Samedi 6 avril 2019, c’était le 19e anniversaire du décès de Habib Bourguiba, leader du mouvement national et premier président de la République tunisienne.
Dix-neuf ans après sa mort et plus d’un quart de siècle après la fin de son règne, le bourguibisme est toujours d’actualité, une mémoire obstinée. L’héritage de Bourguiba, avec ses acquis et ses aspects négatifs, constitue une composante essentielle de l’histoire de la Tunisie moderne.
Des historiens, observateurs et autres politiques pas forcément d’accord avec sa politique conviennent désormais que le bilan de Bourguiba est un héritage commun dès lors qu’il a conduit le mouvement national et a été l’un des fondateurs de l’Etat moderne.
Une idée corroborée par l’historien Abdellatif Hannachi qui estime que : “Ce patrimoine doit constituer un héritage commun sans être l’apanage de quelque partie que ce soit. Certaines parties n’ayant pas reconnu les acquis de Bourguiba se sont rétractées et ont finalement rendu hommage à ses réalisations”.
Des partis destouriens fragmentés rassemblés autour de l’héritage de Bourguiba
Des partis politiques à référentiel destourien plaident de plus en plus pour la réhabilitation du bourguibisme et pour le parachèvement du processus réformiste.
Il s’agit principalement de Nidaa Tounes -fondé par le président Béji Caïd Essebsi-, ainsi que des partis Al Moubadara, Al Watan (qui a fusionné avec le Mouvement Machrou Tounes), Al Moustakbal, Machrou Tounes et Tahya Tounes (attribué au chef du gouvernement Youssef Chahed) et le Parti destourien libre (PDL).
La majorité de ces partis se dispute l’héritage de Bourguiba et de la pensée réformiste tunisienne. Ils se disent mobilisés contre tout projet passéiste. Ils ont choisi Monastir, ville natale de Habib Bourguiba, pour annoncer la création de leurs partis depuis 2011. Ils y ont tenu leurs congrès et veillent à commémorer l’anniversaire du décès de Bourguiba et à visiter le Carré de sa famille tous les ans.
Une attitude qui témoigne, selon des observateurs, de l’incapacité à concevoir un nouveau projet. L’historien Abdellatif Hannachi considère que les partis qui parlent au nom de Bourguiba et se réclament de son héritage, sont en fait dans l’incapacité de présenter une nouvelle alternative applicable dans le contexte présent et d’avoir la vision prospective de Bourguiba.
Des partis comme Al Moubadara, commémorant l’anniversaire du décès de Bourguiba, écrit “Dans la conjoncture actuelle et face aux difficultés que traverse la Tunisie il y a un besoin persistant de s’inspirer de la pensée bourguibiste. L’héritage de Bourguiba, poursuit Al Moubadara, sera un phare éclairant la voie de ceux qui œuvrent à préserver l’indépendance du pays, sa sécurité et sa stabilité et à réaliser son développement et son invulnérabilité”.
Pour l’historien Abdellatif Hannachi, l’objectif essentiel de ces partis est d’accéder au pouvoir et non de faire perdurer l’école bourguibienne en la renouvelant ou en adoptant une vision prospective de nature à renforcer l’Etat.
Bourguiba …une mémoire collective
Pour sa part, l’écrivain et historien Khaled Abid estime que “tous ceux qui se réclament de la pensée de Bourguiba doivent cesser d’instrumentaliser son parcours dès lors qu’ils sont dans l’incapacité de l’égaler”.
L’historien considère que Bourguiba est aujourd’hui partie intégrante de l’histoire et constitue un héritage en partage pour tous les Tunisiens. Il est inadmissible que certains tentent de s’attribuer son parcours. La comparaison se fait avec les “leaders du 20e siècle” qu’il a lui-même côtoyé comme Jawaharlal Nehru, Ahmed Sukarno et Jamel Abdennaceur, a-t-il lancé.
Plusieurs opposants de Bourguiba soutiennent le même raisonnement: Ahmed Nejib Chebbi considère que Bourguiba représente un pan de l’histoire tunisienne dès lors qu’il a conduit le mouvement de libération, édifié l’Etat moderne et libéré la femme tunisienne. De par tous ces critères, Bourguiba fait partie de l’héritage commun des Tunisiens, a-t-il conclu.
Le dirigeant du parti Al-Irada, Imed Daimi, considère que de nombreux Tunisiens sont unanimes quant aux acquis de Bourguiba. Ceux qui s’identifient aujourd’hui à Bourguiba n’ont pas pris la peine de lui rendre visite alors qu’il était en résidence surveillée à Monastir, a-t-il critiqué. Ils n’ont pas assisté à ses funérailles alors que l’ancien président, Moncef Marzouki, y était, a-t-il taclé.
Pour l’écrivain Abderrahmen Mnif, celui qui fait une fausse lecture de l’histoire, aura forcément une fausse lecture du présent et de l’avenir.
“La lecture erronée de l’itinéraire de Bourguiba est une doxa dominante en Tunisie. Entre ceux qui le glorifient et ceux qui le méprisent, la grandeur de Bourguiba réside dans son rôle de protagoniste de l’histoire”.