Dans cette deuxième partie de l’interview, Béchir Trabelsi explique les stocks de réserves, l’ajustement des prix, l’indépendance de la Banque centrale, la politique budgétaire, etc.
WMC: Dans l’arbitrage entre le stock de réserves et le taux de change du dinar, qu’est-ce qui est le plus important pour la Banque centrale ?
Béchir Trabelsi: La BCT a toujours expliqué qu’un ajustement par les prix uniquement est douloureux. La raison est simple : dans une économie rigide avec des canaux de transmission faibles, quand l’ajustement se fait uniquement par les prix, ceci requiert des amplitudes de variation très importantes pour que cet ajustement puisse résorber les déséquilibres, malheureusement cela produit des externalités Pareto.
Pour simplifier, supposez que vous êtes passés de mille dinars de dépenses à 1200 DT, le gap est de 200 dinars, c’est gérable. Maintenant si vous ne gagnez que 500 DT et que vous continuez à dépenser 1200 DT, rien ne va plus !
Pour que l’économie retrouve une marche plus ou moins équilibrée, alors qu’elle ne produit plus autant de richesses en devises… les marges de manœuvre se réduisent
Pour que l’économie retrouve une marche plus ou moins équilibrée, alors qu’elle ne produit plus autant de richesses en devises et que le train de dépenses reste toujours élevé, les marges de manœuvre se réduisent et, donc, nous puisons dans le stock. Quand il y a des réserves, cela peut marcher pour un certain temps, mais si on est obligé de recourir trop souvent au stock à cause de l’absence des ressources, ceci engendre une baisse des réserves et la perte de plusieurs jours d’importation par an.
Ce que certains ne comprennent pas, c’est que nous ne pouvons plus comparer notre passé à notre présent. Nous pouvons fonctionner avec tout juste un mois d’importation, lorsque le déficit courant est de 3%, le déficit budgétaire à 1%, l’inflation à 2% et une dette extérieure de 35%. Il y avait également beaucoup de privatisations et d’IDE et une grande dynamique économique. Je parle des années 2000, et la donne aujourd’hui est complètement différente. Il est impératif de comparer le comparable !
La BCT est une institution qui contribue à défendre la résilience économique de la Tunisie
Lorsqu’il y a un important stock de réserves, défendre le taux de change est possible. Autrement, c’est le taux de change qui défend cette ressource stratégique pour le pays. La BCT est une institution qui contribue à défendre la résilience économique de la Tunisie. C’est pour cette raison que les banques centrales sont indépendantes.
Quand on parle d’indépendance de la Banque centrale, cela veut dire quoi exactement ?
Une Banque centrale indépendante veut dire responsable. On a mis la sphère monétaire entre les mains de la Banque centrale, et on a responsabilisé cette Banque centrale pour éviter un décrochage de la sphère monétaire de la sphère réelle. Il y a un risque pouvant conduire à l’implosion du système et même propulser l’économie dans une récession profonde à l’instar de ce qui s’est passé avec la crise des “subprimes“, lorsque les Etats-Unis ont vu leur sphère financière atteindre des multiples de la sphère réelle pour imploser ensuite et provoquer le collapse de tout le système mondial.
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La Banque centrale ne peut pas imprimer des billets à tout va, mais suivre des règles qui préservent la rigueur et l’orthodoxie. Cela relève de la crédibilité de la gouvernance macroéconomique de notre pays vis-à-vis du monde entier et des marchés.
En 2015, on avait tout pour croire en une reprise imminente de l’économie nationale. Il y avait un aboutissement du processus politique, les chiffres de croissance étaient projetés à 3,5%, le baril de pétrole était à 30 dollars, et nous ambitionnions la maîtrise des équilibres via un mixte de politiques monétaire, budgétaire et de réformes structurelles très crédible. Mais le fléau du terrorisme a sapé cet élan. Pour la Tunisie, se redresser reste toujours du domaine du possible. La grande résilience de notre pays légitime cet optimisme.
Revenons aux politiques macroéconomiques du pays. Quel est leur rôle dans la consolidation de nos réserves et dans le maintien du taux de change ?
La politique macroéconomique avec ses trois composantes (budgétaire, monétaire et celle des réformes structurelles) permet de se projeter à court, moyen et long termes. Le consensus autour de la nécessité d’une stratégie économique est établi. Maintenant, la politique budgétaire est en train de se consolider et il faut reconnaître que les efforts déployés pour préserver les équilibres budgétaires sont porteurs.
Il faudra plus d’efforts pour avoir plus de ressources et surtout encourager le decashing…
Tout en cherchant les équilibres, il importe, aussi, de consolider l’investissement public, locomotive essentielle dans la relance des investissements.
Avec la reprise de cette machine, nous allons créer de la richesse et nous pourrions réduire le déficit budgétaire à moyen et long termes. Il faudra plus d’efforts pour avoir plus de ressources et surtout encourager le decashing qui aidera à juguler les phénomènes nocifs à notre économie, tels l’évasion fiscale, la corruption et le marché parallèle.
De son côté, la politique monétaire a donné de l’oxygène à une économie en difficulté, tout en évitant de financer les dérapages. Pour la Banque centrale, c’est «Tout sauf l’inflation». Et c’est sans équivoques.
Je termine en insistant sur l’importance des réformes structurelles, pilier de la transformation économique. Il y va de l’avenir du pays. Il importe de garantir l’aboutissement des réformes structurelles inclusives et cohérentes.
Propos recueillis par Amel Belhadj Ali
Première partie :