Chasse le naturel, il revient au galop ! La résignation et la passivité, traits caractéristiques des Tunisiens du temps de Ben Ali, n’ont pas disparu. A se demander si nous méritons liberté et démocratie.
Le soulèvement du 14 janvier 2011 a peut-être donné la liberté de parole aux Tunisien, mais il ne nous a pas poussés à devenir plus engagés dans la chose publique et à agir de manière efficiente pour améliorer une réalité devenue dure et même insupportable !
La cherté de la vie, l’insécurité, les faits divers, les viols, les braquages, les bradages et les mouvements sociaux sont devenus le quotidien du Tunisien qui s’y est habitué. Ils ne soulèvent plus aucune indignation chez lui tout comme le fait d’entendre parler d’un soldat qui a perdu sa vie ou sa jambe dans l’une des montagnes de la dorsale nord ou centre-ouest.
Parler dans le vide…
A force d’en parler, on ne les voit plus, elles font partie du décor. Comme en témoignent les actions continues de l’INLUCC qui ne soulèvent plus le courroux des contribuables ou encore la récente conférence de presse organisée par Samia Abbou à propos de la corruption des services douaniers à laquelle on n’a pas accordé une grande importance.
La qualité de l’éducation s’est dégradée à cause du manque de formation des enseignants en nombre suffisant et des locaux inadaptés ; les services de santé sont délabrés, et dans les hôpitaux, faute de chambres et de personnel médical, les opérations sont réalisées à la chaîne au risque de voir les erreurs médicales se multiplier. Les maladies nosocomiales mortelles sont devenues fréquentes.
D’autres maux banalisés
Mais il n’y a pas que la dégradation des services publics qui fait peine à voir : l’impolitesse, l’irrespect et l’absence totale du civisme sont devenus les traits de caractère du Tunisien réputé naguère courtois et poli.
Il suffit de voir l’agressivité de certains passants dans les rues de la capitale ou encore les conducteurs (ivres) brûlant les feux et les priorités, circulant dans des sens interdits et insultant ceux ou celles qui osent protester, pour réaliser que notre pays vit une grande mutation sociologique, mais dans le mauvais sens.
L’inquiétante ruralisation de nos villes
Les villes se ruralisent et la vétusté gagne aussi bien les bâtisses que les réseaux routiers qui se dégradent de jour en jour. Vous pouvez vous plaindre jour et nuit, la réponse est : « les financements manquent ». A la médiocrité des services publics, on répond par des impôts au demeurant très élevés.
Devons-nous entrer dans la logique de la désobéissance civile et la résistance fiscale ?
Les compétences se calfeutrent
Quant à l’administration à laquelle on reprochait déjà sa lourdeur, ajoutons aussi incompétence, indiscipline et frilosité. Les quelques rares compétences qui y sont restées attendent impatiemment l’heure de la retraite ou se calfeutrent dans leurs bureaux de peur que les nouveaux parvenus, nommés par allégeance, leur rendent leurs vies plus dures qu’elles ne le sont déjà.
Ceci sans oublier les tout-puissants syndicats qui font la pluie et le beau temps dans presque toutes les institutions tunisiennes et tous les établissements publics, outrepassant ainsi les prérogatives de défendre les droits des travailleurs pour décider même des nominations !
L’intérêt général sacrifié au populisme et aux petits intérêts personnels !
Les Tunisiens se plaignent de tout. Les lamentations sont devenues un sport national. C’est à qui mieux mieux. Ils se plaignent mais ne bougent pas le petit doigt pour que cela change, en commençant par eux-mêmes. Nous voulons la liberté et la démocratie mais sans en payer le prix et surtout sans en honorer les obligations et en assumer la responsabilité.
Ils veulent de gros salaires sans travailler et sans produire. Ils veulent s’exprimer librement sans peser les conséquences de leur liberté démesurée sur les autres et leur pays.
Quid des médias?
Quant aux médias, à quelques exceptions près, ils sont tellement dans la logique du buzz qu’ils en oublient les questions de fond, pourtant souvent déterminantes pour l’avenir de la nation.
Bientôt 9 ans depuis le 14 janvier 2011, mais la Tunisie n’arrive toujours pas à se remette sur pieds. Les initiateurs internationaux du printemps arabe s’impatientent. FMI et Banque mondiale sont dépités. Voilà un pays qui a été gâté, pourri par les institutions internationales et qui peine à remettre les pendules à l’heure.
La lassitude des bailleurs de fonds
A bout de patience, les premiers bailleurs de fonds du monde deviennent exigeants, pire cassants : « osez vos réformes ou on ne vous aide plus ! ». Les Etats-Unis, protecteurs de la Tunisie en 2011, se foutent royalement de ce qui peut advenir d’elle. Ils ont eu ce qu’ils voulaient : Ben Ali et son régime ont été dégagés, la Libye et la Syrie ont été détruites. Et le standing Ovation d’Obama et Clinton, dont les Tunisiens ont été fiers en 2011, était plus que de la poudre aux yeux, une arme de destruction massive qui a non seulement mis à mal notre pays mais a été un raz de marée dans toute la région MENA. Seul l’occupant israélien a été épargné.
La Tunisie est aujourd’hui comme un malade en salle d’opération auquel on a ouvert le ventre et ensuite parti en plein milieu de l’opération laissant son abdomen ouvert !
Qui en est responsable ? Nous le sommes tous autant que nous sommes : des leadership obnubilés par le pouvoir qui usent de tous les moyens possibles et imaginables pour y rester, garder leurs privilèges et protéger leurs intérêts ; un peuple qui refuse de payer le prix de sa liberté par plus de patriotisme et de travail ; et une intelligentsia malade de son ego et de son instinct de survie qui ne veut prendre aucun risque de confrontation avec les centres de pouvoir en place (partis, syndicats et gouvernement).
La démocratie et la liberté se méritent. Les méritons-nous ?
Amel Belhadj Ali