La loi relative à l’amélioration du climat de l’investissement a pour objectif de dégripper la roue de l’investissement et d’en éliminer les goulots d’étranglement. C’est ce qu’a affirmé le conseiller juridique du ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, Kamel Ayari, dans une interview à l’agence TAP.
Il s’agit d’une loi transversale adoptée le 23 avril 2019 par l’ARP, qui vient combler les lacunes du dispositif juridique déjà existant.
Qu’est-ce qui a motivé la promulgation de cette loi n°22/2019, sachant que l’arsenal juridique relatif à l’investissement compte déjà la loi sur l’investissement, entrée en vigueur le 1er avril 2017 ?
Kamel Ayari: La loi relative à l’amélioration du climat de l’investissement est une loi transversale. C’est vrai qu’il ne s’agit pas de la première loi du genre (il y a aussi celle de décembre 2007), mais ce qui la distingue c’est l’importance de son envergure, puisqu’elle touche à environ une quinzaine de lois existantes, en essayant de combler leurs différentes lacunes juridiques et d’éliminer les goulots d’étranglement qui bloquent jusque-là la roue de l’investissement.
Cette loi est basée sur un diagnostic juridique profond qui touche à tous les aspects de l’investissement, afin d’identifier les obstacles à lever sur le plan législatif. Son élaboration a obéi à une approche participative qui a impliqué toutes les parties et structures concernées. 14 réunions et 2 workshops, ont été organisés pour confronter toutes les propositions formulées, suite à quoi un premier draft a été conçu. Lequel a été réexposé aux différents intervenants pour y apporter les ajustements nécessaires, avant d’être transmis à l’ARP où il a subi quelques modifications.
Quels sont les goulots d’étranglement que cette loi se propose d’éliminer ?
Cette loi s’articule en effet en 4 chapitres. Le premier chapitre s’attaque à la bureaucratie administrative et vise à simplifier davantage les procédures et à réduire sensiblement, la paperasse.
Ce chapitre introduit certains principes, pour la première fois, en Tunisie. A titre d’exemple, je cite le fait que l’administration publique n’a plus le droit de demander un document qu’elle détient déjà. Par exemple, un ministère donné ne peut plus demander une autorisation délivrée par une municipalité. Ce principe consacre l’interconnexion entre les différentes structures publiques, dans l’objectif d’une optimisation du temps de réponse.
Ce chapitre prévoit aussi, des dispositions particulières pour les sociétés de commerce internationales et les entreprises unipersonnelles, à responsabilité limitée, afin de toucher aux petites entreprises.
La plupart des PME tunisiennes sont aujourd’hui sous-financées et ont un problème d’accès au financement
Le deuxième chapitre concerne encore un défi important pour notre tissu économique, à savoir le financement. La plupart des PME sont aujourd’hui sous-financées et ont un problème d’accès au financement. Il ne s’agit pas d’un problème de disponibilité de l’argent – l’argent est disponible au niveau des banques, des SICAR et des sociétés de leasing- mais plutôt d’un problème d’accès à cet argent.
Cette loi se propose de faciliter l’accès des PME au financement, en atténuant les coûts de ce financement et en les aidant à supporter l’effet de la hausse du taux directeur. Ainsi, l’Etat prendra en charge, en vertu de cette loi, 3 points du coût des crédits accordé aux PME, qui devrait s’établir suite à la récente hausse du taux directeur, à environ 11%.
Cette loi autorise SICAR à financer aussi les besoins de restructuration des PME
Cette loi autorise, par ailleurs, les Sociétés d’investissement à capital risque (SICAR) qui financent essentiellement les PME, à financer aussi, en bénéficiant d’un avantage fiscal, les besoins de restructuration des PME durant la phase dite de la “vallée de la mort”, c’est-à-dire les 3 premières années de la vie d’une entreprise. Ce type de financement, les SICAR n’étaient pas autorisées à faire.
Cette loi encourage encore, la création des fonds spéciaux (fonds d’amorçage, fonds spécialisés) mais ce qui est nouveau, c’est qu’elle donne aussi à ces fonds, la possibilité d’avoir des lignes de financement en devises (financements par les Tunisiens résidents à l’étranger par exemple). Ces fonds auront ainsi, la possibilité de financer des projets en Tunisie ou des projets à l’étranger essentiellement, en Afrique.
Le troisième chapitre se rapporte aux concessions et aux partenariats publics privés (PPP). Les concessions sont régies par une loi datant de 2008, mais le problème avec cette loi, c’est qu’elle ne favorise pas l’accès des PME aux concessions, c’est-à-dire qu’elle ne prend pas en considération les petites concessions. La nouvelle loi comporte des dispositions permettant à ces entreprises d’y accéder.
Les PPP sont aussi régis par une loi datant de 2015, mais celle-ci limite l’intervention de l’opérateur privé à la construction et l’installation du projet en question
Les PPP sont aussi régis par une loi datant de 2015, mais le problème c’est qu’il n’y a pas eu de PPP depuis, pour la simple raison que la loi de 2015, limite l’intervention de l’opérateur privé à la construction et l’installation du projet en question, sans lui donner la possibilité d’exploitation, contrairement aux expériences internationales réussies en matière de PPP. Et c’est ce qui explique la réticence jusque-là manifestée par les investisseurs à l’égard du PPP.
La nouvelle loi leur offre à ces investisseurs la possibilité d’exploitation des projets réalisés, selon des conditions bien définies. Elle accorde une bonification aux porteurs d’idées en matière de PPP qui ont aussi un droit de propriété intellectuelle sur leurs idées.
Le quatrième chapitre, non moins important, se rapporte à la gouvernance des sociétés privées qui sont les véritables moteurs de l’économie. Cette loi vise à améliorer leur gouvernance afin de consolider leur dossiers par rapport aux banques et institutions de financement mais aussi de protéger les épargnants et les actionnaires minoritaires.
Est-ce qu’il y a dans cette loi, des avantages spécifiques aux IDE ?
Cette loi traite à pied d’égalité tous les investisseurs nationaux et étrangers. Il n’y a aucune forme de discrimination ni positive ni négative vis-à-vis des IDE.
Le seul article se rapportant aux IDE concernait l’ouverture du secteur de l’enseignement supérieur privé aux investisseurs étrangers mais il a été rejeté à l’ARP.
Est-ce qu’il y a un focus particulier sur certains secteurs ?
Nous n’avons pas voulu favoriser des secteurs au détriment d’autres, mais il y a quelques dispositions spécifiques à certains dossiers.
A titre d’exemple, pour les énergies renouvelables, cette loi ne prétend aucunement, vouloir privatiser la STEG, mais nous avons juste voulu accorder quelques facilités aux entreprises privées désireuses de produire leurs besoins en électricité à partir d’énergie renouvelable, ce qui est déjà autorisé par la loi de 2015 sur les énergies renouvelables.
En effet, cette loi donne la possibilité aux entreprises privées de produire de l’électricité à partir d’énergie renouvelable pour leurs propres besoins et de vendre l’excédent à la STEG, à condition que chaque entreprise monte sa propre unité de production, ce qui est coûteux.
cette loi donne la possibilité aux entreprises privées de produire de l’électricité à partir d’énergie renouvelable pour leurs propres besoins et de vendre l’excédent à la STEG
La nouveauté avec la nouvelle loi, c’est qu’elle donne la possibilité pour un groupement de sociétés se situant dans le même espace géographique de monter une unité commune, ce qui réduira les charges et les coûts se rapportant à cet investissement, incitera davantage ces sociétés à recourir aux énergies renouvelables et réduira la pression sur la STEG.
La nouvelle loi comporte aussi, une disposition visant la réduction des délais de réponse sur les demandes de changement de vocation des terres agricoles de 2 /3 années actuellement, à 3 mois maximum. Elle n’intervient pas sur la nature de la réponse à donner, mais elle vise juste à l’accélérer, en exigeant aussi d’argumenter en cas de refus.
La disposition relative à la création d’un comité d’autorisation pour les investissements dépassant les 15 millions de dinars a suscité une certaine polémique. Qu’en est-il au juste ?
Cette loi prévoit en effet, de mettre en place, au sein de l’Instance tunisienne de l’investissement (ITI), un comité d’autorisation chargé d’étudier les demandes d’autorisation pour les investissements qui dépassent 15 millions de dinars. Ce sont souvent des projets intégrés qui nécessitent plusieurs autorisations à la fois
Ce comité qui regroupe des représentants (directeurs généraux) des différentes structures concernées (STEG, SONEDE, ministère…) centralisera toutes les demandes formulées par ces investisseurs dans l’objectif d’optimiser les délais et les procédures de réponse.
Il ne faut pas se leurrer, en Tunisie, on n’a pas beaucoup de projets qui dépassent les 15 millions de dinars. Ces investisseurs ne font pas non plus la queue pour venir investir en Tunisie. Un mécanisme d’accélération du traitement des dossiers, est plus que nécessaire pour pouvoir les attirer.
Il ne faut pas se leurrer, en Tunisie, on n’a pas beaucoup de projets qui dépassent les 15 millions de dinars
Ce comité aura à délibérer, à initier les études nécessaires et à consulter les différentes parties concernées, avant de répondre par la positive ou la négative aux demandes d’autorisations formulées. Sa réponse est aussitôt, transférée au ministre de tutelle qui a un droit de veto dans un délai de 15 jours. En cas de veto, le dossier doit être transféré au Conseil supérieur de l’investissement (CSI).
Tous les garde-fous nécessaires sont donc mis en place pour garantir la transparence, la traçabilité et la légalité des autorisations à accorder par ce comité. Les accusations de corruption et de malversation qu’on entend s’exprimer ici ou là sont complètement infondées.
Il faut savoir ce que l’on veut dans ce pays. Si on veut que l’investissement reprenne, il faut mettre en place les mécanismes qui doivent servir cette fin.
Dans cette loi, nous avons été audacieux, nous avons osé mais nous avons travaillé, sans interférence, sans consignes ni même recommandations de l’extérieur. C’est une loi qui part d’un diagnostic interne, que nous avons fait nous-mêmes et qui sert nos propres intérêts.
Pour quand l’entrée en application effective de cette loi ?
Cette loi a été adoptée le 23 avril 2019. Il faut attendre les délais du recours constitutionnel (7 jours). Suite à cela, elle sera signée par le Président de la République et publiée au JORT pour être applicable.
S’il y a un recours, il faut attendre la réponse de l’Instance chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi.
Les trois ou quatre décrets d’application nécessaires à la mise en application de cette loi sont en phase finale d’élaboration et devront être émis 2 à trois semaines après l’entrée en vigueur de la loi.
Les trois ou quatre décrets d’application nécessaires à la mise en application de cette loi sont en phase finale d’élaboration
Et nous espérons que cette loi aura l’effet escompté en matière de relance de l’investissement.