En dépit de la promulgation, il y a six mois, d’une loi fondamentale criminalisant toutes les formes de discrimination raciale en Tunisie et la proclamation du 23 janvier de chaque année “Journée nationale d’abolition de l’esclavage“, la discrimination est d’actualité. Elle est, désormais, multiforme et sévit particulièrement dans le domaine de l’emploi, selon des ONG spécialisées en la matière.
Ces mêmes ONG rappellent que la loi, adoptée en octobre 2018 par le Parlement tunisien, a été «écrite par le sang des Africains résidents en Tunisie». «Cette loi, pourtant fin prête depuis 2012, est intervenue un peu en retard. L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) n’a décidé de l’adopter que suite à l’assassinat, en décembre 2016, de deux Congolaises en plein centre de Tunis», relève Saadia Mosbah, présidente de l’Association M’nemty (mon rêve).
Des avancées enregistrées mais…
Malgré le pessimisme des ONG, il faut reconnaître que d’importants pas ont été franchis même si le chemin demeure long.
Pour preuve, pour la première fois, dans son histoire, la justice tunisienne a prononcé un jugement condamnant un acte raciste en application de la loi fondamentale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Ainsi, un tribunal de première instance à Sfax a condamné à trois mois de prison avec sursis une femme qui avait insulté l’instituteuer de sa fille en termes racistes.
Abstraction faite de cette avancée, la discrimination persiste vis-à-vis des Africains de couleur noire. L’ONG «Tunisie terre d’exode et de refuge» a annoncé que rien que sur l’année 2018 avoir enregistré 410 plaintes de la part de résidents africains, pour mauvais traitements, ajoutant que le quart de ses cas a été notifié dans la région de Sfax.
Mention spéciale pour trois cas dramatiques : le meurtre, en décembre 2018, à l’Ariana, du président de l’Association des Ivoiriens en Tunisie, Falikou Koulibaly, la mort tragique, à Sfax, d’un ouvrier ivoirien d’épuisement, de mauvaises conditions de vie et de surexploitation au travail, et le marché honteux des femmes de ménage d’Afrique subsaharienne travaillant essentiellement chez les familles tunisiennes aisées du pays, lequel marché peut être assimilé «à un véritable régime de traite».
Une loi est insuffisante
Pour y remédier, les ONG estiment que les initiatives officielles, dont la loi sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale, ne sont pas suffisantes. Elles pensent que le moment est venu pour agir sur d’autres leviers.
A titre indicatif, le programme arrêté, à ce propos, par l’ONG M’nemty mérite qu’on s’y attarde.
Sur le court terme, M’nemty vient de créer un observatoire aux fins de dénoncer toute forme de discrimination en Tunisie, d’aider les victimes et de poursuivre en justice les coupables.
L’ONG est en train de former 50 observateurs-ambassadeurs chargés de relever, au niveau des régions, les actes racistes et de sensibiliser les victimes à recourir à la justice chaque fois qu’ils en sont victimes. Le premier observateur sera opérationnel au sud-ouest.
Sur le moyen terme, Saadia Mosbah indique que M’nemty œuvre à garantir le droit des noirs à l’emploi et à demander un quota en leur faveur dans la fonction publique d’autres catégories sociales.
Elle tient à rappeler quelques cas de discrimination particulièrement dans les banques, l’hôtellerie et le transport. Selon elle et à titre indicatif, «sur 700 stewards que compte Tunisair, seuls deux sont de couleur noir». Dans les réceptions d’hôtels, on ne voit pas de noirs, a-t-elle ajouté. Idem pour les banques où on voit rarement des noirs.
Sur le long terme, M’nemty se propose d’agir sur l’éducation en vue de la réformer. Pour elle, il s’agit d’apprendre aux écoliers la coexistence avec des gens qui sont différents d’eux et d’extraire des programmes scolaires toutes les matières à insinuation raciste.
Quant à nous, nous pensons que cette stratégie est pragmatique et cohérente. Elle mérite d’être soutenue.