On s’attend à une grande présence devant le Théâtre national des acteurs de la société civile pour célébrer la fête de l’Indépendance, mercredi 20 mars, et scander haut et fort ce slogan «Unissons nos efforts pour consolider les fondements de l’Etat civil, sauver les acquis de la santé publique et l’école de la République».
Il faut reconnaître que les Tunisiens et surtout les Tunisiennes, qui pensaient que l’on ne pouvait revenir sur les acquis de 1956, ont très vite désenchanté. Depuis 2011, tous les acquis ont été remis en cause, partant de ceux des femmes : on avait même voulu coucher un article dans la Constitution stipulant que la femme est complémentaire de l’homme, arrivant à ceux d’un enseignement civil et républicain en passant par le secteur de la santé, fragilisé qu’il est par le manque de moyens.
«Rien n’est jamais définitivement acquis. Il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes», avait averti Simone de Beauvoir.
Dans la Tunisie d’aujourd’hui, l’enseignement, jadis obligatoire sous peine de sanctions lourdes qui peuvent peser sur les parents récalcitrants, est menacé plus que jamais. Des écoles coraniques sont semées partout où les cursus ne sont pas réellement surveillés. La tragédie du camp d’entraînement de Regueb a fait l’effet d’une bombe auprès d’une large frange du peuple tunisien qui s’est tout d’un coup rendu compte que rien n’est sûr et encore moins éternel, et que ceux qui veulent préserver leur modèle sociétal en présence d’obscurantistes hautement organisés et décidés à renvoyer la Tunisie 14 siècles en arrière doivent être doublement attentifs.
Il y a eu Regueb, mais la Tunisie souffre également de la décrépitude des services de santé qui constituaient un des points forts de l’Etat tunisien indépendant. Le drame survenu à l’hôpital Rabta a réveillé des consciences anesthésiées ou qui se complaisaient dans l’indifférence.
Hélas, il n’y a pas eu seulement les prématurés décédés au service néonatal de l’hôpital Wassila Bourguiba, il y a eu également une épidémie de rougeole à Kasserine qui a touché des centaines d’enfants.
Les épidémies sont devenues cycliques et les délais sont de plus en plus courts, ce qui dénote d’une incapacité à gérer des secteurs aussi importants que la santé et l’éducation, mais également d’un manque de moyens effarant qui fait fuir à un rythme soutenu les médecins Tunisiens aussi bien spécialistes que généralistes.
C’est dans ce contexte où la menace sur les libertés individuelles et les campagnes d’endoctrinement islamiste sont de plus en plus récurrentes que plus d’une soixantaine d’associations ont décidé d’organiser un sit-in devant le Théâtre national pour exprimer peurs et vœux.
Le réseau «Coalition pour les femmes de Tunisie», en partenariat avec des associations actives dans la société civile démocratique et des personnalités publiques progressistes indépendantes, a donc appelé à une manifestation de masse le 20 mars 2019. Une date anniversaire emblématique pour la Tunisie qui rappelle les ambitions d’une jeune République qui a misé sur l’avenir des nouvelles générations.
Les organisatrices parlent, dans le communiqué publié à l’occasion, de leur attachement au droit du peuple tunisien à fonder l’Etat démocratique, civil et moderne pour lequel elles ont combattu et combattent encore. Elles ont milité pour garantir la liberté, la dignité, la justice et l’égalité, face aux risques alarmants encourus par tous les services publics de la Tunisie, et devant la propagation de toutes les formes de corruption et les tentatives de mainmise sur les organes de l’administration et des institutions de l’Etat, portant ainsi atteinte au principe de neutralité et d’indépendance des décisions, à des fins partisanes et subjectives.
Elles dénoncent la propagation de l’enseignement parallèle, des écoles échappant au contrôle de l’Etat, des menaces récurrentes à l’avenir du pays et des nouvelles générations, visant le démantèlement du système éducatif national républicain fondé sur la raison et l’esprit critique, dans le but de diviser la société et provoquer la discorde entre les Tunisiens à des fins idéologiques et politiques étroites.
Elles lancent un cri d’alarme par rapport à la situation dramatique de nos hôpitaux, des dangers qui pèsent aujourd’hui sur les droits citoyens à la santé, du développement d’une médecine à deux vitesses (publique et privée), et d’une sécurité sociale de plus en plus défaillante, représentant la preuve la plus scandaleuse d’un traitement qui viole les droits humains à la dignité.
Elles renvoient au sang des martyrs qui ont sacrifié leur vie pour libérer la Tunisie et dénoncent la nonchalance avec laquelle est traité le dossier de la martyre post-révolution de 2011: «Nous rendons hommage au sacrifice de ceux morts pour la démocratie en Tunisie et dénonçons la manière de traiter les dossiers des assassinats demeurés non résolus, du fait de complicités politiques et l’accroissement du terrorisme».
Ces femmes ont décidé d’occuper l’arène publique pour une nouvelle souveraineté de la Tunisie.
Bien avant l’indépendance, Bourguiba avait souvent révélé dans ses propos et discours* que ses contacts directs avec les foules, son apprentissage de la nature humaine au cours de la lutte, son expérience personnelle des grandeurs et misères de la mentalité des Tunisiens, avaient édifié en lui l’idée que le redressement national est en majeure partie tributaire du redressement moral de la nation et de la rénovation des mentalités.
Pour Bourguiba, «ce sera là l’un des objectifs de l’Etat indépendant. L’Etat va donc se trouver investi de cette mission prioritaire : refaire les mentalités. Pour Bourguiba, l’Etat, ses puissances coercitives et organisatrices (administration civile, parti, tribunaux, police, armée, appareil juridique) ne sont pas uniquement de simples forces matérielles d’action sur la vie sociale, elles constituent également des instruments de persuasion et de sensibilisation au service du discours éthique de l’Etat. Ce sera là l’un des objectifs de l’Etat indépendant. L’Etat va donc se trouver investi de cette mission prioritaire : refaire les mentalités».
Depuis 2011, nous ne voyons qu’une parodie d’Etat, et les mentalités que Bourguiba, visionnaire, a mis des décennies à changer dans le sens d’une cohésion nationale, d’une unité territoriale et d’une conception progressiste et éclairée de l’avenir de la Tunisie ont été vite dévoyés par des illuminés extrémistes incapables de s’intégrer et de s’adapter au monde des connaissances et du savoir et des progressistes aux égos surdimensionnés et aux appétits politiques voraces incapables de mettre leurs ambitions au service de l’intérêt national !
God save Tunisia!
Amel Belhadj Ali