Le tabac chauffé appelé IQOS est-il moins nocif que la cigarette combustible ? Les avis diffèrent. Un groupe de scientifiques de l’UCSF Tobacco Center of Regulatory Science de l’Université de Californie a publié un rapport soulignant les risques inhérents à l’utilisation d’IQOS. D’autres experts, dont ceux qui ont récemment participé au 6ème Global Forum on Nicotine à Varsovie, pensent tout le contraire, adoptant le slogan «No fire, no smoke».
La Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a, pour sa part, autorisé, le 30 avril 2019, la commercialisation d’IQOS, confirmant ainsi que ce produit est adapté à la protection de la santé publique.
Pourquoi une firme comme Philippe Morris engagera-t-elle plus de 6 milliards de dollars (soit environ 18 milliards de dinars) en Recherche et Développement, pour lancer l’IQOS et d’autres produits tabagiques innovants ?
La réponse dans l’entretien suivant avec Gizelle Baker, directrice scientifique chez Philip Morris International (PMI).
WMC : Comment est-ce qu’une firme comme Philippe Morris peut être la cause des problèmes de santé en rapport avec la dépendance au tabac et en même temps apporter la solution à ces problèmes ?
Gizelle Baker : Un industriel du tabac présente en effet l’avantage d’avoir cette expertise et compréhension des problèmes inhérents au tabac et leur apporter les meilleures solutions. Nous sommes les mieux à même de nous adresser aux fumeurs pour leur offrir différentes pistes, de nouvelles alternatives qui soient à la fois beaucoup moins nocives que les cigarettes combustibles, mais qui soient en même temps acceptées et adoptées par les fumeurs adultes.
Il est évident que personne ne pourrait empêcher quiconque de fumer, car les gens fument pour diverses raisons, mais dans ce cas, pourquoi ne pas leur offrir des produits plus soucieux de leur santé avec un maximum d’informations pour qu’ils puissent en évaluer les risques ? La nicotine est devenue pour nombre de consommateurs un besoin et ce pour diverses raisons : sociale, rituelle, cognitive. Parce que, figurez-vous, la dépendance au tabac pourrait être entretenue par une association d’effets positifs sur les fonctions cognitives.
Pour beaucoup, fumer est un plaisir. Supposez que notre firme à nous retire les cigarettes du marché, les gens iront s’approvisionner ailleurs, y compris dans les marches parallèles. Face à cet état de choses, il faut être réaliste.
Nous avons une base de consommateurs qui ne changera vraisemblablement pas d’habitudes de sitôt et notre rôle est de faciliter leur conversion en les poussant vers une transition plus saine. Ceci est possible parce qu’en offrant des produits moins risqués et moins nocifs, nous leur permettons de continuer à fumer en réduisant considérablement les risques. Nous usons de la science et de la technologie pour y parvenir.
Et en tout état de cause, vous savez, tous les produits de consommation présentent des risques, le risque zéro n’existe pas. Voyez le sucre, le soda et des milliers d’autres produits mauvais pour la santé. Je pense que les grandes firmes doivent investir plus pour offrir les produits les plus sains aux consommateurs et limiter, freiner ou stopper les conséquences négatives sur leur santé.
L’industrie du tabac est une industrie très profitable, pourquoi ferez-vous une migration qui pourrait vous faire perdre des parts de marché et des gains considérables ?
Nous sommes en train de métamorphoser le marché. Les gens s’orientent progressivement vers les nouveaux produits que nous sommes en train de mettre en place et de commercialiser parce que tout évolue dans le monde. La technologie et l’innovation touchent tous les secteurs, nous avons donc fait le choix d’être les pionniers et les premiers à nous transformer en élaborant de produits plus soucieux de la santé des utilisateurs se basant sur la science et notre connaissance de la problématique.
Il y a une centaine de marques de cigarettes de par le monde, il ne s’agit pas que des produits PMI. Il y a aussi plus de 700 millions de fumeurs aujourd’hui et on prévoit la progression de ce chiffre vers un milliard dans le futur proche.
Comme je vous l’ai dit, si nous mettons la science à contribution, si nous concevons des produits moins nocifs pour la santé, nous pourrons créer de nouvelles habitudes avec les substances conjuguant le facteur santé -très important- et la satisfaction des besoins des consommateurs en matière de goût, de sensation et d’habitude.
Cela ne vous dérangera pas de prendre le risque de gagner moins en tant que Philippe Morris en créant ces nouveaux produits ?
En tant que scientifique, je préfère ne pas aborder des thèmes se rapportant aux gains ou aux bénéfices, mon souci à moi est de veiller à commercialiser les produits tabagiques les moins nocifs pour nos clients.
A la base, ce que nous voulons faire est de changer les habitudes, offrir de nouveaux produits et accompagner les consommateurs dans cette transmutation vers de nouvelles substances pour satisfaire leurs besoins aux moindres risques.
Regardez ce qui se passe au Japon grand producteur de tabac où le tabac à chauffer occupe des parts de plus en plus importantes de marché classique du tabac. L’IQOS est leader de ce marché, c’est vrai mais il y a également d’autres marques qui y sont commercialisées.
Donc, nous sommes là pour compléter l’offre et l’enrichir. En somme, nous voulons donner l’alternative pour que fumer soit moins dangereux. Nous voulons minimiser les risques sur la santé des consommateurs.
N’y a-t-il pas de résistance aux nouveaux produits de la part de ceux habitués au tabac combustible ?
Changer les habitudes des uns et des autres n’est pas facile mais c’est très possible à condition d’expliquer aux consommateurs qu’user des nouveaux produits ne nuit nullement à la satisfaction et au plaisir qu’ils ont à fumer.
Nous devons informer, communiquer, expliquer et sensibiliser à l’importance de la transition des cigarettes combustibles au tabac à chauffer ou d’autres substituts.
Nous avons remarqué que beaucoup parmi les usagers sont réceptifs à l’information qu’ils partagent et sont prêts à changer d’habitudes tabagiques. Ceci étant dit, dans les 47 pays où nous avons lancé nos produits à risque réduit, les taux de conversion des fumeurs vers ces nouveaux produits sont déjà très encourageants.
Est-ce vrai que les nouveaux produits réduisent la nocivité sur la santé ? Réellement ? Ce n’est pas du marketing ?
Switcher du tabac combustible ou fumé vers d’autres produits de substitution réduit en moyenne de 95% les risques de toxicité, et cela quel que soit le type de toxicité. Le plus important pour nous, c’est d’atteindre et de garantir cette réduction importante des substances toxiques comparé à la cigarette traditionnelle.
Nous avons bien entendu observé cela en effectuant des études sur les consommateurs des nouveaux produits et nous avons constaté la baisse des préjudices sur la santé. Des recherches ont démontré que l’IQOS délivre des doses de nicotine satisfaisantes par inhalation et élimine la combustion qui génère la majorité des substances nocives, telles le monoxyde de carbone, le goudron ou les hydrocarbures polycycliques inhalées par les fumeurs.
Les composés chimiques sont en nette baisse dans l’aérosol de l’IQOS par rapport à une cigarette classique, et par conséquent la nocivité de l’IQOS est réduite de 90%.
Il est évident que dans l’avenir, d’autres études pourront nous permettre de renforcer encore plus cet aspect mais nous avons remarqué des changements positifs sur le métabolisme des fumeurs, des changements qui d’ailleurs se rapprochent beaucoup du sevrage total.
Nous travaillons à apporter plus de preuves quant à la réduction des nuisances du tabac chauffé sur le corps et ainsi réduire les maladies liées au tabac.
Le CEO de Philippe Morris a déclaré que la firme ne vendra plus des cigarettes dans quelques années. Quand est-ce que cela arrivera ? Et cela ne pourrait-il pas laisser ouvrir la porte au trafic illicite du tabac ?
Je ne pense pas que nous puissions donner une date tout de suite parce que les cigarettes combustibles sont commercialisées dans plus de 180 pays, et nous ne sommes pas les seuls à le faire. Il y a également le risque que les fumeurs se tournent vers les marchés parallèles pour se procurer des cigarettes. Il va donc nous falloir un peu de temps pour assurer la transition définitive qui dépendra en grande partie des réglementations mises en place par les différents pays pour la mise sur le marché des nouveaux produits.
Si nous pouvons faire en sorte que ces produits soient plus accessibles à l’ensemble des consommateurs, s’ils sont convaincus parce que bien informés, si les politiques et les lois suivent, là honnêtement je pourrais vous dire que ça ira plus rapidement. Ceci dit, la meilleure manière d’éviter toute nocivité venant des cigarettes est d’arrêter de les fumer. Ceux qui continuent à le faire et qui n’ont pas arrêté pourront trouver des produits nicotiniques alternatifs comportant moins de risques. Donc la disparition des cigarettes combustibles pourrait éventuellement se faire dans une génération.
Quelle est la stratégie de Philippe Morris pour la commercialisation des produits tabagiques alternatifs sur le marché africain et plus spécifiquement nord-africain où il y a un grand nombre de consommateurs ?
Cela dépendra des réglementations, du cadre de travail dans lequel nous opérerons pour rendre plus aisé l’accès des consommateurs aux produits nicotiniques alternatifs. Il y aura évidemment des stratégies spécifiques orientées par marché et suivant les attentes et les besoins des consommateurs. Nous devons aujourd’hui nous atteler à maîtriser les mécanismes du marché africain et voir comment il fonctionne. Le cadre légal existant dans les pays africains ne permet pas à ce jour le développement d’un marché conséquent pour les nouveaux produits.
Il va falloir s’attaquer à deux volets importants, l’éducation et l’information, que nous devons donner aux consommateurs qui veulent switcher vers les produits alternatifs. Il est fondamental pour nous que les utilisateurs soient convaincus des avantages des nouveaux produits nicotiniques.
Par ailleurs, PMI est décidé à toucher tous les fumeurs de par le monde, et l’expérience pilote à travers de IQOS -notre produit phare de Tabac Chauffé- a démarré au Japon qui est le pays idoine pour évaluer du degré de réussite de ces nouveaux produits dans un marché à haute prévalence tabagique.
Après 5 ans, 20% des fumeurs japonais ont complètement adhéré à la cause de l’IQOS, ce qui est grandiose d’autant plus que le Japon est un grand producteur de tabac.
Nous devons par ailleurs concevoir des marques différentes selon les marchés et fournir un éventail de produits assez large prenant en considération les spécificités de chaque marché et la dissimilitude des cultures et des orientations suivant les pays.
PMI est en train d’élaborer de nouveaux produits qui seront bientôt mis sur le marché. Nous sommes au début du lancement et du développement des nouveaux produits qui seront démocratisés au fur et à mesure de leur expansion. C’est comme les nouvelles technologies, au début, elles ne sont pas accessibles à tout le monde et ensuite au gré de leur développement et leur essor, elles coûtent moins et se vendent moins cher.
L’accompagnement de la transition chez ces millions de consommateurs est un facteur à prendre en considération et qui exige beaucoup de moyens et d’efforts. Les comportements et les réactions sont différents d’une personne à une autre et d’une population à une autre.
Vous avez réalisé nombre d’études sur les nouveaux produits, quelles sont les principales conclusions auxquelles vous êtes arrivés ?
Nombre d’études chimiques qui visent à identifier les substances qui composent les nouveaux produits ont été réalisées sur leurs propriétés, la manière dont elles interagissent, se combinent et changent, et nous avons utilisé des procédés très avancés pour créer de nouvelles substances moins risquées pour la santé.
Nous mesurons le degré de toxicité de chaque produit et nous procédons à des évaluations régulières pour pouvoir mesurer leur impact sur la santé et les maladies dont ils peuvent être la cause ainsi que les composants nocifs ou potentiellement nocifs qu’il peut contenir.
Nous avons fait des expériences sur des animaux pour déterminer exactement leurs conséquences sur les uns et les autres. Même si elle n’est pas saine à 100%, la cigarette électronique engendre beaucoup moins de dégâts sur la santé que la cigarette combustible. Nous avons pu mesurer le degré de dépendance et jusqu’à quel point sa réduction peut mener au sevrage et l’abstinence.
A ce propos, je voudrais citer les discussions menées entre PMI et l’US Food and Drug Administration (FDA) qui a reconnu que l’IQOS réduit significativement l’exposition du fumeur à des produits chimiques nocifs. Des études réalisées par des organismes indépendants sont arrivées aux mêmes conclusions. Si nous comparons les dangers des cigarettes combustibles à ceux des e-cigarettes, on réalise que les seconds sont de loin moins nocives.
Entretien conduit par notre envoyée spéciale à Varsovie, Amel Belhadj Ali
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