Pour le ministre du Transport, Hichem Ben Ahmed, le temps des diagnostics est révolu, il faut maintenant parler “stratégie et réalisation“.
On évalue le degré de développement à la qualité des transports urbain, interurbain et régional, maritime, ferroviaire et aérien, et de leurs infrastructures. D’une bonne infrastructure du transport dépend l’expansion économique et commerciale d’un pays et la qualité de vie de la population.
Le secteur du transport stratégique pour l’économie nationale a été extrêmement malmené depuis 2011. Les années où le ministère a été dirigé par Abdelkrim El Harouni (nahdhaoui) ont vu les compétences marginalisées et les amnistiés valorisés sans oublier l’intégration sauvages de nouvelles recrues. Les ministres qui lui ont précédé n’ont pas réussi à redresser la barre soit par manque de temps ou par incompétence et manque d’expérience.
Hichem Ben Ahmed, aujourd’hui ministre du Transport, est décidé à passer ce qui reste de son mandat avant les élections à redresser la barre et ce à tout prix : « il s’agit de sauver un secteur névralgique pour le pays et si nous devons prendre des décisions douloureuses, nous oserons, l’intérêt de la Tunisie passe avant tout ».
Entretien.
WMC : Monsieur le ministre, pensez-vous pouvoir redresser la barre en si peu de temps et dans toutes les directions (aérien, maritime et ferroviaire) ?
Hichem Ben Ahmed : Evidemment et nous sommes en train de le faire. Nous avons démarré le plan de restructuration de Tunisair, et les mesures prises sont aujourd’hui connues par tous. L’impact, vous l’avez vu, a été immédiat, qu’il s’agisse de qualité de service ou de ponctualité.
Nous avons également pris d’importantes décisions concernant le port de Radès, pour offrir des services de qualité aux entreprises qui dépendent du transport maritime et pour leur permettre d’exercer leurs activités d’import-export dans les meilleures conditions.
Pour l’histoire, le port de Radès n’a pas été édifié en tant que port pour accueillir des conteneurs, et pourtant, il a évolué, s’est développé et a eu une croissance assez importante par rapport à son infrastructure et ses capacités.
Nous avons lancé la construction des quais 8 et 9 après une décennie d’indécisions, de oui mais, d’hésitations, de pourquoi ne pas attendre la construction de l’aéroport d’Enfidha… Camper sur cette position bloquait toute avancée, mais fort heureusement, in fine, nous lançons les deux projets : renforcement des capacités d’accueil du port de Radès et démarrage de la réalisation du port Enfidha.
Le port en eaux profondes d’Enfidha complètera le réseau portuaire de la Tunisie.
Il accueillera principalement les navires porte-conteneurs transocéaniques en provenance de l’Asie de l’est et des côtes est de l’Amérique. Il sera donc un port de transbordement et permettra le développement de la zone logistique adjacente.
Le port de Radès continuera à desservir le trafic domestique avec une productivité conforme aux normes internationales.
La construction des quais 8 et 9 entre-t-elle dans le cadre d’un partenariat public/privé ?
L’extension du port par la construction de deux nouveaux postes à quai sera réalisée par l’OMMP (Office de la marine marchande et des ports, ndlr).
L’aménagement des terre-pleins adjacents à ces deux postes à quai, l’acquisition des superstructures (grues portiques, RTG (Rubber Tyred Gantry Crane) et la gestion du terminal à conteneurs constitué par les postes à quais 6, 7, 8 et 9 et les terre-pleins adjacents seront réalisés en partenariat public/privé entre la STAM (Société tunisienne d’acconage et de manutention) et un ou des partenaires privés tunisiens ou étrangers.
La STAM n’oppose aucun rejet de ce projet de gestion ? Il est de notoriété publique que nombre de ceux qui y travaillent ont des intérêts sur lesquels ils veillent jalousement. Cela ne posera pas de problème pour vous ?
Tout d’abord, je n’aime pas parler de problèmes, je préfère parler de solutions. Tous ceux qui sont passés par mon bureau ont fait le diagnostic tout comme le secteur privé, les think tanks et les experts. Il est donc grand temps de parler stratégie. Et la stratégie est de tout mettre en œuvre pour que les quais 8 et 9 deviennent opérationnels.
Aujourd’hui, la décision pour les construire a été prise et nous ne parlons pas des 8 et 9, il s’agit des quais 6, 7, 8 et 9. Le plan d’exploitation est déjà prêt et leur gestion se fera dans le cadre du partenariat public/privé. Ils devraient être prêts dans 18 à 24 mois, après attribution de l’offre.
Je suis sûr que ces réalisations permettront de réaliser un saut qualitatif, ce qui se traduira par la disparition des attentes en rade et d’améliorer notre indice de performance logistique.
Et comment comptez-vous changer la donne de la corruption de certains agents de la STAM qui monnayeraient le chargement et le déchargement des conteneurs ?
Je voudrais attirer votre attention sur la complexité des écosystèmes portuaires qui se trouvent à l’intersection de différentes solutions intégrées. Nous devons gérer le triptyque maritime, portuaire et terrestre, sachant que les terminaux portuaires de conteneurs représentent un maillon important de plusieurs chaînes de transport intermodal. Et comme je vous l’ai déjà signifié, la croissance rapide du trafic maritime commercial -et je parle là du nombre des conteneurs manutentionnés- a pour conséquence la congestion du terminal du port.
Pour y parer, nous avons décidé de généraliser l’usage de l’EDI (Electronic Data Inerchange), l’informatisation des procédures administratives et commerciales et l’automatisation des procédures portuaires qui existaient déjà mais pas comme nous le voulons.
Notre objectif est de faciliter l’échange d’informations entre l’ensemble des acteurs de la chaine de transport. Un système d’information performant optimisera l’échange d’informations et la transmission de données sur le passage de la marchandise, celui du conteneur et de l’escale du navire, ce qui aura pour conséquence la diminution des délais d’immobilisation des marchandises dans le port et la réduction de la durée des escales. Cette dématérialisation sera notre meilleur allié contre la corruption et l’intervention directe des différents personnels dans les opérations de transport de marchandises.
Le TOS (terminal operating system), logiciel de gestion automatisée du terminal associé au suivi des emplacements par DGPS en essais actuellement, seront lancés progressivement et permettront d’optimiser les opérations de transfert, de stockage, de livraison et de mise à quai des conteneurs tout en minimisant les coûts d’utilisation des équipements et en augmentant les capacités de stockage.
Le système de portes électroniques, « les smart-gates », qui se trouvent déjà sur place et qui sont reliés par un système électronique désengorgera définitivement nos ports, et en premier le port de Radès.
Toutes ces installations sont en phase d’essai. Désormais, on n’aura plus besoin de quelqu’un qui fasse le tour pour identifier votre conteneur ; la chaîne humaine sera relativement cassée au niveau de l’exécution classique grâce à la gestion électronique avec tout ce qui s’en suit comme avantages sur le plan économique.
L’opposition des « privilégiés » de l’ancien système, vous avez mis en place une stratégie pour y venir à bout ?
Je pense que toutes les parties prenantes sont aujourd’hui conscientes que le développement de nos ports passe forcément par l’apport technologique et le changement des mentalités. Il me semble que c’est l’unique chance de projeter les écosystèmes portuaires comme vecteurs de nouvelles synergies pour l’amélioration du climat d’affaires dans notre pays. Je ne crois pas que nos partenaires, quels que soient leurs intérêts, veuillent bloquer le développement du pays.
L’OMMP serait dirigé par un PDG suite à la pression d’un grand parti de la place, est-ce vrai ? Et auquel cas, comment assurer la performance si l’allégeance partisane est plus forte que la compétence ?
Je ne pense pas que le PDG de l’OMMP a été nommé à la suite d’une logique partisane, et j’ai l’habitude de garder les compétences à leurs postes à partir du moment où ils assurent. La seule raison qui me pousse à écarter ou à retirer les responsabilités d’un haut commis de l’Etat est son incapacité à gérer son département ou une faute grave. Et pour le moment, l’OMMP assure comme il se doit la gestion des ports nationaux.
Qu’en est-il de l’affaire Maersk qui a défrayé la chronique ces derniers mois et comment pouvez-vous prétendre vouloir attirer les investisseurs lorsque les incitations changent d’un gouvernement à un autre ?
Toutes les compagnies nationales et internationales qui ont choisi la Tunisie pour site d’investissement doivent être soutenues par les pouvoirs publics, qu’il s’agisse de Maersk ou d’autres firmes. Le plus important pour nous est que nos intérêts soient préservés et que la plus-value profite à notre pays. Notre rôle est donc de faciliter leur travail.
Juste pour précision, le problème de Maersk est purement juridique ou procédural si vous voulez. Aujourd’hui, l’Administration publique est bloquée par nombre de lois et dans tous les domaines. Posez-vous la question de pourquoi nous n’arrivons pas à avoir de véritables projets publics/privés, eh bien, c’est parce que les lois doivent évoluer dans le sens d’intégrer ces nouveaux leviers économiques dans l’arsenal réglementaire existant.
Oui à partir du moment où un projet sert l’intérêt de la Tunisie, il faut qu’il y ait des exceptions, mais n’oubliez pas le traumatisme subi par des centaines de hauts cadres de l’Etat qui payent pour avoir pris des décisions qu’ils ont estimées avantageuses pour notre pays alors que d’autres ont considéré que leur zèle est « illégal ».
Résultat : nos hauts cadres maintiennent le statut quo de peur d’être sanctionnés et de se trouver tout d’un coup devant le tribunal parce qu’ils ont cru bien faire.
Notre confiance en la justice ne veut pas dire que nous soyons encore prêts à courir des risques, subir le gourou de certains délateurs ou voir notre image ternie parce qu’un individu a estimé qu’il y a eu vice de procédure. Cela ne veut nullement dire que nous n’agirons pas pour résoudre des affaires complexes comme celle de Maersk et de trouver une solution.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali