Aujourd’hui plus que jamais, la compagnie nationale aérienne parie sur la ponctualité. Ali Miaoui, le directeur général commercial adjoint de l’entreprise assure même que “Tunisair repart sur la ponctualité et la qualité de service…”
Tunisair a souffert ces dernières années parce que les gouvernements successifs depuis 2011, pour des raisons de méconnaissance du secteur, d’incompétence, ou selon certains de volonté manifeste de mettre la compagnie à genoux, on n’a rien fait pour la remettre d’aplomb. Les crises successives traversées par Tunisair ayant surtout trait à l’instabilité sociale, la ponctualité et la qualité des prestations ont eu le mérite de mettre l’accent sur une compagnie fragilisée, financièrement et socialement, et métastasée de l’intérieur au point de ne plus disposer des moyens de son développement et même de sa survie.
Le CMR tenu lundi 20 mai 2019 a eu le mérite d’oser pour sauver! On a osé y prendre des décisions courageuses et parfois douloureuses avec pour seul objectif : sauver une compagnie symbole de souveraineté nationale et chère à tous les Tunisiens patriotes.
Le point avec Ali Miaoui, directeur général commercial adjoint de Tunisair.
WMC : Le CMR et ses décisions sauveront-ils Tunisair ?
Ali Miaoui : Le défi auquel est confronté Tunisair, c’est le rétablissement de la confiance. Aujourd’hui, c’est chose faite grâce aux mesures prises dans le cadre du dernier CMR consacré au plan de relance de la compagnie. Les Tunisiens considèrent Tunisair comme un symbole de notre souveraineté nationale et c’est ce qui explique que dès qu’il s’agit d’elle, ils ont la mémoire courte, ils oublient vite ses faiblesses et s’unissent pour son sauvetage.
Cette fois-ci, nous ne les décevrons pas et je ne sais pas si vous l’avez relevé ou pas, mais on ne se plaint plus des retards excessifs des vols Tunisair, il y en a même qui expriment leur satisfaction de voir leurs vols arriver plutôt en avance.
Nos compatriotes nous ont toujours soutenus dans nos crises, et aujourd’hui qu’il y a eu des décisions importantes pour restructurer Tunisair et la faire sortir de son marasme, ils ne nous lâcheront pas. Les Tunisiens veulent que leur compagnie reprenne son positionnement et récupère son image. Ils veulent que ses activités redeviennent florissantes comme auparavant, ils la perçoivent comme un porte-étendard. Ce sont nos meilleurs alliés dans cette bataille de sauvetage de la compagnie. J’ai confiance et ils ne seront pas déçus.
Il n’y a pas que les voyageurs Tunisair qui sont concernés, il y a aussi vos partenaires ?
La fait que le gouvernement a adopté un plan de restructuration à effet immédiat servira aussi à rétablir la confiance au sens large du terme, qu’il s’agisse des voyageurs tout simplement, des agences de voyage qui commencent à se poser des questions surtout après les annulations de certaines lignes, des tours opérateurs, des partenaires ou encore les fournisseurs de produits et de pièces détachées. Je parle de tout genre de produits qui nous servent dans l’exercice de notre activité et que nous acquerrons auprès de grands constructeurs comme Boeing ou Airbus et d’autres.
Il y a aussi les banques qui hésitaient à nous octroyer des crédits ainsi que les assureurs du groupe COFAS qui voulaient se renseigner sur la situation réelle de Tunisair.
L’Etat tunisien devait s’inscrire dans une logique forte de soutien à la compagnie nationale. Le CMR est donc venu à point nommé pour rétablir la situation et donner des signes forts à tous nos partenaires en leur disant : “nous sauverons Tunisair, respecterons nos engagements et préserverons vos intérêts“.
En quoi consiste exactement le plan de restructuration et à quels chantiers vous allez vous attaquer en premier lieu ?
L’un des points les plus importants est la recapitalisation de la compagnie. Tunisair a sollicité plus de mille millions de dinars (1 milliard de dinars tunisiens) pour assainir ses finances ; il y a une partie qui revient à l’OACA, et une autre de l’argent frais à injecter dans les caisses de la compagnie.
Réussirons-nous à avoir ce montant en un an, 2 ou 4 ans ? Cela dépendra du budget de l’Etat. L’Etat optera-t-il pour l’effacement de la dette de l’OACA ? L’OACA pourrait-il acquérir des actions en échange de ce que Tunisair lui doit ? Ces modalités seront examinées dans le cadre de la Commission de restructuration des entreprises publiques (CAREP). Et notre première réunion a posé les jalons d’une bonne entente là-dessus, le ministre du Transport est bien décidé à sauver la compagnie et pèse de tout son poids auprès du gouvernement pour que toutes les mesures de sauvetage soient réalisées.
Il n’empêche, nous devons aussi compter sur nous-mêmes. Nous allons devoir progressivement ramasser la plus grande part des fonds qui seront consacrés au projet d’assainissement relatif aux employés qui choisiront de partir moyennant des dédommagements conséquents. Sur les 180 millions de dinars que nous avons demandés, l’Etat nous en accordera 52 millions de dinars. La démobilisation des employés se fera progressivement.
Nous commençons donc notre projet de mise en arrêt du personnel et c’est une décision très importante.
Nous disposons aussi aujourd’hui de 48 millions de dinars, un prêt garanti par l’Etat qui servira à la direction technique pour entamer les réparations des avions, et les préparer pour l’arrière-saison.
Nous avons aussi obtenu ce pourquoi nous luttons depuis presque 20 ans : la gouvernance, notre autonomie de gestion. L’Etat ira probablement vers l’adoption du même article de loi qui a permis à Tunisie Telecom d’être autonome, et d’assumer sa responsabilité entière dans la gestion de l’entreprise. Il s’agit des modalités d’exercice de la tutelle sur les entreprises publiques, l’approbation de leurs actes de gestion et la représentation des participants publics dans leurs organes de gestion et de délibération. Tunisie Telecom a bénéficié de l’exception mentionnée à l’article 22 (ter) de la loi n° 89-9 du 1er février 1989, relative aux participations, entreprises et établissements publics et modifiée et complétée par la loi n° 2006-36 du 12 juin 2006. Nous en bénéficierons également.
Quoi de plus normal, aujourd’hui les grandes entreprises publiques n’arrivent pas à recruter des compétences, parce qu’elles sont soumises aux lois de la fonction publique. Grâce à l’article 22 ter, nous aurons la possibilité de faire appel à des compétences et à l’expertise de consultants.
Nous gérerons dans l’intérêt de l’entreprise et les rémunérations des nouvelles compétences seront de notre ressort et non de celles d’une autre partie. Nous ne pouvons plus tolérer de perdre nos meilleurs éléments parce qu’à responsabilités égales et dans d’autres compagnies, leurs pairs sont et de loin mieux gratifiés qu’eux. Nous ne pourrons plus recruter, comme il y a 20 ans ou 30 ans des compétences pour des salaires dérisoires. C’est la raison pour laquelle cet article 22ter est très important.
Et qu’en est-il de la diminution des dessertes Tunisair ?
Une autre décision a été prise lors du CMR et c’est la stratégie commerciale et le plan de flotte. Nous aurons dix nouveaux avions en l’espace de 4 ans et ces dix avions dont cinq vont remplacer 5 anciens vont renforcer la capacité de déploiement de Tunisair. Les dessertes programmées pour desservir la Chine, les USA et Djerba ont été validées.
A très court terme, c’est-à-dire pour les tout prochains mois, nous allons être obligés de faire des sacrifices en réduisant le réseau Tunisair et faisant prévaloir la qualité des prestations et la ponctualité. Nous allons travailler avec 4 avions en moins, réduire le programme des vols et garantir sécurité et ponctualité.
Nous avons par conséquent tenu une réunion pour étudier le choix des destinations à éliminer pour cet été sur la base de la rentabilité. Nous avons commencé par la suppression de deux vols sur Cotonou, deux autres sur Dakar. Ils exigent de grands équipages, ce sont des vols longs qui prennent beaucoup de temps et qui n’ont pas encore atteint un haut niveau de rentabilité.
Nous avons aussi supprimé un vol sur la France, là où nous avons 3 vols quotidiens, nous en avons gardé 2 seulement. Nous avons aussi supprimé le deuxième vol sur Rome, 2 vols sur Milan, un vol sur Lisbonne, 1 sur l’Allemagne, 2 sur Casablanca et 2 sur Abidjan -qui était desservi quotidiennement. Nous avons préservé les vols qui concernent notre diaspora et nous avons fait notre possible pour ne pas toucher les dessertes qui font le plein de voyageurs.
Nous avons essayé de répartir au mieux le programme de vols, et surtout dans l’intérêt de la compagnie, il y aura des mécontents -c’est naturel-, mais je suis sûr qu’ils comprendront que cette restructuration est vitale pour Tunisair, nous avons fait des choix qui peuvent être douloureux mais par obligation.
Et qu’en est-il des tarifs Tunisair. Serait-elle toujours compétitive ?
Assurément, nous sommes et nous resterons compétitifs. Mais nous avons légèrement augmenté nos tarifs pour la saison estivale. Il fallait dégager du cash en haute saison pour qu’on puisse débloquer un peu plus la situation. L’Etat comprend que nous ne pouvons plus être dans le social à 100% et qu’à défaut d’une aide massive, nous sommes obligés de nous prendre en charge. Les nouveaux tarifs concerneront la haute saison, et nous verrons à partir du 15 septembre comment évoluera la situation après la recapitalisation.
Cette recapitalisation permettra également la reprise des vols sur l’Afrique, mais pour l’instant nous sommes obligés d’appliquer la politique de nos moyens. Attendons voir la décision finale que prendra un CMR dans 3 semaines sur cette recapitalisation. Ce qui est rassurant est que, lors de la dernière réunion gouvernementale consacrée à Tunisair, tous les ministres à l’unanimité et sans aucune réserve ont décidé de soutenir et de protéger notre compagnie nationale. Ce signe de confiance est très important pour nous. L’enjeu pour nous aujourd’hui est de récupérer les cœurs de nos fidèles clients que nous ne voulons plus décevoir.
La recapitalisation évitera-t-elle l’acquisition de parts dans Tunisair par des actionnaires privés ?
Nous avons demandé, comme je vous l’ai mentionné plus haut, une augmentation du capital de l’ordre de 1 000 millions de dinars dont 600 millions de dinars d’impayés à l’OACA, dont une partie abandonnée, et une autre rééchelonnée sur 20 ans. Le reste c’est de l’argent frais qui doit être injecté à Tunisair par l’Etat et non les privés parce que tant qu’elle n’est pas remise sur pieds, il vaut mieux éviter de s’orienter vers les privés pour ne pas la brader.
Il faut d’abord remettre la compagnie debout avant de voir si nous introduirons de nouveaux actionnaires ou pas, l’urgence aujourd’hui, c’est de la restructurer et d’en faire un fleuron. Pour les 400 millions de dinars à ajouter en numéraire, nous n’avons pas demandé à être approvisionnés en une année. Nous n’allons pas acheter des avions tout de suite mais plutôt en louer, nous aurons donc besoin de l’argent au fur et à mesure.
Dans notre plan de redressement, nous allons également procéder à la revalorisation de nos actifs. Il s’agit de nos avions, notre siège, nos terrains et nos biens à l’étranger. Cela fait très longtemps que nous ne l’avons pas fait et je suis sûr que cette opération dégagera de la plus-value. Nous avons des biens importants à Paris, Marseille et Lyon, mais ailleurs également.
Tunisair possède des sièges pour des représentations à l’international et l’ONTT en loue. Pourquoi ne pas vous regrouper dans un seul siège d’autant plus que vous entreprenez ensemble les actions promotionnelles ?
La discussion est en cours avec l’ONTT. A Paris, par exemple, où nous comptons réduire le personnel, nous avons proposé à l’ONTT un étage. Nous ferons pareil dans d’autres représentations.
Nous allons également fermer quelques représentations et réduire notre effectif à l’étranger. Nous fermerons probablement Lisbonne et Zurich, et nous regrouperons notre personnel en Espagne. A chaque fois que nous pouvons regrouper le personnel et réduire les coûts, nous le ferons. Avec la réduction des coûts, l’arrivé de nouveaux avions, le développement du réseau, la recapitalisation de la compagnie, nous monterons en niveau.
Améliorer les prestations de Tunisair doit aller de pair avec l’entretien de l’aéroport dont la qualité des prestations a baissé ces dernières années. En parlez-vous avec l’OACA ?
Nous tenons des réunions périodiques avec l’OACA, à propos de cela mais il faut comprendre que dans l’état de vétusté actuel de l’aéroport, il n’est pas aisé d’optimiser les prestations.
L’entreprise est complexe, il est tout aussi vrai que l’OACA a les moyens de rénover l’aéroport Tunis-Carthage et de le remettre au niveau des normes internationales des infrastructures aéroportuaires et cela va se faire. Il faut tout juste attendre la fin de la haute saison car l’office ne peut pas s’engager dans de grands travaux maintenant. Il pourrait commencer par le terminal 2 et la partie cargo. Il va falloir une refonte complète, et nous resterons sur l’aéroport Tunis-Carthage qui passera à 7 millions de passagers dans 3 ans, c’où l’importance d’engager rapidement les travaux de rénovation. Il y va de l’image de la Tunisie et nos collègues en sont parfaitement conscients.
Et pour ce qui est des syndicats, y a-t-il eu résistance de leur part ?
Nous n’avons pas de problèmes avec les syndicats. Ils ont été les premiers à approuver le plan de restructuration de la compagnie et sans aucune réserve. Donc aucun blocage de la part des syndicats. Nous avons avec eux des réunions régulières, ils ont adhéré à 80% du plan de restructuration. Ils ont signé l’accord parce qu’ils sont aussi conscients que nous qu’il y va de l’avenir de la compagnie et les syndicats sont tout de même ses enfants et tiennent à la préserver.
La direction générale s’est battue pour que les syndicats adoptent des positions positives allant dans le sens du sauvetage de Tunisair. Il ne s’agit pas de mettre en place un plan de sauvetage et le mettre dans un tiroir, mais plutôt de le concrétiser. Je suis convaincu que les syndicats le défendront. D’ailleurs, ils sont en train de nous harceler pour sa mise en œuvre et c’est le plus important, nous ne pouvons pas y aller seuls, il faut qu’il y ait le maximum d’unanimité autour de la restructuration de la compagnie.
Le bilan de Tunisair aujourd’hui ?
Aujourd’hui il y a deux phénomènes paradoxaux -ou plutôt il y avait 2 phénomènes paradoxaux. D’un côté, nous avons eu 23 mois consécutifs de croissance, donc les clients ont voyagé sur Tunisair, ils ont fait confiance à la compagnie par élan nationaliste.
De l’autre côté, il y a eu des défaillances surtout point de vue ponctualité. Aujourd’hui, nous avons pris le taureau par les cornes, et je voudrais citer à ce propos notre ministre du Transport qui a été très présent dans notre bataille pour sauver notre compagnie, il a soutenu l’idée de réduire le nombre de nos dessertes pour sauver Tunisair, et nous allons donc repartir sur la qualité du service. Le mois de mai a été celui du démarrage, nous avons annulé quasiment 30% des vols, nous allons faire moins de vols mais nous allons être plus performants.
Résultat : depuis le mois de mai, nous sommes à 75% de ponctualité. Du coup, réduire les vols pour avoir une meilleure qualité de service valait le coup dans l’attente du renforcement de la flotte pour permettre au directeur commercial que je suis de rétablir de nouveau les lignes suspendues et d’en lancer de nouvelles.
Donc jusqu’au 15 septembre, nous allons réduire nos activités tout en assurant la meilleure qualité de service et la sacro-sainte ponctualité. Le nouveau départ, ça sera l’hiver prochain avec une croissance maîtrisée grâce à l’arrivée de deux avions en mars 2020, à la recapitalisation et l’acquisition de pièces détachées pour faire voler les avions au sol.
Il s’agit de 6 à 7 mois de réorganisation et d’épuration de la situation et de réduction des dessertes. A notre charge et notre responsabilité d’aller très vite et de ne pas perdre du temps dans l’exécution du plan de restructuration. Nous avons le feu vert pour prendre les décisions qui s’imposent pour la remise sur orbite de Tunisair. Notre plan de restructuration a été réaliste, nos solutions sont réalisables.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali