En cette période d’extrême précarité, des centaines de milliers de tunisiens peuvent respirer et trouver une relative sérénité pour peu que trois initiatives soient valorisées et appliquées en urgence. Il s’agit de deux projets de loi, l’un traitant du statut de l’autoentrepreneur tandis que l’autre porte sur la systématisation de l’économie solidaire. La troisième initiative concerne une micro-assurance innovante dédiée aux travailleuses rurales.
Les trois réformes présentent l’avantage d’être concoctées en partenariat entre la société civile et le gouvernement, de responsabiliser les citoyens et de mettre fin à l’assistanat de l’Etat. Gros plan sur ces réformes.
Dans une première partie nous avons traité du projet de loi sur le statut de l’autoentrepreneur et le rôle qu’il peut jouer dans la réduction de l’informalité.
Dans cette seconde partie, nous allons traiter du projet de loi sur l’économie solidaire. Il s’agit d’un projet de loi sur la réglementation, légalisation et systématisation en Tunisie de l’Economie solidaire et sociale (ESS), branche de l’économie qui concilie activité économique et équité sociale.
Ce projet de loi, qui végète également dans les tiroirs de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), est initié en partenariat entre la société civile (centrale syndicale, UGTT) et le gouvernement.
Il s’agit d’une initiative stratégique majeure dans la mesure où cette option est retenue par le plan de développement (2016-2020) parmi les trois composantes du futur modèle de développement aux côtés de l’économie verte et de l’économie numérique. Elle est également reconnue comme troisième pilier de l’économie nationale aux côtés du secteur public et du secteur privé dans le contrat social, conclu, en 2013, entre les partenaires sociaux : gouvernement, syndicats (UGTT) et patronat (UTICA).
L’objectif est de faire en sorte, que les trois principaux acteurs économiques (public, privé et Tiers secteur) interviennent dans les marchés, sur un pied d’égalité, sous l’autorité de l’Etat lequel n’est plus perçu comme une structure omnipotente mais comme une institution stratège qui organise, arbitre et contrôle.
Cela pour dire qu’en cette période de crise multiforme dans laquelle la Tunisie se débat, l’ESS, dénommée aussi Tiers secteur, est une réponse appropriée à l’incapacité du secteur public de recruter de celle et du secteur privé de créer des entreprises. Elle a pour vertu de s’accommoder avec les récessions économiques et d’intervenir là où les secteurs public et privé ne peuvent pas le faire. Elle présente, en plus, l’avantage d’être une économie de proximité sur tout le territoire national.
Le poids de l’économie solidaire est encore faible
En dépit de cette prise de conscience au plus haut niveau et sa concrétisation par ce projet de loi qui va permettre à des centaines de milliers de tunisiens de s’associer dans des coopératives et de mutuelles pour créer leurs propres emplois et leurs propres sources de revenus, l’ESS expérimentée de manière autoritaire (collectivisme) dans les années soixante ne bénéficie pas toujours, du gouvernement de la sollicitude requise.
«Jusqu’à aujourd’hui, il n’existe pas une politique achevée de l’ESS. Ce phénomène, conjugué par l’absence d’une compréhension précise et partagée du concept de l’ESS, perturbe les débats sur la loi et annihile toute possibilité d’avancement», fait remarquer Akram Belhaj Rhouma enseignant universitaire en droit public, expert en ESS et en planification stratégique.
Il n’est pas inutile de rappeler ici que le financement engagé pour à mener à terme les enquêtes nécessaires à la confection de ce projet de loi a été assuré dans le cadre du programme “PROMESS”, un programme visant à promouvoir les organisations et les mécanismes de l’économie sociale et solidaire mis en œuvre en Tunisie par l’organisation internationale du travail (OIT) moyennant un financement de 8 millions de dinars. La réalisation de ce projet s’étale de 2016 à 2019.
Les vertus de l’Economie sociale et solidaire
Le droit tunisien définit l’ESS comme l’ensemble des activités économiques de production, de transformation, de distribution, d’échange et de consommation de biens ou de services exercées par les coopératives, les mutuelles et les associations ainsi que par toute personne morale de droit privé. Ces différents acteurs sont tenus de respecter, cumulativement, des principes comme : la primauté de l’être humain et de la finalité sociale sur le capital, la liberté d’adhésion et de retrait, la gestion autonome, transparente et démocratique selon la règle : une personne une voix.
Mention spéciale pour la lucrativité ou la délicate dimension lucrative de l’ESS. Celle-ci doit être limitée et assurée par les trois règles suivantes : la répartition limitée des bénéfices, le réinvestissement de la plus grande part des bénéfices nets pour le maintien ou le développement de l’entreprise et des réserves obligatoires constituées impartageables ». Dans les entreprises de l’économie sociale, les réserves sont impartageables car elles ne peuvent ni venir augmenter le capital social ni être Redistribuées.
Qu’en est-il de l’ESS en Tunisie ?
Concernant l’état des lieux, l’étude relève les constats suivants: un poids économique faible (0,6% de la population active occupée et au mieux 1% du PIB), système en dysfonctionnement structurel, absence d’un cadre juridique, absence d’un cadre institutionnel, absence d’un système statistique et absence d’un système de financement.
Pour saisir le retard qu’accuse l’ESS en Tunisie, une étude comparative menée par l’Association Mohamed Ali Hammi de la culture ouvrière qu’en matière de tiers secteur, l’Europe est championne au niveau de la part au PIB (10%) et de son institutionnalisation.
A titre indicatif, un pays comme le Portugal est allé jusqu’à la constitutionnalisation de l’ESS. L’objectif étant de lui garantir la pérennisation requise et sa consécration comme un choix stratégique durable.
Viennent ensuite, les pays d’Amérique. Ces derniers ont développé un modèle d’ESS spécifique axé sur concentration sur les exigences de bonne gouvernance et de reporting (ciblage d’objectifs précis).
En Afrique, les pratiques d’ESS sont ancrées dans la culture d’entraide et des valeurs de solidarité enracinées dans les populations, mais les résultats restent largement en deçà des attentes, note l’étude, et ce compte tenu de la faible institutionnalisation du secteur et les handicaps de nature administrative et financière. En Asie, l’ESS est consolidée par réglementation en faveur de la Responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) et du commerce équitable favorisant les équilibres socio-économiques.
Que propose-t-on pour développer l’ESS en Tunisie ?
L’étude et le projet de li précités proposent une stratégie de «systématisation» voire de groupement des textes disparates régissant l’ESS et de les articuler autour de deux axes. Le premier porte sur la mise en place d’un cadre institutionnel, d’une cadre juridique, d’un système statistique et d’un système de financement. Le second est concentré sur trois volets : la formation, la communication et les mesures sectorielles.
Concrètement, l’objectif étant d’une part de réviser les textes présentant des contradictions ou des ambiguïtés et d’autre part d’alléger les procédures de création et de gestion qui pour certains intervenants constituent un obstacle devant le développement de ce secteur. Il s’agit, également, de mettre à niveau le secteur et de pallier, au plan institutionnel, à l’absence de structure spécifique d’encadrement des acteurs d’ESS et de créer, à cette fin, une agence de promotion du Tiers secteur à l’instar de l’Agence de promotion de l’investissement et de l’innovation (APII).
Last but not least, il y a lieu de réfléchir sur des mécanismes de financement spécifiques en s’inspirant de Fonds, actuellement en service : le Fonds de développement de la compétitivité (Fodec), le Fonds d’accès aux marchés de l’exportation (Famex).
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