Au cours de ces dernières années, certains romanciers et écrivains tunisiens ont tenté d’écrire leurs œuvres autrement, c’est-à-dire dans la langue de Abdelaziz Laroui, en dialecte tunisien. Ce nouveau style ou choix d’écriture a attiré l’attention des lecteurs, universitaires et éditeurs en suscitant, d’une part, la crainte de ceux qui défendent jalousement la langue arabe littéraire, et, d’autre part, l’ouverture d’autres à une nouvelle tendance d’écriture qui émane directement de leur langage courant.
L’écriture narrative dans le dialecte tunisien a été le thème d’une rencontre organisée dans le cadre du programme culturel de la 35ème édition de la Foire internationale du livre avec la participation des deux écrivains, Dhia Bousselmi et Anis Ezzine.
Dédiée à l’homme de théâtre Taoufik Jebali, cette rencontre a été l’occasion pour les deux auteurs d’expliquer leurs choix d’écrire autrement, c’est-à-dire en dialecte tunisien qui constitue, selon eux, une langue en soi et non pas un simple dialecte.
De leurs points de vue, écrire en dialecte n’est pas une prise de position contre l’arabe littéraire mais un choix qui vise à défendre une partie de l’identité nationale. Ecrire en dialecte n’est pas du tout un refus de l’appartenance géopolitique de la Tunisie à son milieu arabe ou islamique. Il s’agit pour eux de mettre en valeur une langue vivante en perpétuelle évolution.
La preuve: la différence du lexique d’une génération à une autre et l’émergence de nouvelles expressions et la disparition d’autres, ont-ils témoigné.
D’ailleurs, pour sa traduction du français vers le dialecte tunisien du célèbre livre “L’étranger” d’Albert Camus, Dhia Bousselmi a remporté en 2018 le prix de la fondation Rambourg de l’écriture littéraire, a rappelé l’auteur qui a également traduit la conférence du philosophe français Gilles Deleuze “Qu’est-ce que l’acte de création?” vers le dialecte.
En défendant ce choix, il s’est interrogé “quelles sont les raisons pour que la littérature ou la philosophie ne soient pas écrites en dialecte tunisien? Ceux qui critiquent ce genre d’écriture, a-t-il estimé, sont ceux qui adoptent une approche “de cloisonnement” en imprégnant la langue arabe de la notion du sacré parce que pour eux c’est la langue du coran, alors que l’écriture est un acte libre qui n’a pas de limites.
En effet, l’écriture est un symbole d’ouverture. D’ailleurs, Anis Ezzine a souligné que son roman “El Fingua” a été compréhensible pour les Algériens, les Marocains, les Jordaniens et bien d’autres, niant à cet égard l’idée que l’écriture en dialecte tunisien ne soit pas compréhensible.
Et d’ajouter: “Quand j’écris en arabe, je ne mène pas de guerre contre l’arabe car l’essentiel pour moi reste toujours d’écrire tout simplement”.
L’auteur a saisi l’occasion pour lancer un appel à traiter avec l’écrit comme un texte créatif comme c’est le cas pour les autres expressions artistiques utilisant le dialecte comme le théâtre, le cinéma, la poésie, etc.
Ce qui est sûr, ont relevé les intervenants, c’est que le fait d’écrire autrement n’est pas du tout un crime. D’ailleurs, ont-ils rappelé, l’ouvrage “Eddegla fi arajinha” dont le grand Bechir Khraief a été critiqué en 1958 pour avoir utilisé le dialecte et l’arabe classique, est actuellement classé parmi les 100 romans arabes les plus considérables.
Ramzi Cherif, président de l’association “Derja” a tenu à préciser qu’il n’existe réellement pas de confits entre l’arabe et le dialecte mettant l’accent sur la présence de la culture arabe, amazigh et méditerranéenne en Tunisie. Partant de ce constat, l’écriture en dialecte ne met pas en doute toutes ces identités.
Pour d’autres, la langue arabe est la langue fédératrice alors que le dialecte change et diffère du nord au sud ce qui rend sa compréhension difficile. Un avis partagé par un grand nombre d’éditeurs qui estiment que l’écriture en dialecte constitue un vrai handicap pour la diffusion du livre tunisien et sa distribution en dehors des frontières.