On voit les pays arabes, courageusement, se délester du réflexe du communautarisme identitaire. A priori, ils pencheraient par pragmatisme et, selon l’inclination des peuples arabes, vers la communauté d’intérêts.
De l’idéalisme au réalisme, un aggiornamento durable ?
Le 30ème sommet de la Ligue des Etats arabes, lequel s’est achevé le 31 mars à Tunis, a travaillé en conformité avec son ordre du jour. Le communiqué final, dit “Déclaration de Tunis“, fait état de 17 résolutions, soit autant que les sujets retenus.
Cette touche procédurale n’est pas sans liaison avec le slogan de ce sommet de Tunis : “Résolution et solidarité“. Nous avons traduit ”El Aazm” par résolution par préférence à détermination.
Le président Béji Caïd Essebsi voulait un sommet “historique“. L’agenda décidé par le 30ème sommet, lequel sera supervisé par la Tunisie, possède, en effet, un profil conséquent.
Une gouvernance “bien guidée“
Le 30ème sommet de la LEA (Ligue des Etats arabes) ne fut pas sans éclats. L’affluence fut à son top. Ils étaient presque tous venus. En dehors de la Syrie -qui ne manquera pas de reconquérir son siège-, ils étaient presque tous là. Et même la demi-fugue de l’émir du Qatar, qui a quitté en plein travaux, n’a pas perturbé l’ambiance. En effet, la délégation qatarie est restée jusqu’à la fin du sommet.
Mohammed VI manquait mais on le sait occupé à recevoir le pape François. Et la rencontre des deux souverains n’a pas fait de l’ombre au 30ème Sommet. Et leur déclaration commune abonde dans le sens du sommet de Tunis.
Par ailleurs, l’Egypte et l’Arabie saoudite, les deux locomotives, stratégique et financière, du monde arabe n’ont pas cherché à dominer le sommet. La présidence tunisienne avait les coudées franches et a été régisseur de la partie de bout en bout, sans friction. Tous les Etats étaient traités sur le même pied d’égalité et tous les sujets ont été traités avec une égale responsabilité.
Les questions les plus brûlantes n’ont pas perturbé le bon déroulement de l’événement. Et du Liban à la Syrie en passant par le Soudan, la Somalie, le Yémen et enfin la Libye, elles n’ont pas manqué. Le sens de la mesure a prévalu.
Les Etats arabes, depuis le Sommet de Beyrouth en 2002, ont fait l’apprentissage de la discipline. On se souvient qu’à cette occasion le projet du Roi Abdallah d’Arabie Saoudite, portant sur le règlement de la question palestinienne avait recueilli les 22 signatures des chefs d’Etat, sans dissonance.
A Tunis, les pays arabes ont été plus loin et conviennent d’avancer ensemble, en concertation. La LEA devient un Parlement d’Etats et une instance d’examen et, qui sait, de règlement des litiges. Cette option est amorcée et le Sommet de Tunis l’impose comme choix du destin. C’est la seule solution qui le préserverait des ingérences extérieures, nombreuses. Et fort préjudiciables pour l’avenir, nous dirons le destin du monde arabe.
Le déroulement de ce trentième sommet a fonctionné de manière fluide. Les trois près-sommets, probatoires/préparatoires des ministres de l’Intérieur, des Affaires étrangères ainsi que de l’Economie, ont eu un déroulement séquentiel aisé. Et, au quatrième round, le sommet des chefs d’Etat s’est accordé avec l’état d’esprit général.
In fine, la Ligue arabe fonctionne de manière plus synchronisée que l’Union européenne -trop éclatée entre le Parlement, la Commission et le Conseil de l’Europe. L’Organisation se trouve, de ce fait, intronisée comme le directoire des Etats arabes. Tout donne à croire que cette volonté, unanimement partagée, pour la concertation, empêchera, désormais, le retour à l’ère des ingérences calamiteuses, entre Etats arabes. L’organisation devient dès lors une plateforme de gouvernance bien guidée.
L’option définitive pour la résolution politique des conflits
Le 30ème Sommet a été parasité par le feu vert des Etats-Unis à l’annexion du plateau du Golan par Israël, intervenu, comme par magie ou malédiction, ou qui sait par calcul, quasiment la veille de la tenue de cet événement. Mais la raison et le discernement ont prévalu à toutes les étapes du sommet. Et les dossiers les plus chauds, soit du Yémen à la Libye, ainsi que les remous de l’actualité algérienne, ont été traités avec ce qu’il faut de lucidité. Et il y a bien eu consensus. La réponse a été identique : privilégier la solution du dialogue politique.
Et de ce point de vue, BCE avait la partie belle. Il a bien fertilisé cette option en Tunisie et le couronnement n’était pas des moindres. Le Nobel a été décerné à la Tunisie, récompense suprême. Cette thérapie est donc à prescrire. Il ne faut pas passer sous silence le protocole qui accompagne cette médication. Il comporte un grand travail d’ingénierie des relations internationales et une parfaite connaissance de la situation dans la région. Les pays arabes n’en sont pas coupés du reste du monde. De ce fait, n’est-il pas plus avisé d’embarquer le voisinage proche dans une perspective élargie d’un devenir commun ? Les décisions qui seront prises auront plus d’effet, c’est automatique.
Une méthodologie conséquente
Ce Sommet aura été arabe jusqu’au bout des ongles. En langue arabe, on aime la concision “Ma kalla wa dell“. Et en effet, la raison a fait que l’on a peu palabré. Et les travaux n’ont pas patiné. Et de tradition, les Arabes, avant de s’engager sur un chemin, commencent par choisir le compagnon de route “Errafik, kabla Attarik“.
Le sommet s’est entouré de partenaires de poids. En diplomatie, BCE est un tailleur de première bourre. Et le tour de table confectionné par ses soins configure une armature diplomatique, à l’épreuve des chocs. Et ces partenaires ne se sont pas dérobés à cet appel de l’Histoire. L’Union africaine et l’Union européenne, pour souligner les prolongements africain et méditerranéen du monde arabe, ont accouru. Et le parapluie de l’ONU a adoubé cette configuration. Le monde arabe évite, dans ce cas, d’affronter l’adversité/l’unilatéralisme, seul.
L’attelage dont il s’est doté lui évite un choc frontal. Nous revoilà dans l’ambiance de 1945, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. C’est un coup de force de la part des organisateurs de ce sommet de vouloir faire revenir un ordre mondial où domine la légalité internationale. L’ONU et sa Charte pourraient-elles redevenir le référentiel dans le traitement des conflits ? Il est aisé, en ces conditions de primauté du Droit, “Rule of Law“ disent les Anglo-saxons, de plaider les causes justes.
A titre d’exemple et pour revenir sur un fait récent, il est aisé de démontrer l’inconsistance de la décision américaine. Car celle-ci se retrouve privée de tout bien-fondé juridique. Et cette conclusion ne peut pas être retournée contre les Etats arabes, étant donné qu’elle aura été parrainée par la communauté internationale. La politique du fait accompli sera-t-elle vaincue par la force du droit ? Jouer le Droit contre l’Hégémonie est une option qui éloigne le spectre des conflits armés. Cette option est courageuse et il fallait bien y venir.
LEA, sur une nouvelle orbite
Par divers canaux et surtout les courants idéologiques, le monde arabe a été parasité par les puissances étrangères. Les ingérences entre Etats et les luttes intestines avaient pour prétexte un différend idéologique. Et cela lui a causé bien du tort car il est menacé dans son existence du moment que ses intérêts sont convoités et souvent pillés. Le meilleur antidote, préconise le Sommet de Tunis, est le consensus et le dialogue politique. De la sorte, le spectre de la guerre civile, prétexte courant pour légitimer l’intervention des puissances étrangères, se trouve endigué.
En Tunisie, le processus du “printemps arabe“ a été maîtrisé et il serait en train d’être mis sur un itinéraire vertueux. Et c’est une prouesse, en soi. Il y a bien eu bon usage de l’ingénierie politique avec un recours sans appel au consensus. C’est la solution coupe-feu. Est-elle une solution tous terrains, opérante partout ? En la matière, l’expérience tunisienne, souvent mise en avant, sert de faire valoir.
L’essentiel est de faire accréditer ce choix de dialogue politique. Et le sommet a marché dans cette voie. Après, on pourra dealer au gré des circonstances. Mais on le fera avec l’assurance de quelqu’un qui est dans son bon droit. Le seul fait de délégitimer l’ingérence de pays tiers dans des conflits locaux suffit-il à mettre dehors leurs armées ?
La réponse viendra entre autres de la suite de la crise en Libye. Avec résolution, les Etats arabes appuient la solution consensuelle où siégeraient le Maréchal Hafta et les islamistes. A l’exception toutefois des radicaux activistes. Ce que personne ne pourra contester. L’islam politique intégré à la scène nationale, sans hostilité, serait moins enclin à jouer son rôle de parti de l’étranger renonçant à ses ramifications confréristes et du coup à son obsession unioniste. C’est à la fois habile tout en étant quelque peu risqué. Mais qui ne tente rien n’a rien.
Par ailleurs, l’antagonisme entre l’Iran et l’Arabie saoudite connaîtra-t-il un épilogue ? Cet antagonisme, qui s’exerce par des affrontements sur terrain en Irak, en Syrie et au Yémen, trouvera-t-il une voie de résolution par la négociation ? Le seul fait de démasquer un pays hostile le contraindra-t-il à se remettre en question ? En tous cas, de la sorte on lui lance un appel au duel, franc et sans détours. Alexandre, pour défaire le “Nœud Gordien“, a dû se servir de son épée pour le trancher. On sait, en théorie des jeux qu’en certaines circonstances, au lieu de s’épuiser à tourner en rond, il vaut mieux secouer le cocotier et à Dieu va.
Le patriotisme aura-t-il raison du nationalisme sous toutes ses formes ? L’avenir du monde arabe viendrait, nous le pensons, de l’issue de cette confrontation.
Ali Abdessalam