Dans une tribune, Lotfi Farhane, professeur des universités au ministère de l’Enseignement supérieur, qualifie notre enseignement supérieur, aujourd’hui, de “copieuse ratatouille tunisienne”.
Sans nostalgie aucune des régimes post-indépendance, il faut reconnaître qu’à l’époque les ministres de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur ne suscitaient probablement pas l’engouement général pour leurs politiques suivies et les programmes appliqués.
Mais ils forçaient le respect par leurs qualités scientifiques indéniables et leurs valeurs académiques incontestables. Ce qui n’est pas le cas actuellement, où on assiste au défilé de ministres et de grands commis de l’État sans aura, politiquement transgéniques et qui doivent leurs postes plus à un concours de circonstance et des accointances qu’à leur talent, tous jaillis accidentellement de l’emmanchure d’une tectonique et d’un soubresaut de l’Histoire !
Il faut s’armer de patience pour démêler les fils et tirer au clair l’imbroglio en plusieurs actes dont le théâtre est l’Université tunisienne publique, ou ce qu’il en reste…
Ijaba et sa grève administrative
Des accords âprement obtenus et conjointement signés in extremis, l’année dernière, par le syndicat IJABA et le ministère n’ont pas été respectés. En réponse, ce syndicat a remis le couvert : grève administrative suivie d’un sit-in au ministère qui perdure encore.
Et pendant ce temps, le ministre, plongé dans un profond autisme, n’a trouvé mieux que de geler les salaires des collègues et de sautiller d’une station de radio à un plateau télévisé pour dénigrer et raconter sa propre vérité…
Licence unifiée de sciences de l’éducation…
En outre, les ministères de l’Education et de l’Enseignement supérieur ont bidouillé, à la hâte, un projet de licence unifiée de sciences de l’éducation.
Un directeur, dans une attitude puérile d’un potache pressé et tout content de montrer son carnet de notes à son paternel, a commis la bourde d’annoncer laconiquement dans le journal télé sa création et la fin du CAPES, ce qui a eu l’effet et l’éclat de la chute d’un étron du sixième étage !
Apprendre à communiquer
La communication est un art et une science dans laquelle, hélas, n’excellent pas nos dirigeants… Du coup, déclenchement de toute sorte d’interprétations et un mouvement de grève dans plusieurs facultés, une occupation pacifique du ministère par des étudiants mécontents, délogés par les forces de l’ordre qui n’ont pas perdu la main et se sont délectées de nouveau du plaisir de “casser l’étudiant !“.
Dans un mouvement solidaire et de protestation, leurs collègues ont occupé l’université de Monastir, empêchant les fonctionnaires d’accéder à leurs bureaux.
De retour d’une mission enrobant un petit pèlerinage chez les wahhabites, le recteur a refusé de discuter avec ces étudiants, demandant préalablement la levée du sit-in… Comme si cette situation n’était pas assez putride, certaines bonnes âmes ont soufflé aux administratifs et ouvriers des établissements universitaires que si cet état perdure, ils risquent de ne pas pouvoir toucher leurs salaires pour attaquer le mois de Ramadan.
Un rififi à la saveur monastirienne
Chauffés à blanc et flairant un risque de famine, ils sont partis par bus entiers prêter main forte au recteur et, tels des miliciens, en découdre avec ces étudiants récalcitrants. Ce rififi à la saveur typiquement monastirienne a généré un échange de violences physiques, des coups et des blessures ; les forces de l’ordre se contentant de suivre placidement ce spectacle désolant et inédit !
Plus tard, une intervention nocturne et musclée a permis d’évacuer le rectorat. Les occupants, bien escortés dans leur périple, se sont vus transmettre, encore par certaines bonnes âmes, un message subliminal leur suggérant qu’ils pourraient délocaliser leur sit-in à la faculté des sciences en se gardant d’en informer le doyen, ce qu’ils ont accompli illico, suscitant, le lendemain, l’indignation du doyen et de tout le corps enseignant de la faculté et entraînant la suspension des cours…
L’UGTT… encore elle!
Pour compléter le tableau et cerise sur le gâteau, l’UGTT, voyant grignoter ses parts de marché, est montée au créneau dans le temps additionnel, pour ramener sa fraise, rappeler ses acquis et appeler à la tenue impérative des examens, ce que souhaite tout le monde…
Année blanche, bleue, rose ou en arc-en-ciel, une seule certitude est qu’on aura des programmes abrégés et, au final, une formation au rabais.
Voilà, une copieuse ratatouille avec IJABA, UGTT, UGET, UGTE et des indépendants, chacun jouant son va-tout !
Doutes, questionnements et inquiétudes sur l’avenir : professeurs et étudiants poirotent ou sont en grève depuis les dernières vacances avec en face un ministre sur un nuage et fuyant en avant. À croire que dans un dessein macabre, on cherche délibérément le pourrissement et l’implosion …
Une situation inextricable, fort désagréable et qui ne présage rien de bon, donnant le tournis à tous les acteurs intervenants sauf au président du gouvernement qui, au milieu de ces miasmes politiques, est dans sa bulle, affichant une agaçante fausse zénitude, confiné dans ses certitudes, se regardant le nombril et s’auto-congratulant par une grandiloquente description de ses réalisations et de son bilan…
Somme toute, je ne vois que deux interprétations de son attitude imperturbable et cette volonté de prouver qu’il est, contrairement à ses prédécesseurs, inflexible : il est totalement déconnecté de la réalité et inconscient du magma bouillonnant de la rue et des dangers extérieurs qui guettent le pays, ou encore, il développe un comportement larvaire et nourrit une graine malsaine et dangereuse d’un despote !
Tout laisse à croire que la mèche est allumée mais personne ne connaît ou ne parie sur sa longueur pour atteindre le baril d’explosifs !
Lotfi Farhane, professeur des universités au ministère de l’Enseignement supérieur