Tunisair explose, pour la deuxième année consécutive, son record de fréquentation, en passant de 3 millions de passagers en 2016 à 3,8 millions de passagers en 2018 ; quant au chiffre d’affaires, il a augmenté de 500 millions de dinars en l’espace de 2 ans. Des résultats qui confirment la pertinence des politiques commerciales suivies par la compagnie battant pavillon national et le dynamisme d’une équipe dirigeante qui progresse malgré les difficultés aussi bien financières que celles se rapportant à la gestion du personnel.
La compagnie a été trop malmenée trop dénigrée -parfois à tort, parfois à raison-, mais ceux qui veillent aujourd’hui à sa destinée sont bien décidés à la remettre d’aplomb pour qu’elle reprenne son superbe d’antan et «rebondisse» sur ses ailes.
Ils viennent de proposer un plan de restructuration de Tunisair approuvé par toutes les parties prenantes, syndicats compris. Tunisair n’en finira pas de nous étonner !
Pour y voir plus clair, l’entretien ci-après avec Ali Miaoui, directeur général commercial de Tunisair.
WMC : Malgré ses carences et les critiques virulentes que subit Tunisair, les résultats de 2018 sont meilleurs que ceux des années précédentes. Comment cela se fait ?
Ali Miaoui: Comme vous venez de le mentionner, nous avons terminé l’année 2018 sur une nouvelle croissance de notre activité. Soit 9% de croissance du trafic passagers, ce qui nous fait 300 mille passagers de plus par rapport à 2017. En 2 ans, nous avons transporté 800 mille passagers de plus et nous sommes passés de 3 millions de passagers en 2016 à 3,8 millions de passagers en 2018.
Notre chiffre d’affaires a augmenté de 500 millions de dinars en l’espace de 2 ans pour atteindre 1,5 milliard de dinars à fin de 2018.
Nous sommes à notre 22ème mois de croissance continue de l’activité de Tunisair. Ce sont là les chiffres verts.
Le coefficient de remplissage a dépassé les 74%, et c’est un record pour nous. En 2008, meilleure année pour Tunisair en termes d’activité, notre taux de remplissage n’a pas dépassé les 68%. Notre paramètre de productivité s’élève aujourd’hui à 9h/jour par avion et c’est un chiffre record que nous n’avons jamais atteint. Nous sommes à notre 22ème mois de croissance continue de l’activité de Tunisair. Ce sont là les chiffres verts.
Passons maintenant aux chiffres rouges et qui concernent essentiellement la ponctualité. Elle a reculé à 44% en 2017, et à 42% en 2018. Le gros de notre travail en 2019 est, selon moi, le rétablissement de la confiance en la compagnie. Et ce qu’il s’agisse de sécurité -quoique cette donnée ne soit pas à l’ordre du jour mais je la reprends parce que citée par la Cour des comptes- ou de la ponctualité et du handling.
En ce qui concerne le premier point, y a-t-il plus évident que d’accorder à la sécurité l’importance qui lui est due ? C’est même basique s’agissant du transport aérien, et nous pouvons en ce qui nous concerne à Tunisair en être fiers, car nous assurons à ce niveau et nous considérons que c’est l’un des points forts de la compagnie.
Toujours est-il que nous avons à maintes reprises entendu parler de problèmes d’approvisionnement en pièces de rechanges pour les avions de Tunisair, ce qui poussait parfois les mécaniciens avion à prélever un composant dans un avion pour en équiper un autre.
Oui mais cela ne s’est jamais fait aux dépens de la sécurité, un axe prioritaire pour nous. Il est toutefois vrai que le département technique de la compagnie est endetté à hauteur de 30 millions de dinars, ce qui bloque l’acquisition de pièces détachées auprès de nos fournisseurs. Notre priorité est donc de régler nos dettes pour pouvoir acquérir les pièces de rechanges.
Nos dettes s’élèvent à 30 MDT, et il nous faut une enveloppe de 25 à 30 MDT pour acheter de nouvelles pièces de rechange pour nos avions. Soit 60 MDT en réalité disponibles si l’Etat nous rembourse les 30 MDT de TVA et si les ministères qui s’approvisionnent chez nous en billets d’avions règlent les plus de 20 MDT qu’ils nous doivent. Là c’est pratiquement l’enveloppe nécessaire pour remettre le département technique sur les rails et préparer les avions à la saison 2019.
Nos dettes s’élèvent à 30 MDT, et il nous faut une enveloppe de 25 à 30 MDT pour acheter de nouvelles pièces de rechange pour nos avions.
Maintenant pour ce qui est du deuxième point, à savoir la ponctualité des vols, il faut que nous fassions une croissance maîtrisée pour ne pas gêner la ponctualité et ne pas revivre les retards inadmissibles, je le reconnais, de 2018. Pour y parer, il nous fallait commencer par résoudre tous les problèmes -du technique et du handling.
Notre plan de restructuration exige le montant de 1,2 milliard de dinars, ce qui n’est pas possible d’après le ministre, car l’Etat ne dispose pas d’autant d’argent. Nous avons donc en partenariat avec les syndicats mis en place un plan d’action en priorisant nos demandes.
Les réunions ont été tenues entre les syndicats et les filiales du groupe Tunisair, Tunisair Express, Handling, et Technique, une à une ; ensuite, nous avons organisé une réunion globale et nous avons clôturé par un séminaire entre l’ensemble des entreprises et des syndicats.
Nous avons transmis notre rapport au ministre du Transport, qui devrait dans les deux prochaines semaines organiser un CMR autour du plan d’action de Tunisair.
Quels sont les grands axes du plan de sauvetage Tunisair ?
Nous avons demandé 100 millions de dinars en augmentation du capital avec une décision de l’Etat de faire une augmentation beaucoup plus importante pour nous faire sortir de l’article 388. Nous voulons que l’Etat soit le garant de Tunisair et montre qu’il a foi en l’avenir de cette compagnie et sa capacité à redécoller.
Ceci est important pour les Tunisiens et pour nos partenaires étrangers, pour les constructeurs d’avions, les fournisseurs, les loueurs d’avions et le personnel. Il est important que l’Etat montre qu’il est aux côtés de la compagnie nationale et qu’il va l’accompagner dans son plan de restructuration.
Nous voulons une décision du gouvernement pour une augmentation du capital avec un acte direct : octroyer à la compagnie 100 millions de dinars
Nous voulons une décision du gouvernement pour une augmentation du capital avec un acte direct : octroyer à la compagnie 100 millions de dinars, et cela est possible. Le ministre des Finances l’a signifié, il y a quelques temps, en déclarant que l’Etat a réservé 100 millions d’euros aux entreprises en difficulté, et notamment dans le transport. Nous répondons donc aux conditions exigées par l’Etat.
Nous sommes une entreprise qui a préparé déjà son plan de restructuration avec un consensus général dont celui des syndicats. C’est un défi que nous avons relevé. Les syndicats ont avalisé le plan de départ de 1.150 personnes à la retraite anticipée. L’Etat a réservé 52 MDT pour ce départ à la retraite, mais cela reste insuffisant, nous avons encore besoin de 90 MDT pour réussir cette opération de départ à la retraite. Les syndicats sont d’accord, les premiers à partir le feront début juin 2019.
l’année 2019 est l’année de transition parce que nous l’avons déjà vendue. Nous prévoyons une augmentation d’à peu près 4% de notre activité
Ce sont là les actions prioritaires que nous devons lancer et nous attendons que le gouvernement nous aide à les mener à bon port. Ceci tout en sachant que toute la partie stratégie commerciale existe dans le plan de redressement. Nous avons estimé que l’année 2019 est l’année de transition parce que nous l’avons déjà vendue. Nous prévoyons une augmentation d’à peu près 4% de notre activité, mais pour cela, il faut disposer de nouveaux avions.
La flotte Tunisair ne répond plus aux exigences du marché ?
Oh que si bien sûr mais nous nous situons dans la logique de l’excellence, et les moyens dont nous disposons aujourd’hui ne nous aident pas. Parmi les problèmes que nous devons gérer, il y a la vétusté de nos avions. Leur âge moyen est aujourd’hui de 17 ans, 5 avions ont de plus de 25 ans.
Nous avons informé le gouvernement à propos de la nécessité de renouveler la flotte et du plan de flotte que nous avons mis en place avec Airbus depuis 2017. Nous avons prévu l’arrivée de 5 avions d’ici fin 2021 dont 2 en 2020 et 3 en 2021, un chaque trimestre. Dans l’attente, et pour parer aux besoins du secteur touristique qui a repris, nous allons procéder à une opération de driving. C’est une opération qui consiste à louer des avions sans équipage pour 4 à 6 ans.
Les 3 avions que nous avons déjà commandés permettront de renforcer la flotte. Deux A320 de 160 sièges, et un A330 pour les longs courriers. Les A320 vont rajeunir notre flotte et nous donner un nouveau souffle, ce qui fera prospérer notre activité dès 2020.
L’A330 aura le même effet mais il va aider à ouvrir la ligne Tunis/New York et Tunis/Chine. Nous sommes conscients de la très forte demande sur la Chine, malheureusement, nos compatriotes sont obligés de passer par l’Europe ou le Maroc pour y accéder.
Les 3 premiers avions qui rejoindront notre flotte vont nous ramener 10% de croissance. 2019 est une année de transition ; l’année 2020 de très grosse croissance.
Parlons positionnement ! Que nous le voulions ou pas, Tunisair est une petite compagnie, avec l’open sky, elle n’échappera pas à une concurrence rude qui lui viendra des grandes mastodontes de l’aérien. Avez-vous les moyens de résister ?
Mais bien entendu. Je vous rappelle que l’accord de l’open sky n’a pas été encore signé et quand il le sera, nous avons en tant que Tunisair une exemption sur l’aéroport de Tunis-Carthage pour une période de 5 ans. L’aéroport de Tunis-Carthage représente 90% de notre activité.
Dans le cadre de la stratégie commerciale qu’on a arrêtée jusqu’en 2020, nous comptons bien renforcer notre présence et notre activité sur l’aéroport Tunis-Carthage, mais cela ne veut pas dire que nous allons négliger les aéroports de province ou laisser les compagnies low-cost y monopoliser les activités.
Aujourd’hui, grâce à ce programme, les fréquences sur Monastir et Djerba ont augmenté et nous avons réalisé une croissance de l’activité de 40%.
Depuis fin 2017, nous avons commencé à déplacer tous les 737, les petits avions avec 126 sièges totalement amortis, à Monastir et Djerba. Nous sommes sortis de la plateforme d’Enfidha, et nous avons renforcé Monastir et Djerba.
Aujourd’hui, grâce à ce programme, les fréquences sur Monastir et Djerba ont augmenté et nous avons réalisé une croissance de l’activité de 40%. Sur ces deux aéroports, nous comptons lancer un produit low-cost, ce qui revient à dire que le catering sera payant ainsi que les bagages. C’est un produit à la carte et nous allons faciliter toutes les formalités pour qu’il devienne un produit moins cher, exactement comme celui des autres compagnies.
Avec les 737 affectés à Djerba, nous sommes en train de préparer ce produit low-cost, qui va concurrencer les compagnies low-cost, mais nous jouerons la carte de la qualité comme Lufthansa ou Air France. Nous sommes décidés à nous positionner en tant que compagnie low-cost où la qualité prime et où le produit sera à la carte sinon nous perdrons la bataille.
Nous nous positionnerons donc sur la qualité des prestations, la qualité des avions, la ponctualité et le service à bord, ce que les compagnies low-cost n’ont pas.
Et qu’en sera-t-il de Tunis-Carthage ?
C’est là où nous comptons développer notre produit phare. A Tunis-Carthage, il y a la plateforme de connexion de Tunisair, par contre à Monastir et Djerba nous avons un produit adapté.
Côté développement des dessertes Tunisair, il y aura l’Afrique. Nous avons suspendu notre déploiement en Afrique pour 2018 parce que notre implantation sur le continent est coûteuse et son investissement doit être intégré dans le plan de restructuration. Ce plan n’ayant pas été validé en 2018, nous n’avons pas pu consentir les investissements. Nous attendons maintenant sa validation pour re-projeter notre redéveloppement sur l’Afrique.
Nous lancerons deux plateformes aériennes en 2020 et deux autres en 2021, et nous reprendrons la croissance. En 2020, nous desservirons Douala (Cameroun), Lagos (Nigeria) et Khartoum (Soudan), si jamais les problèmes avec la Banque centrale sont réglés.
si jamais avec les 3 A330 il nous reste des slots ouverts, nous réfléchirons à l’Afrique du Sud,
L’ouverture de la ligne Libreville (Gabon) est prévue pour 2020-2021, et puis avec l’A330 dont nous devrions disposer grâce au dry-lease (leasing opérationnel), nous lancerons comme je l’ai dit précédemment des lignes directes New York et la Chine. Et si jamais avec les 3 A330 il nous reste des slots ouverts, nous réfléchirons à l’Afrique du Sud, qui serait vraiment une grande réussite, qu’il s’agisse de Pretoria ou Johannesburg.
Il s’agit pour nous de rehausser la qualité, il faut ramener de nouveaux avions, et élever tous les critères et les standards en termes de ponctualité et de service pour redonner le blason à Tunisair.
Sur un tout autre volet, nous n’oublions pas d’injecter du sang neuf dans les équipes du PNT. Nous recrutons très prochainement 20 pilotes qui devraient renforcer nos équipages et répondre aux besoins des nouvelles dessertes.
Donc, vous voyez que Tunisair est décidée à redéployer ses ailes et réoccuper de nouveau l’espace.
En parlant de qualité des prestations, qu’en est-il du handling ? Des fois, l’attente des bagages dure beaucoup plus que le vol en lui-même ?
Je ne veux pas dédramatiser le cas handling, mais je refuse également de l’amplifier. Figurez-vous que sur l’année 2018, 278 valises ont été volées sur 3,8 millions passagers. Je ne justifie nullement ces pratiques indignes qui sont à bannir totalement car même une valise volée, c’est trop. Mais ce que je veux dire, c’est que comme toujours et selon l’expression empruntée à un autre moyen de transport, nous sommes dans la logique de “celui qui ne voit que le train en retard, jamais ceux à l’heure“.
nous sommes dans la logique de “celui qui ne voit que le train en retard, jamais ceux à l’heure“.
Le handling souffrait de deux problèmes : un problème de matériel (escarbots, tapis ou élévateurs pour les handicapés) et nous l’avoir commandé en 2018. Malheureusement, il n’a été livré qu’en août 2018.
Reste le problème du personnel. Depuis 2013, nous avons eu recours à des sociétés privées en sous-traitance, ces entreprises payent mal leurs employés, ce qui a pour conséquence que ces derniers ne sont pas assidus puisque dès qu’ils trouvent l’occasion d’améliorer leurs rétributions, ils désertent le travail au handling.
Alors, nous avons essayé de résoudre le problème en recrutant 150 contractuels pour l’été 2018, et cela a résolu le problème des bagages, qu’il s’agisse d’attente ou d’autres dépassements.
Au mois de septembre, ces 150 contractuels ont été remerciés pour que nous ne soyons pas obligés de les intégrer, ce qui pèserait plus sur une masse salariale en souffrance.
Actuellement, nous nous sommes mis d’accord avec les syndicats pour que le personnel qui était affecté aux bagages et qui est monté dans les bureaux reprenne de nouveau du service aux bagages. Nous avons écarté les deux entreprises privées qui partent, l’une ce mois-ci et l’autre au mois de juin.
Nous sommes en train de négocier avec une autre entreprise qui s’appelle l’Ittissalia, et fait partie du groupe TT. Elle paie son personnel à 600 D/mois, et est plus rassurante et plus sécurisante s’agissant de la qualité des services rendus au handling.
Qui est cette entreprise ?
Nous avons eu des réunions fructueuses avec son PDG. C’est une entreprise bien organisée qui a recruté 1.000 personnes, et nous sommes en train d’assurer la formation du personnel handling Tunisair. Nous avons intégré d’ores et déjà une vingtaine.
Nous espérons que l’été 2019 se passera sans incidents et que les voyageurs à bord de nos avions ne se plaindront plus du service handling.
Et qu’en est-il de la ponctualité des avions de Tunisair ?
Il y a des problèmes endogènes des retards, quand je vous dis que 90% de l’activité de l’aéroport ne peut dépasser les 4 millions de passagers alors que notre aéroport en accueille 6 millions, cela explique tout.
Les comptoirs d’enregistrement ne sont pas suffisants, après l’enregistrement, les files pour la police frontière ne sont pas suffisantes et durant la haute saison, c’est la croix et la bannière. Là où il y a le tri de bagages, les gens travaillent dans des conditions presque «préhistoriques».
L’aéroport de Tunis-Carthage doit être rénové, il y a des travaux qui sont déjà prévus et programmés,
L’aéroport de Tunis-Carthage doit être rénové, il y a des travaux qui sont déjà prévus et programmés, si nous arriverons à réaliser notre plan de mise à niveau, tout est lié à l’infrastructure.
L’OACA est une machine à cash, les aéroports font rentrer beaucoup d’argent donc pourquoi ne pas mettre le paquet et remettre à neuf notre aéroport en attendant la construction d’un autre ?
Qu’en est-il de projections de Tunisair pour les 10 années à venir ?
Nous avions un plan de redressement qui s’arrête en 2020, mais nous avons besoin de nous projeter à moyen-terme. Pour réaliser notre plan de développement de Tunisair, nous nous sommes adressés à l’Union européenne qui consacre des financements pour pareilles études. Nous leur avons expliqué que le plan Tunisair 2020 est un plan de sauvetage et qu’il était capital pour nous de nous projeter en 2030.
Nous ambitionnons un plan de flotte, avec une quarantaine d’avions, et nous avons besoin de quelqu’un qui nous prépare des études comprenant cette approche-là.
La réaction a été rapide : préparez une demande, nous l’avons fait et elle a été validée, ils nous ont accordé l’équivalent de 1,5 million d’euros pour une étude qui va porter sur Tunisair 2020/2030, et qui démarrera probablement d’ici le mois de mars 2019.
Ne pensez-vous pas que vous communiquez mal ?
C’est vrai, nous n’avons plus de communication institutionnelle ou de produits depuis le mois de juin. La procédure est longue et compliquée. Nous avons lancé un appel d’offres et nous avons déjà retenu deux agences. Nous pensons faire du beau travail avec l’agence qui sera sélectionnée pour donner la meilleure image de Tunisair.
Entretien conduit pas Amel Belhadj Ali