Pour éviter d’être accusé de vouloir abattre un adversaire politique, en mobilisant les moyens de l’Etat, le gouvernement aurait donc dû s’y prendre beaucoup plus tôt, mais aussi autrement.
En effet, M. Karoui n’est pas le seul acteur politique à investir dans ce que certains appellent le «Charity business» (le business de la bienfaisance), ni même le premier à avoir pratiqué ce «business». Ennahdha le fait et depuis beaucoup plus longtemps –et tout le monde le sait-, mais cache beaucoup mieux son jeu.
En toute logique, c’est contre cette formation que le gouvernement aurait dû agir en premier, si son véritable objectif était de contraindre les partis à respecter toutes les lois et autres règlements organisant et encadrant la vie politique.
Mais s’il ne l’a pas fait et ne risque pas de le faire, c’est pour une raison évidente : le parti islamiste est l’allié politique à qui Youssef Chahed doit sa survie en tant que chef du gouvernement. Et bien évidemment cela ne peut que valoir au locataire du Palais de La Kasbah d’être accusé de faire du «deux poids, deux mesures».
Le gouvernement peut-il encore faire quelque chose pour contrer le patron de Nessma TV ? Certainement pas s’entêter et tout faire pour faire voter le projet de loi. Cela présente un triple inconvénient. D’abord, cela risque fort d’écorner l’image du gouvernement en tant que gardien du temple, car l’éthique mais aussi la bonne pratique dans les véritables démocraties et les mieux ancrées veulent qu’on ne change pas les règles du jeu à cinq mois du «match».
Ensuite, en ne renonçant pas à la démarche qu’il est tenté aujourd’hui de mettre en œuvre, le gouvernement rendrait le plus grand des services à Nabil Karoui en lui permettant d’endosser l’habit fort commode de la victime, de faire oublier qu’il est lui aussi fautif et, par conséquent, d’élargir un tant soit peu le cercle de ses partisans et futurs électeurs.
Enfin, il créerait un dangereux précédent dont il y a fort à parier que d’autres ne se priveront pas pour modifier les règles du jeu –notamment le code électoral- s’ils jugent qu’elles ne servent pas leurs intérêts.
Pour toutes les raisons sus-évoquées, le gouvernement et son chef -fût-ce après avoir annoncé sa candidature à l’élection présidentielle, ce qu’il n’a pas encore fait- n’a pas intérêt à continuer à s’impliquer lui-même dans ce dossier et à continuer à exclure Nabil Karoui par un changement de la loi électorale.
La bataille étant politique et électorale, il appartient à Tahya Tounes, le parti du chef du gouvernement, de l’engager et de la mener autrement. C’est ce qu’a commencé à faire, par exemple, Sahbi Ben Fredj. En déclarant, à l’occasion de la publication mercredi 12 juin 2019 du dernier sondage de Sigma Conseil/Le Maghreb –donnant Nabil Karoui en pole position à la fois pour les législatives mais, désormais aussi, pour la présidentielle, que «l’éventuelle élection du patron de Nessma sera fatale à la Tunisie», le député est dans son rôle.
Et il pourra, lui et les autres députés et responsables du parti gouvernemental, poursuivre, au cours des mois à venir et plus particulièrement pendant la campagne électorale leur offensive pour convaincre les Tunisiens de la justesse de leurs griefs à l’égard du patron de Nessma TV et, partant, de la nécessité de ne pas lui donner leurs suffrages.
C’est ainsi et seulement ainsi que Nabil Karoui pourrait, éventuellement, être empêché de récolter les fruits politiques de ce qu’il a semés sur le terrain associatif.
Moncef Mahroug
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