Les affaires impliquant la maltraitance des enfants, en particulier, constituent une source d’indignation pour la société tunisienne. Un constat d’autant plus véridique que les violations observées dernièrement dans des établissements destinés aux enfants, organisées ou anarchiques, ont soulevé un tollé général qui ne réussit pas pour autant à dissoudre une problématique encore plus grande, liée à l’absence d’un contrôle en amont des institutions de protection de l’enfance.
Derrière les murs bariolés de ce centre éducatif réservé aux enfants autistes, une fois le hall d’entrée franchi, le décor vire au terne. Il est parfois question d’enfants sévèrement battus, traînés à même le sol, dans des scènes insoutenables se produisant à une cadence quasi-quotidienne, et qui ont la chance d’avoir été filmés.
La fréquence des attaques contre des enfants dans des jardins d’enfants et des crèches, dans leurs deux versions, policée et anarchique, renvoie directement à une absence flagrante d’un quelconque contrôle au préalable de la part des institutions de protection de l’enfance. La dernière affaire en date liée à ce qui a été communément appelé “l’école coranique de Ragueb” fut l’occasion d’un constat loin d’être reluisant, fait de violations accablantes.
Les responsables du ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance estiment que le ministère s’est acquitté de sa responsabilité, à travers la prise en charge et l’assimilation des enfants de l’école de Regueb, mais ils accusent l’absence de tout contrôle en amont de la part des institutions chargées de le faire, ce qui serait à même d’exacerber les craintes de la reproduction de ces agissements sous forme de drames encore plus poussés.
Commentant l’affaire, le délégué à la protection de l’enfance, Mehiar Hamadi, a déclaré que “le retour des enfants à leurs familles se fera dans l’intérêt supérieur de ces enfants”, et que “les juges de la famille sont habilités à faire revenir les enfants aux centres de la protection de l’enfance s’il est établi qu’ils encourent un risque”.
Une violation explicite…
Il a précisé que les juges de la famille dans les régions étaient chargés de suivre le processus d’intégration des enfants de l’espace anarchique de Regueb, affirmant que ces enfants bénéficient d’accompagnement ad hoc, et ce en collaboration avec les services compétents des ministères de la Femme et de l’Intérieur, afin de leur assurer une réintégration dans les centres de formation professionnelle et les établissements éducatifs.
Hamadi souligne à cet égard que l’existence même de ces espaces anarchiques accueillant des enfants constitue une violation explicite.
Le danger s’accroît lorsque l’application de la loi est balayée d’un revers de main, fait-il entendre, soulignant que seule l’application des décisions de fermeture à l’encontre de ces espaces serait à même de ralentir la fréquence des violations dont sont victimes les enfants.
Nécessité d’une approche préventive
Raoudha Laabidi, présidente de l’Instance nationale de lutte contre la traite des personnes, a, de son côté, précisé que le traitement des cas de violations à l’encontre des enfants appelle l’adoption d’approches préventives, observant un manque de collégialité entre les responsables de l’enfance en Tunisie, ce qui constitue une entrave au développement des manières de faire dans le secteur.
Elle appelle à l’élaboration d’une stratégie exhaustive qui définit les tâches de coordination, de contrôle et de suivi dans les dossiers liés à la maltraitance des enfants, ajoutant que “de nombreuses parties œuvrant dans le secteur de l’enfance, se lancent mutuellement la balle et se soustraient à leurs responsabilité”.
Il est à noter que la société tunisienne avait été secouée durant le mois de février 2018 par une affaire d’agression sur les enfants du centre d’autisme au gouvernorat de l’Ariana, suite à la circulation dans les réseaux sociaux d’une vidéo établissant des scènes de violence insoutenable.
Laabidi a déclaré que l’Instance réagit au moment même de la réception de notifications provenant des délégués à la protection de l’enfance ou bien des citoyens, signalant un cas de maltraitance à l’encontre d’un enfant, puis assure le travail d’investigation et d’évaluation.
Pour protéger les enfants contre les abus, il importe, selon elle, de mettre en place une politique d’anticipation.
D’après le délégué général à la protection de l’enfance, Mehiar Hamadi, ces agressions sont souvent commises par des animateurs exerçant dans les établissements éducatifs et les concierges des jardins d’enfants.
Bannir les contacts physiques
Dans notre culture, a-t-il dit, les liens affectifs qu’entretiennent les adultes avec les enfants sont généralement basés sur le contact physique (caresse, câlin…), expliquant que la banalisation de ces échanges a permis aux enfants d’être une proie facile aux pédophiles.
Le responsable appelle à la nécessité de sensibiliser les familles aux risques liés aux abus sexuels chez les enfants et à rompre avec la banalisation des contacts physiques entre adultes et enfants.
A cet égard, il a annoncé que le rapport annuel des délégués régionaux à l’éducation au titre de 2018/2019 sera publié en mars, faisant savoir qu’une augmentation du nombre des signalements relatifs aux abus à l’égard des enfants a été enregistrée.
La directrice générale de l’Observatoire de l’information, de formation, de documentation et d’études pour la protection des droits de l’enfant, Hager Cherif, a mis l’accent sur la nécessité d’évaluer les mécanismes de prise en charge des enfants victimes de violence.
Le projet de loi relatif aux crèches et jardins d’enfants fait actuellement l’objet de discussion à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Ce texte compte 29 articles stipulant notamment que l’Etat et les collectivités locales ainsi que les établissements publics et privés peuvent créer des crèches et des jardins d’enfants selon un cahier des charges approuvé par l’autorité de tutelle.
Les jardins et crèches d’enfants doivent mettre en œuvre l’approche pédagogique du ministère de la femme et ces institutions encadrant les jeunes devront recruter des cadres éducatifs répondant aux conditions de spécialisation et de formation dans le domaine de l’enfance.
Ce projet oblige quiconque à informer le commissaire de l’enfance ou le ministère de l’existence de tout espace anarchique pour l’encadrement des enfants et inflige une amende de 5 à 10 mille dinars à toute personne qui gère ou exerce une activité de jardin d’enfants ou d’une crèche anarchique et se voit refuser toute activité dans ce domaine pendant dix ans.