Monsieur (ex)ministre de l’Energie, des Mines et des Energies renouvelables, occupée par mes activités parlementaires, je viens tout juste d’entendre quelques passages de votre discours sur l’énergie prononcé lors d’un séminaire organisé par un parti de la place.
Pour tout vous dire, j’en ai été étonnée d’autant plus que les déclarations émanent d’un expert du secteur énergétique et d’un chef de département ministériel qui a été, comme les 8 autres ministres depuis 2010, témoin des entraves et des conditions d’investissement difficiles connues par le secteur en question.
Vous avez, lors de votre intervention, décrété que la souffrance du secteur de l’énergie relève de la responsabilité du gouvernement actuel, assurant que les conséquences en seront néfastes. Selon votre expression, la Tunisie connaîtra d’ici dix ans l’arrêt total de la production énergétique.
Et pourtant, les statistiques montrent que, malgré l’enchaînement régulier des agitations sociales et les contraintes dues à l’application de l’article 13 de la Constitution (que vous avez cité comme un des blocages), ce gouvernement a réalisé une reprise du secteur en comparaison aux années précédentes.
Ainsi :
– en 2019, pour la première fois depuis 2011, 9 permis de prospection ont été accordés en une année, dépassant la moyenne enregistrée depuis 2010 (4 permis par an), sachant que le nombre des nouveaux permis n’a pas dépassé 2 depuis 2012 ;
– en 2019, les opérateurs ont confirmé le forage de 13 nouveaux puits avec une option pour réaliser 3 forages d’exploration supplémentaires (la moyenne sur 2014/2018 étant de 4 forages par an).
– avant 2010, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique était de 2% seulement, en 2019, grâce aux investissements engagés (régime des autorisations + régime de concessions), cette part atteindra les 20% d’ici une année (en puissance cumulée de MGW) ;
– dans une année, le secteur connaîtra une production électrique de 2 500 MGW, soit 40% de la consommation nationale (1 000 MGW), grâce a la construction de 2 centrales électriques et 1 500 MGW d’électricité par les énergies renouvelables ;
– 60 MGW de panneaux photovoltaïques dans les bâtiments ont été installés en 2019.
Et tout récemment, grâce à la révision de la loi de 2015 et l’amendement de l’article 9, les barrières aux investissements dans les énergies renouvelables rencontrées par les industries et par les établissements économiques grands consommateurs d’énergie ont été éliminées. Cette révision va permettre un niveau d’investissement de l’ordre de 2,5 milliards de dinars, une économie d’énergie sur la facture électrique de l’ordre de 20% et une économie d’énergie de 90 ktep.
D’autre part, l’Etat est décidé à introduire les voitures électriques dans un premier temps dans le parc des véhicules privés, en démarrant par la mise en place de la logistique nécessaire pour l’accueil de 1 000 voitures électriques appartenant à l’administration et aux établissements publics.
Monsieur le ministre,
Vous avez déclaré que le blocage réside notamment dans l’élimination du ministère de l’Energie. Or ce ministère a été une exception dans la vie du secteur. L’énergie a toujours été associée avec d’autres secteurs (l’exception ne fait pas la règle).
Limoger un ministre et remplacer quelques responsables ne veut pas dire éliminer tout un ministère. Les structures et les directions générales relatives au secteur de l’énergie ont toujours existé et continuent à exister. Tout au contraire, cette décision a permis l’émergence d’une équipe jeune, compétente et dévouée à la politique de développement du secteur énergétique du gouvernement.
Votre annonce fracassante relayée par tous les médias de la place attestant que la corruption et de la mauvaise gouvernance n’existe pas dans le secteur de l’énergie (la lutte contre la corruption est une histoire de «ommek sissi»), une déclaration inattendue surtout de votre part.
Car même s’il est vrai que depuis 2010 le secteur a été diabolisé, nier l’existence du phénomène de corruption et de mauvaise gouvernance revient à induire l’opinion publique en erreur. Les rapports de l’Instance de contrôle et les rapports de la Cour des comptes confirment certains dépassements.
L’affaire de « Halk El menzal » est l’illustration d’un cumul d’erreurs auxquelles le gouvernement cherche, depuis 8 mois, une solution juridique.
Les dépassements détectés par les instances publiques de contrôle sont liés principalement à :
– une cession des droits de Halk el menzel ne répondant pas au minimum des conditions requises par la CCH (commission consultative des hydrocarbures) ;
– un cumul des avantages des deux régimes par le titulaire de l’autorisation. Il jouissait de 50 ans d’exploitation comme l’indique le décret beylical de 1953 et aussi des privilèges financiers prévus par le code des hydrocarbures. Or la loi oblige les sociétés à faire le choix entre l’un des deux régimes. Le fait que le titulaire de la concession a poursuivi ses activités au-delà de l’année 2009 tout en profitant des avantages fiscaux à la fin de la période réglementaire est considéré une infraction pénale au sens de l’article 96 du code pénale (bénéficiant de deux régimes en même temps) ;
– l’ETAP, malgré sa demande du 17/6/2014 au ministère de tutelle, n’a pas été associée à la signature de la convention, alors que le code des hydrocarbures l’exige ;
– l’infraction enregistrée au niveau de la redevance superficielle et son manque à gagner pour l’Etat est aussi une autre infraction pénale ;
– l’absence de suivi et de document prouvant l’organisation, le contrôle des opérations de découverte, de développement de la production des hydrocarbures est néfaste pour le secteur.
Tout ceci sachant que la note en date de 18 juillet 2018 transmise par le ministère de l’Energie au gouvernement concernant le dossier Halk El Menzel reconnaît que la période de validité de la concession a pris fin depuis le 2 décembre 2009. Cette affaire a non seulement mis a nu ce dépassement, mais aussi a permis de déceler d’autres autorisations opérant dans des situations illégales. Evidemment le dossier Halk El Menzel a été transféré à la justice qui jugera d’elle-même de sa pertinence.
En attendant, des mesures ont été prises pour l’amélioration de la gouvernance du secteur énergétique. Nous pouvons citer à ce propos :
– la publication des contrats et des conventions au public ;
– le renforcement des réunions de la CCH ;
– la réduction des situations de conflit d’intérêt ;
Même si on ne veut pas le reconnaître, le secteur de l’énergie comme d’autres secteurs et à des degrés divers souffre de mauvaise gouvernance et de corruption et ce n’est pas de la fiction comme vous l’avez prétendu.
Monsieur le ministre, je suis contente de voir que vous commencez à donner de l’importance au volet efficacité énergétique, un volet qui ne faisait pas partie de vos priorités du temps où vous étiez aux commandes, et je vous annonce que ce gouvernement a pris la décision tant attendue depuis des années à savoir l’alimentation du fond de transition énergétique par des ressources plus durables provenant de 1 à 2 millimes pour chaque litre de carburant ou un KWh consommé. Une décision prise dans le cadre de la loi de finances 2019.
Le débat national organisé récemment sur le secteur énergétique avait pour objectif de booster le secteur et de présenter des solutions immédiates pour le renforcement de l’efficacité énergétique en Tunisie.
Monsieur le ministre, j’ai réagi à vos déclarations dans une vision positive espérant un jour unifier tous autant que nous sommes nos efforts pour servir l’intérêt de notre Tunisie malgré nos rivalités politiques.
Et c’est pour cela que je termine par cette affirmation : en ce qui me concerne, je préfère votre casquette de technocrate pour nous faire bénéficier de votre expertise dans le domaine pétrolier que celle du politicien emporté par la furie de la campagne électorale.
Leila Ouled Ali