L’engagement dans les partis politiques est le plus court chemin pour provoquer le changement. Ce serait l’antidote au désenchantement de la jeunesse.
“Youth, be the change“ –comprenez : «Jeunesse, soyez vous-même le changement». Tout est dit. Khawla Ben Aïcha (KBA), la plus jeune députée à l’ARP, a choisi ce slogan de Ghandi, à dessein. Elle a légèrement implémenté la formule originelle, en entame de son speech. Peut-être qu’elle a souhaité piquer au vif son jeune auditoire, à l’Institut Wall Street English d’enseignement avancé de la langue anglaise.
Nous rappelons que le topic du jour était «Les jeunes entre 30 et 40 ans et la politique en Tunisie». Dhia Ben Letaifa, promoteur de WSE, organise un “after work“ régulier, de dialogue en anglais, avec des speakers anglophones. Les invités ont tous à voir, de près ou de loin, avec les préoccupations de la jeunesse.
Dès lors, les jeunes, se sentant directement concernés, se branchent. Et dans l’enceinte de Wall Street English, c’est une ambiance “Hyde Park“ qui s’installe. C’est convivial et studieux, à la fois. Un charmant concept de travaux pratiques “in real live“, tel est l’esprit de la maison.
Il faut bien reconnaître que l’entame choc de Khawla Ben Aïcha a fait tilt.
Khawla Ben Aïcha, un parcours atypique
La benjamine du palais du Bardo est issue d’un ménage TRE (Tunisiens résidents à l’Etranger). Installée en France, sa famille n’a pas coupé les ponts avec le pays. Son diplôme universitaire en poche, KBA s’installe en qualité de consultante à l’international. Là -dessus survint le 14 janvier. Et cette étincelle révolutionnaire a ravivé la flamme patriotique en elle. Elle choisira, à l’inverse de tous les jeunes tentés par la “Haraga“, de faire le chemin inverse. Et elle abandonne sa carrière professionnelle en France, qui a bien démarré, pour s’engager en politique sous la bannière de Nidaa Tounes, et revenir s’installer au pays. Elle sera sur la liste de Nidaa aux élections législatives de 2014 et sera élue députée TRE.
En changeant son fusil d’épaule, Khawla Ben Aicha, migrant de la vie active vers un engagement en politique, ne se doutait pas des obstacles que les anciens s’activent à dresser sur le chemin des “novices“. Et elle n’a pas refusé le combat. Et elle s’y est engagée avec acharnement. Et méthodiquement. Cela se gagne étape par étape. En cela, Khawla se montre bourguibienne.
Quel sens donner à l’engagement en politique ?
Avec réalisme, KBA casse les codes. Avec résolution et détermination, elle marque des points. Le circuit classique est long et démobilisant. Il faut aller au feu, sans détour. En politique, les jeunes sont souvent relégués au “Poulailler“. Ils se retrouvent confinés dans cet espace, de dernier étage du théâtre où les spectateurs, confortablement installés dans les loges, les apostrophent, avec ce méprisant “Silence au poulailler“.
La jeunesse doit refuser les seconds rôles, et KBA l’a fait. Au seul motif d’être jeune membre du parti, elle se retrouve 4ème sur la liste des candidats. Elle refuse que l’on instrumentalise son engagement politique -un choix raisonné et non un coup de tête- pour compléter une liste. Juste pour faire nombre.
Vent debout et toutes griffes dehors, elle refuse le dernier rang. Pas de figuration. Elle se hissera à la deuxième place et fera son entrée à l’ARP. La jeunesse doit se battre, rappelle-t-elle, pour mener le combat, en tête. Cela donne un sens à l’engagement politique. On n’est pas encarté pour pantoufler et avoir des privilèges. Mais bien pour activer le changement. Et le changement c’est l’engagement au combat.
Quelle perception, chez la jeunesse, de l’engagement en politique ?
Les jeunes entre 30 et 40 ans engagés en politique ne sont plus tout à fait perçus comme des jeunes. On les voit rejoindre l’Establishment. Leur carrière est engagée. Ils sont sauvés. Se couperaient-ils pour autant de la jeunesse ? La suspicion s’empare des esprits, comme le laissent entendre les échanges, ce jour-là . Après, les 30–40 ans en politique se sont installés, pensent les jeunes toujours à la recherche d’un positionnement. Leur carrière est faite et même si tel n’est pas le cas, ils sont sur la voie. Les jeunes, même ceux qui étudient chez WSE, sont tentés par le départ. D’ailleurs, mentalement, un abonnement chez WSE est en soi une sorte de préparation au départ, qu’on veut sous forme de “démarrage à l’américaine“.
On a vu KBA très en peine de faire passer son cri du cÅ“ur “Youth, be the change“. Elle explique que c’est le Log in pour forcer le changement. Si les jeunes investissent les partis politiques, fatalement ils formeront le gros du bataillon. Et, sans aller jusqu’à prendre le pouvoir, ils auront leur mot à dire. Eux soutiennent que le changement c’est d’abord le changement de cap, synonyme de départ.
Quid de la société civile et des ONG ? C’est un engagement, de substitution. Il est certes responsable mais moins porteur que l’engagement dans les partis politiques. Les partis politiques sont les pépinières d’où sortent les projets et les dirigeants.
Comment faire prendre raison aux jeunes de cette vérité clamée haut et fort par KBA ? Ah si Jeunesse savait, soupire le vieux dicton. Le pire est que la jeunesse sait, parce qu’on n’arrête pas de le lui dire. Et, l’ennui dans tout cela, c’est qu’elle hésite à s’engager. Les jeunes continuent à garder leur distance et à jouer aux observateurs.
De la “réflexion naît l’action“, assène Charlie Brown, pour justifier son laxisme. Cet exercice a été bénéfique pour tous. Pour Khawla, ce fut une épreuve d’échauffement, en ce début d’année électorale. Et pour les jeunes apprenants, une fenêtre sur la réalité de ce qu’on attend d’eux.
A quand le déclic ?
Ali Abdessalam