La 2ème République est-elle en rupture avec l’esprit qui a animé les fondateurs de l’Etat de l’Indépendance ?  Comment comprendre la résistance démocratique en faveur de la cause de l’égalité entre les genres ? N’est-ce pas la preuve que la deuxième république, finalise le parcours de la première ?  

L’Histoire est tragique, disait Raymond Aron. On serait tenté d’y souscrire quand on observe la trajectoire de l’Etat de l’indépendance En Tunisie. Pourquoi, diable, a-t-on raté le parcours social de l’Etat d’indépendance alors qu’on partait d’un projet animé d’un référentiel de valeurs, remarquable ?

Un Etat jeune, avec un projet robuste

Quand on voit le lustre de l’Etat d’indépendance et l’effervescence intellectuelle qui l’a accompagné et l’originalité du projet politique qu’il véhiculait, on est pris de perplexité. Pourquoi est-ce que le parcours a fini en queue de poisson ? Le projet sociétal d’origine est proprement révolutionnaire.

Rappelons l’aura dont s’est drapé la 1ère République dans le concert des nations. La voix de la Tunisie était respectée de tous. Elle imprimait une nouvelle intonation aux relations internationales. Pas d’alignement, pas d’inféodation. Pas d’engagement idéologique. La raison primait. Le pragmatisme disposait. La Tunisie était le pays phare du continent, et le porte-voix de la dynamique de libération et d’émancipation des peuples.

Sur le registre des relations internationales, les positions tunisiennes donnaient force de raison aux résolutions de l’ONU. Nous étions le porte-drapeau de la Charte de l’Organisation onusienne. Nos troupes ont rejoint moult missions de pacification de conflits dans le monde.

Par quelle malédiction, un projet aussi innovant a-t-il tourné court au plan social ? Les options budgétaires de la Tunisie étaient suffisamment parlantes. Et par-dessus tout, la lutte pour l’indépendance a évacué la part de violence des luttes sociales. Le pays a pu entamer une transformation en profondeur qui a majoritairement émancipé le corps social. Et pourtant, le parcours n’est pas allé au terme du projet.

Le monolithisme politique, dévastateur

On a le sentiment, en revoyant le film des événements de la marche de la 1ère République que les choix sur terrain ont manqué de cohérence. Il y a eu de l’inconduite.

Comment avoir accepté le monolithisme politique ? Son cortège de monopartisme devait conduire à l’attelage du parti-Etat. La déconfiture de la première République ne vient-elle pas de là ? Toutes les contreperformances sociales ne sont-elles pas le résultat de ce choix bancal ?

Ce choix devait protéger la première République de serrements où l’aurait mené le nationalisme arabe et le communisme. Mais ce monolithisme s’est mué en totalitarisme.

Pourtant, cette malédiction était publiquement désavouée par les fondateurs de l’Etat d’indépendance. Bourguiba disait à Chou En Laï, en personne : “reconnaissez le droit aux Chinois de Taïwan de ne pas adhérer au communisme”. Et Chou a acquiescé. Cela ne nous a pas empêchés de tomber dans le panneau. Et le solide projet démocratique des origines a été battu en brèche par le fondamentalisme.

Battu mais pas encore achevé. Quand on observe la résilience du projet au totalitarisme fondamentaliste, on est gagné par l’espoir. Et l’engagement démocratique renaît en chacun d’entre nous, héritiers de l’esprit du mouvement national.

La Tunisie est face à un choix du destin. Ou elle parvient à concilier Islam et démocratie, ou les deux seront perdus à jamais. Que vaut une démocratie qui ne garantit pas les libertés entre les genres, dans toute leur étendue ? Quel sort réserverait l’histoire à une religion dont les adeptes refuseront l’égalité totale et pleine entre les genres ? Le mystère est trop clair. La question sera tranchée lors des deux prochains scrutins.

La 1ère République ressuscitera-t-elle ? Cette fois, les urnes trancheront. J’espère que les urnes ne seront pas, une fois encore, l’otage du révisionnisme démocratique.

Le spectre de Tahar Ben Ammar

Le pays célèbre le 63ème anniversaire de l’Indépendance et toujours pas de réhabilitation officielle de Tahar Ben Ammar. Ce black out programmé et malveillant orchestré par la première Pépublique est une tache noire sur notre histoire nationale. C’est une injustice qu’il faudra lever un jour ou l’autre.

Tahar Ben Ammar a conduit les premières négociations officielles avec la France en 1920. C’est lui qui a préside les deux gouvernement d’août 1952 à avril 1956 qui ont mené les négociations avec la France qui ont abouti à l’autonomie interne, puis à l’indépendance.

Figure politique respectable et respectée, Grand chef politique, visionnaire, il a fait l’unanimité sur sa personne par toutes les forces démocratiques de l’époque, c’est-à-dire le néo-destour présidé par Habib Bourguiba et l’UGTT, principalement pour conduire les négociations avec la France. Et il y a réussi.

Son fils, Chedly Ben Ammar, s’attaquera dans un article rigoureux, bien structuré et bien documenté, contre tous ceux qui doutaient de l’acquis de l’indépendance le faisant passer pour un deal entre Bourguiba et la France.

D’une certaine façon, la partie entre les Ben Ammar père et fils laisse perplexe. C’est le papa qui appelle Bourguiba à lui succéder triomphant du scepticisme du Bey et lui met le pied à l’étrier. Et c’est le fils qui, par honnêteté intellectuelle, vient laver Bourguiba de tout deal suspect avec la France.

En plus d’être tragique, l’histoire est surprenante (lire l’article de Chedly Ben Ammar, paru dans Essabah, le 2 mai 2018).

A quand la réhabilitation de cette figure emblématique de notre histoire nationale? La nation se doit d’être reconnaissante envers ses enfants dévoués.