Une administration publique est censée être au service de l’intérêt public et exécuter la stratégie et la vision émanant du politique.
Une fois élus, ce sont les politiques qui décident de la voie à suivre et il revient aux technocrates de traduire leurs orientations en mesures et actes. Il leur revient aussi d’en étudier les impacts et les conséquences.
En un mot, l’Administration a pour rôle de mettre en œuvre les politiques publiques. Elle est chargée de l’application de la loi, d’assurer le maintien de l’ordre public et de gérer les services publics. Ses relations avec le gouvernement, telles que décrites par les experts, sont régies «par un subtil équilibre entre une nécessaire subordination -afin que le gouvernement puisse mener à bien sa politique- et une non moins nécessaire autonomie -permettant aux fonctionnaires de ne pas être soumis, dans l’exercice de leur mission, à des pressions excessives».
Missions que notre Administration publique ne peut plus assurer car, depuis que la vague du «dégagisme» l’a frappée balayant les compétences dans la plupart des cas à tort, elle peine à se relever.
La plupart de ceux qui ont été sanctionnés à juste raison pour incompétence ou corruption avant le soulèvement de 2011 ont pu se venger à satiété de leurs supérieurs hiérarchiques montant des campagnes de dénigrement à leur encontre et les réduisant à des criminels de droits communs ou les accusant d’avoir trahi la Tunisie pour servir Ben Ali et les Trabelsi.
Dans un rapport publié par l’UNDP, Sadok Belaïd déclare ceci : «Depuis la révolution, en 2011, et jusqu’en 2014, la Tunisie a été écharpée, tiraillée entre plusieurs tendances politiques qui veulent toutes accaparer le pouvoir. Toutes les tendances politiques ont eu des comportements exécrables : le mouvement Ennahdha, le Congrès pour la République, le Parti républicain d’Ahmed Nejib Chebbi, tous les partis ont nourri cette dislocation entre l’identité de l’Etat et la structure de l’Etat. Comment ? Tous ont cherché à nommer des proches, susceptibles de les soutenir, aux plus hauts postes de l’Etat, mais aussi aux plus bas échelons de l’administration. Ces pratiques de cooptation et de népotisme envoient un message terrible à l’ensemble des citoyens».
Après coup, on se rend compte que la vague du «dégagisme» visait à vider les administrations de leurs compétences et de les remplacer par les amnistiés et les partisans, n’était pas gratuite, elle était très bien calculée. Une vague suivie par celle de la délation qui a servi de règlement de compte par les uns et les autres et a surfé sur la vague obsessionnelle de la lutte contre la corruption de tous les partis.
L’article 96*, promulgué, ironie du sort, au temps de Ben Ali, a été l’épée de Damoclès qui a pesé sur toutes les têtes bien faites et tous les patriotes de Tunisie ! Les délations ont fusé de toutes parts et de tous bords. A l’INLUCC, rien qu’en 2017, 9.189 dossiers de présomptions de corruption ont été déposés répartis entre les ministères qui tiennent le haut du pavé, les municipalités, les gouvernorats, les délégations, les établissements et administrations publiques, les sociétés privées, les associations et les structures de l’Etat. 31,62% de ces dossiers ne sont soumis à aucun classement, leurs données sont ambiguës et leurs informations ne sont pas sûres. Ils pourraient plus être associés à des délations qu’à autre chose.
A titre d’exemple, et au cours des derniers mois, des hauts responsables du ministère des Finances ont été arrêtés puis libérés après que les juges qui se sont empressés de les mettre sous les verrous ont conclu à leur innocence.
Dans la Tunisie démocratique, nous sommes coupables jusqu’à ce que ce que notre innocence soit prouvée ! Pays de droit, dites-vous ?
Et généralement, ce sont les petits employés non productifs et incompétents qui s’attaquent à leurs supérieurs. Du coup, ces derniers ont deux choix : ou bien ils quittent leurs postes pour aller en occuper d’autres et mieux rémunérés dans le privé, ou bien ils se terrent dans leurs bureaux évitant d’activer une procédure, de soutenir une initiative ou de faciliter une démarche de peur du montage de faux dossiers.
Résultat de la course, ce sont les petits agents qui en profitent. La corruption change de camp et ratisse large, et c’est le pays qui en souffre.
«Comment exiger d’une administration attaquée à tous les coups, harcelée, accusée systématiquement de tous les maux, d’être performante ? Comment faire en sorte qu’elle soit indépendante lorsque nos hauts responsables subissent les pressions des politiques, des syndicats et de leurs propres collaborateurs qui n’hésitent pas à balancer des dossiers confidentiels aux députés ou aux médias ?», déplore un haut fonctionnaire.
L’obligation de réserve et le respect de la confidentialité des données, principes sacro-saints de toute administration publique dans le monde, ne sont plus de mise dans notre pays. D’où une atmosphère délétère semée de doutes et de peur qui règne dans nos administrations, et d’où l’attentisme de nombre de nos dirigeants publics !
A quand un éveil non seulement nécessaire mais vital pour la survie de la Tunisie ?
Amel Belhadj Ali
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Article 96 du code pénal : Est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende égale à l’avantage reçu ou le préjudice subi par l’administration tout fonctionnaire public ou assimilé, tout directeur, membre ou employé d’une collectivité publique locale, d’une association d’intérêt national, d’un établissement public à caractère industriel et commercial, d’une société dans laquelle l’État détient directement ou indirectement une part quelconque du capital, ou d’une société appartenant à une collectivité publique locale, chargé de par sa fonction de la vente, l’achat, la fabrication, l’administration ou la garde de biens quelconques, qui use de sa qualité et, de ce fait, se procure à lui-même ou procure à un tiers un avantage injustifié, cause un préjudice à l’administration ou contrevient aux règlements régissant ces opérations en vue de la réalisation de l’avantage ou de préjudice précités.