«Transition politique et développement inclusif», c’est le titre du dernier essai publié en Tunisie par la sociologue et universitaire en sciences de gestion, Riadh Zghal. L’auteure a présenté son ouvrage, lors d’une rencontre organisée le 8 juin 2019 à Tunis par l’Association Club Mohamed Ali de la culture ouvrière.
Globalement, «cet ouvrage propose une méthodologie pour l’entretien de la flamme de la démocratisation et sa transformation en levier de développement local, régional et national», a déclaré Riadh Zghal.
La globalisation serait écocide
Dans le premier chapitre, l’universitaire traite “des droits de l’Homme, de la démocratie, de l’aide étrangère et du développement”. Elle fait une mention spéciale pour la globalisation qu’elle qualifie d’«écocide» et d’«inquiétante». Car pour elle, «cette globalisation produit des dynamismes contradictoires avec, d’une part, un souci d’équité et de lutte contre la pauvreté, et, d’autre part, un creusement des inégalités…».
La professeure Zghal évoque l’aide internationale et écrit à ce propos : «cette aide a notamment été prodiguée sans une évaluation rigoureuse des résultats des projets, façonnée par une démarche positive insensible au caractère idiosyncrasique (particulier) du contexte, focalisée sur la dimension économique et orientée vers des programmes non transformables qui se trouvent être plus faciles à mesurer».
S’agissant du cas particulier de la Tunisie, Riadh Zghal constate que «la demande d’équité économique et politique a été activée par la révolution. Elle pose la double hypothèse que la variable explicative des tensions sociales est l’inégalité politique et que dans chaque localité ou région, il y a un capital humain de savoir et d’intelligence qui demande à être libéré».
Décentralisation et innovation, les panacées pour les régions
Le 2ème chapitre, intitulé “Troubles de la transition, gouvernance démocratique et décentralisation”, analyse «la configuration culturelle tunisienne basée sur l’attachement aux valeurs d’égalité-dignité, le paternalisme comme régulateur des situations où l’inégalité est inévitable, la déréglementation, le flou et l’évitement de la sanction (impunité), l’attrait des relations fondées sur l’appartenance en l’absence de confiance et d’un socle de normes relativement stable et partagé par tous».
Selon l’auteure, «la fin de la traditionnelle hiérarchie du pouvoir étatique a eu pour conséquence l’émergence de la polyarchie qui impose le partage du pouvoir et exige des compétences dont ne disposent ni les anciens gouvernants habitués à l’ordre du pouvoir centralisé, ni les nouveaux gouvernants sans expérience de gestion des affaires publiques et plutôt animés par le ressentiment, un désir inassouvi de vengeance et une volonté d’imposer qui un modèle de société, qui un modèle économique».
En conclusion de ce chapitre, l’auteure analyse les rôles de la décentralisation et de l’innovation dans «la transformation de ce genre de ce cercle vicieux en cercle vertueux» et dans la réalisation d’un changement de fond qui «transforme l’administration publique en vecteur de développement au lieu d’être un simple instrument de pouvoir et d’ordre social».
Réhabiliter l’artisanat et le savoir-faire local
Dans le 3ème chapitre “le développement local, l’entrepreneuriat et les métiers traditionnels”, Riadh Zghal souligne que certaines régions du pays souffrent d’un triple désert : «un désert d’opportunités, un désert de culture (à part le folklore et quelques chaînes audiovisuelles) et un désert de pouvoir d’chat. Les dynamiques entrepreneuriales dans ces régions sont bridées».
Pour y remédier, elle propose deux stratégies. En premier lieu, il s’agit du rajeunissement (réhabilitation) et de la modernisation des métiers traditionnels qui permettraient une accumulation primitive du capital nécessaire au développement de l’artisanat.
En deuxième lieu, l’auteure propose la mobilisation des ressources humaines locales pour l’éradication de la pauvreté. Cette mobilisation passe par la libération des initiatives et de l’entrepreneuriat (à ne pas confondre avec les PME) ainsi que par la participation des populations à l’élaboration des plans de développement. Ceci permettrait de prendre en compte leurs aspirations réelles et préparerait l’engagement du plus grand nombre ainsi que la mobilisation des ressources humaines et matérielles locales.
Economie solidaire, RSE, autonomisation
Le 4ème et dernier chapitre propose “trois vecteurs de développement régional : l’économie solidaire et sociale, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et l’autonomisation des populations locales”. La combinaison de ces trois vecteurs «serait, pour l’auteure, source d’une synergie porteuse d’un développement régional endogène».
Plutôt que de répliquer un modèle unique de développement dit “national“, elle propose la mise en valeur des facteurs de différenciation régionale des régions et l’élaboration d’un plan régional de développement de l’entrepreneuriat qui tienne compte des spécificités régionales et des forces motrices qui commandent l’économie moderne.
Le salut par la démocratie délibérative
Au terme de ces analyses et diagnostics, l’auteure constate la difficulté d’appliquer les recommandations émises en raison du déficit démocratique et d’absence de volonté politique. Elle estime que la démocratie délibérative et non libérale ou représentative est un moteur indispensable si l’on veut que l’aide au développement nationale ou internationale soit réellement utile et qu’il y ait une appropriation par la population concernée des projets de développement.
L’autonomisation ou “empowerment“ soulève la question de la bonne gouvernance aussi bien au niveau local qu’au niveau national et mondial.