilégie les régions où les arbres restent vivaces tout au long de l’année, et la terre est caillouteuse. Il se reproduit autour de l’Oued Sehili et Chott Gharsa, à l’est jusqu’au frontière algérienne et il niche dans les dunes.
Mohamed Dabbabi, directeur du service des forêts a Tozeur, a indiqué que les efforts déployés depuis 2011 ont permis de saisir des faucons et de dresser des procès-verbaux à l’encontre de braconniers étrangers, et de restreindre le champ d’action des collaborateurs avec ces derniers, parmi les habitants de la région.
Il a fait savoir que l’outarde houbara a pu se multiplier récemment, au nord du gouvernorat de Tozeur, grâce à l’interdiction de sa chasse, durant de nombreux années et une surveillance plus étroite des chasseurs.
Pour certains activistes de la société civile, l’éradication de braconnage ne peut se faire que par des lois répressives et en déléguant les prérogatives d’octroi ou non des permis de chasse aux autorités et services régionaux, surtout lorsqu’il s’agit de personnes étrangères.
Le gouverneur de Tozeur, Salah Mtiraoui, qui a, dans un premier temps, nié avoir connaissance de cette question, a justifié ces cas de chasse illégale par le fait “qu’il n’y a pas de prérogatives pour le gouverneur sur cette question”.
Il a assuré que “l’octroi de permis se fait au niveau central”, tout en reconnaissant que “le séjour de l’émir arabe et de la délégation que l’accompagne était connu”.
Il considère que “la présence de Qataris et de Koweïtiens dans la région pour faire de tourisme et de la chasse n’est pas une atteinte à la souveraineté de l’Etat étant donné que leurs visites étaient connues des appareils de l’Etat”.