L’événement politique en Tunisie au cours des dernières 24 heures a été marqué par l’adoption, mardi 18 juin 2019, du projet d’amendement de la loi électorale dans son intégralité avec 124 voix pour, 14 abstentions et 30 voix contre. Toutes les propositions présentées par le gouvernement ont été approuvées.
Objectif de ce projet de loi à effet rétroactif : pallier à certaines failles repérées dans la loi électorale et défendre la démocratie qui devrait être, selon les initiateurs de ce projet, l’apanage des seuls partis politiques.
Mais cette loi pourrait être rejetée pour inconstitutionnalité en cas de recours à l’Instance Provisoire de Contrôle de la Constitutionnalité ou par le président de la République.
Abstraction faite des rumeurs qui prêtent à certains députés d’avoir voté contre « certains avantages », globalement ce projet de loi interdit les personnes dirigeant des associations caritatives ou utilisant leurs médias comme moyen promotionnel pour se présenter aux élections. Les principales personnes concernées ici: Nabil Karoui Nabil, propriétaire de la chaîne privée Nessma, et la fondatrice de l’association 3ich Tounsi, Olfa Terras.
Qui sont concernés ?
Un candidat comme le nahdhaoui Hamadi Jebali, ancien chef du gouvernement, serait concerné parce qu’il avait appelé à un certain moment à la restauration du Califat, ce qui est contraire à l’esprit républicain de la Constitution et à l’alternance démocratique.
Même chose pour Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), et l’universitaire Kaïs Saïed qui pourraient être concernés.
Dans l’ensemble, toute la classe politique, tous partis politiques confondus, va trouver d’énormes difficultés avec « l’obligation pour leurs candidats aux législatives et à la présidentielle de s’interdire de recevoir des financements non réglementaires, de présenter un bulletin N°3 vierge, d’être en règle avec l’impôt, de déclarer son patrimoine et les intérêts et de ne pas avoir tenu « des discours contradictoires avec les règles démocratiques, et les principes de la Constitution ou un discours incitant à la haine et à la violence ou faisant la promotion des droits de l’homme ».
Cette loi serait pour défendre la démocratie des resquilleurs
Pour les partisans de ce projet, tout en déplorant son timing, ils estiment que ces amendements sont légitimes pour défendre la démocratie et pour barrer la route aux candidats populistes qui ont cette tendance à exploiter la misère matérielle et intellectuelle de pauvres gens pour acheter leurs consciences et accéder au pouvoir.
Parmi ces partisans figure Jawhar Ben M’barek, professeur en droit constitutionnel. Ce dernier a déclaré au site électronique « Essabah News » que ce projet de loi ne cible pas, comme on a tendance à le croire, des personnes bien précises mais tous les partis politiques en ce sens où l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) peut invalider des listes à chaque fois qu’il y a une violation de la loi.
Cette loi serait un putsch législatif pour d’autres
Pour les opposants, ce projet de loi est un véritable putsch législatif. Il vient fragiliser le processus démocratique en Tunisie et menacer sa pérennité. Ils pensent que, dans toutes les démocraties du monde, l’alternance est une donne sacrée car elle a permis, tant de fois, à des présidents populistes comme l’Américain Donald Trump, ou des partis d’extrême droite en Italie et en Autriche, d’accéder aux plus hautes sphères du pouvoir sans que ce soit la fin du monde.
Interpellé sur ce sujet par la radio publique, Radio Tunis Chaîne Internationale (RTCI), Chafik Sarsar, ancien président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), professeur de droit public et juriste, considère que cet amendement sonne comme une «manœuvre frauduleuse» et que l’adoption de ce projet ferait perdre aux élections leur aspect «libre, intègre et transparent». Selon lui, juridiquement, cette loi serait impotente: «Cette loi a été confectionnée sur-mesure, et est pavée de mauvaises intentions», a-t-il-dit.
Des partenaires de la Tunisie, comme l’Union européenne et de pays amis comme l’Italie et la France, «auraient exercé des pressions sur la Tunisie pour retirer ce projet de loi», c’est du moins ce qu’a assuré Lazhar Akrimi, militant politique qui s’exprimait sur les ondes d’une radio privée.
La jeune démocratie tunisienne est en danger ?
Par-delà les points de vue des uns et des autres, le plus grand perdant dans cette affaire c’est le pays et les Tunisiens qui vont encore patienter longtemps avant d’avoir à leur service une classe politique compétente, patriote et digne de ce nom. Et ce pour deux raisons.
La première concerne le timing. Cette loi électorale aurait être amendée au moins il y a deux ans, mais aucun parti n’avait jugé utile de le faire.
La seconde consiste en le fait que cette loi amendée, pour peu qu’elle soit promulguée, va diviser encore les Tunisiens entre les plus démunis et l’élite.
Le seul espoir est de s’attendre à ce que les Tunisiens votent « intelligent » et donnent une claque démocratique «aux djihadistes et contrebandiers» qui sont à l’origine de ce projet de loi au nom du diktat de la légalité et de la démocratie. Ces mêmes partis «qui ont utilisé l’escabeau des élections pour accéder au pouvoir pour le retirer ensuite à leurs concurrents. Et là on trouve le sport favori des islamistes pour qui la démocratie c’est juste un moyen pour accéder au pouvoir et perdurer.
A ce propos, Georges Burdeau (1905-1988), auteur de «Traité de science politique», disait merveilleusement : «Finalement la démocratie n’est pas dans les institutions, mais dans les hommes. Il n’y a pas de démocratie, mais seulement des démocrates».