A l’occasion de la célébration de la fête nationale du Royaume-Uni, Louise de Souza, ambassadeur de la Grande-Bretagne en Tunisie, nous a accordé une interview exclusive.
Un tour d’horizon, qu’elle voulait à la fois outlook et overview. Avec un zoom sur les sujets d’actualité et focus sur les topics d’avenir dans l’intérêt bien compris des deux pays.
WMC : D’abord, le point sur les relations entre la Grande-Bretagne et la Tunisie. Existe-t-il de part et d’autre une volonté pour aller plus loin ?
Louise de Souza : Je dirais que, avant 2011, les échanges se concentraient sur l’énergie et accessoirement l’industrie. Il n’y avait pas, de part et d’autre, une motivation d’accélérer le rythme. Et puis j’avancerais deux dates.
D’abord 2011, quand le peuple tunisien a fait le choix de la démocratie. Nous avons reconnu un partenaire qui franchissait l’entrée de la communauté des démocraties. Et on voyait aussi, dans la foulée, une volonté de la Tunisie d’ouvrir davantage son économie.
Et puis 2015, quand la Tunisie a été frappée par le terrorisme au Bardo puis à Sousse. Cela a jeté les bases d’une cause commune de resserrer les rangs et de combattre ensemble ce fléau. Une nouvelle vision pour un intérêt stratégique entre les deux pays était née.
Quand j’ai pris mes fonctions, à la fin de l’année 2016, le chef du gouvernement plaidait pour une “révolution économique“. Il rajoutait ce challenge à celui de la sécurité.
Mon ambition est de propulser nos échanges économiques et nos flux d’investissement croisés, à son plus haut niveau. Il est stratégique pour la Grande-Bretagne que dans cette région, complexe et proche de nous, la Tunisie, soit stable et prospère. Cela favorise sans doute nos intérêts, et la Grande-Bretagne s’emploie à aider la Tunisie dans son effort de développement.
Est-ce que le BREXIT favoriserait le rebond de nos relations ?
Oui, sans doute. Sitôt que le BREXIT sera finalisé, nos échanges seront couverts par une convention bilatérale que nous négocierons avec beaucoup de bienveillance.
Sachez que nous répliquerons tous les avantages dont bénéficiait la Tunisie dans le cadre de l’Accord avec l’UE. La Tunisie conservera tous ses avantages. Alors en cas d’accord entre la Grande-Bretagne et l’UE, cela interviendra à la fin de la période de transition. Et je tiens à rassurer que durant cette période, l’accord avec l’UE sera entièrement respecté.
Par conséquent, nous n’aurons pas à nous accorder avec les réglementations de l’OMC. En cas de no deal entre le Royaume-Uni et l’UE, cette convention sera négociée aussitôt. Il n’y aura pas d’intermède où nous serons contraints les uns et les autres à s’aligner sur la réglementation OMC. La soudure sera immédiate.
A titre d’exemple, l’huile d’olive tunisienne entrera en GB en franchise de droits de douanes comme c’est actuellement le cas dans le cadre de l’Accord d’association entre la Tunisie et l’UE.
Cela s’appliquerait-il aux autres produits agricoles et aux produits industriels ?
Naturellement, nous reconduirons tous les avantages à tous les produits concernés. Je répète que ce sera une réplication de l’Accord d’association avec l’UE. Et cet accord bilatéral sera même plus ambitieux.
Récemment, Dr Liam Fox, ministre britannique du Commerce international, l’a rappelé lors d’une visite dans la région qui l’a conduit en Tunisie, au Maroc et en Egypte. Et c’est l’occasion pour moi de rappeler qu’il n’y a pas eu de visite du ministre du Commerce en Tunisie sur les 20 dernières années. C’est dire qu’on est à une époque charnière.
Est-ce que cela présage de plus de liberté pour la circulation des personnes ?
A l’heure actuelle et du fait du BREXIT, le gouvernement britannique est en train de reconfigurer la politique britannique vis-à-vis de l’immigration. Mais c’est le Parlement qui tranchera. Cependant, je rappelle que l’on a assoupli les conditions d’obtention du visa pour les étudiants tunisiens.
Il n’existe toujours pas une commission mixte bilatérale. Comment y remédier ?
Il y a un forum d’affaires bilatéral et il est annuel. C’est de mon point de vue un mécanisme qui joue bien son rôle. Il couvre un champ très vaste, soit la sécurité, la politique, l’économie et les affaires étrangères.
Par ailleurs, il existe une commission parlementaire qui s’occupe des relations avec le Parlement tunisien et qui vient en Tunisie une fois par an.
Pour ma part, je coordonne avec l’ambassadeur tunisien à Londres, et récemment nous avons aidé le CEPEX et la FIPA pour des programmes de promotion des exportations tunisiennes.
On déplore que, malgré l’intensification des échanges, le partenariat entre les deux pays soit encore embryonnaire.
Je ne suis pas de votre avis. Nous avons un partenariat avancé dans le domaine de l’énergie. Mais également dans le domaine industriel. Récemment, c’est un opérateur anglais qui a obtenu la concession de l’exploitation du port de croisières de La Goulette. Deux compagnies anglaises sont sur la short list des marchés du plan photovoltaïque et éolien pour la production d’énergie électrique.
Shell, quoiqu’anglo-néerlandaise, je vous l’accorde, assure 62% de l’approvisionnement du gaz de ville pour les ménages et 20% des achats de la STEG.
Par ailleurs, Perenco, Salinas et Clarke Energy sont très actifs. Vodafone est en partenariat avec Tunisie Telecom.
Nous sommes aux côtés de la Tunisie en matière de sécurité pour la protection des touristes et des frontières. De même qu’au plan militaire. En retour, la Tunisie nous a beaucoup soutenus dans nos efforts en matière de lutte contre la propagation des armes chimiques. Nous avons engagé cette initiative après avoir été la cible d’une attaque à l’arme chimique.
J’ajouterais que nous avons deux priorités communes. La première concerne les droits de l’Homme. Nous avançons ensemble dans le cadre de la résolution 1325 de l’ONU sur la question de l’engagement des femmes en matière de résolution des conflits (Women Peace and security).
La seconde est la question libyenne. Comme la Tunisie, nous soutenons l’initiative des pays du voisinage (Tunisie, Algérie, Egypte) et nous appuyons la solution d’un règlement politique. Cependant, nous voudrions que cela se réalise sous l’égide de l’ONU.
Par ailleurs, nous nous réjouissons de voir la Tunisie siéger au Conseil de sécurité et je pense que c’est là une occasion supplémentaire pour coordonner nos actions.
Peut-on s’attendre à un meilleur partenariat financier ?
Récemment nous avons initié un programme de développement du marché boursier. Il s’agit d’aider au développement du marché alternatif de la Bourse de Tunis. Un échantillon pilote formé par 120 PME bénéficiera d’un plan d’assistance pour un rapprochement avec le marché financier. Il s’agit de les familiariser au financement non bancaire dont notamment l’émission d’emprunts, les OPV et, dans la foulée, le capital-risque.
Depuis la visite du Lord Mayor en 2018, six fonds d’investissement anglais ont visité la Tunisie. Le Fonds ACTIS a pris des engagements dans des entreprises de pharmacie et des universités privées. Le Fonds public anglais CDC est un gros actionnaire d’AFRICINVEST.
Enfin, le gouvernement britannique a mobilisé une enveloppe de 2 milliards de livres sous forme d’assurance-crédit de commerce extérieur entre nos deux pays. Je regrette que cette enveloppe ne soit pas encore utilisée bien qu’elle soit pleinement disponible.
Propos recueillis par Ali Abdessalam