Les perspectives économiques de la transition numérique ne seront porteuses que si les médias tunisiens bénéficient des recettes futures du numérique, relève une étude dont les résultats ont été présentés mercredi 26 juin à Tunis.
Menée dans le cadre du Programme d’appui aux médias tunisiens (PAMT)-MEDIA UP de l’Union européenne, l’étude a souligné qu’à ce stade, ce sont Facebook et YouTube qui captent le principal des recettes et le ” sharing ” qui cannibalise le développement des abonnements à contenus originaux, innovants et créateurs de valeur pour tout l’écosystème.
Réalisée et présentée à l’Institut français de Tunisie, dans le cadre de la 2ème édition des rencontres de Carthage, par Claude Yves Robien, consultant et ancien directeur général de France 2 et Zied Miled, ingénieur en télécommunications et avocat au barreau de Tunis, l’étude a indiqué que les recettes digitales en 2018 ont représenté environ 7% des investissements publicitaires (y compris Facebook et YouTube) alors que dans d’autres pays à l’instar des USA, les recettes digitales font jeu égal avec celles de la télévision, représentant près de 40 à 45 % de la part de marché publicitaire.
L’étude comporte vingt-cinq recommandations destinées à permettre aux décideurs tunisiens de l’ensemble de la chaîne de valeur médiatique de réorienter leurs offres pour reprendre le contrôle des contenus émis, atteindre la taille critique et la maturité nécessaire pour créer des habitudes de consommation et s’émanciper en partie de Facebook et YouTube.
L’objectif étant aussi de créer des dispositifs attractifs pour le public et les annonceurs, rebâtir un nouvel écosystème plus performant intégrant les différents acteurs tunisiens et enfin garantir des perspectives de retour sur investissement dans le numérique comparables à celles des autres environnements internationaux comparables.
Par analogie avec d’autres pays ayant misé sur la production d’images dans un écosystème “médias – économie numérique – création de programme – innovation technologique – créativité publicitaire…”, l’on peut tabler sur la création de 10 à 15.000 emplois en cinq ans en Tunisie, et ce, seulement si l’essor du secteur est encouragé et que les clients potentiels internationaux puissent profiter aisément des facilités offertes par la Tunisie, relève l’étude.
S’agissant les recommandations de l’étude, les experts suggèrent de protéger la création intellectuelle et artistique sachant que d’après Youssef Ben Brahim, DG de l’OTDAV (Organisme tunisien des droits d’auteur et des droits voisins), seuls moins de dix médias tunisiens sont en conformité avec les règles de propriété intellectuelle.
Dans ce contexte, il convient de rendre effectives la déclaration et la protection des œuvres et créations originales, le système de défense de la création intellectuelle et artistique se mettra mécaniquement et naturellement en place.
Cela permettra d’une part de lutter contre la contrefaçon des concepts et le piratage des œuvres, et d’autre part de faire naître et de soutenir des talents en Tunisie et à l’international.
Il s’agit, en outre, de constituer un service public de qualité, complémentaire, en radio et télévision. Les services publics doivent être à la pointe et tirer la qualité vers le haut.
Les moyens techniques de la Radio Tunisienne et de l’ETT pourraient être facturés à des producteurs extérieurs pour optimiser les prix de revient. L’agence TAP, la Radio Tunisienne et l’ETT doivent contribuer à définir une offre élargie, diversifiée en matière de contenus et de programmes, sans cesse renouvelée, contribuant ainsi à la création de contenus originaux et la valorisation de programmes d’archives audiovisuelles, note l’étude.
Et d’ajouter : ” La définition de l’architecture et la structure du paysage médiatique tunisien pourrait être l’occasion d’un large débat public impliquant les professionnels et la représentation nationale. Pourront alors de poser par exemple des questions de fond telles que l’absence de chaînes (radio, TV, net) de sport et d’information en continu. Les problématiques de modèles économiques seront alors discutées et devront être tranchées de manière transparente “.
L’étude suggère aussi de permettre la constitution d’une industrie innovante autour du service public, de changer les statuts du service public pour permettre une plus grande évolutivité et souplesse des offres et de renforcer l’exigence de transparence capitalistique.
D’après la même source, il convient de prendre des mesures destinées à faciliter l’installation de sociétés de production étrangères et inciter l’implantation en Tunisie en simplifiant les démarches administratives notamment au niveau de la bureaucratie douanière, en permettant de recourir à des moyens de paiements internationaux sécurisés.
” Les verrous en matière de change décrédibilisent à l’international l’ensemble de l’écosystème tunisien “, signale l’étude.
Les experts recommandent aussi de constituer l’offre légale universelle sur la TNT, de transformer progressivement l’offre de sharing en activité de distribution régulée et de favoriser la collaboration Public-Privé-Start up pour créer des services alternatifs aux offres des GAFAN (Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix).
Ils estiment qu’il est indispensable de concevoir ses propres sites et applications attractifs tunisiens hors Facebook et de constituer à terme une plateforme de VOD/SVOD tunisienne légale, qui regroupe tous les médias audiovisuels publics et privés légaux.
Ils recommandent également de travailler l’écriture visuelle et de faire porter l’effort sur la narration, la personnalisation, le design et la charte indiquant que selon Pascal Allard, DG d’Havas Maghreb ” tous les modes d’expression vont plus vite, alors que les médias tunisiens sont restés très institutionnels dans le ton, l’écriture, le rythme. Qu’il s’agisse de Radio, de TV, de presse ou d’actualité sur le net.
En outre, il convient de penser des productions qui peuvent s’adapter à plusieurs supports, de fiabiliser les informations en travaillant sur des sources et un traitement de qualité et d’accroitre l’attractivité des médias sur internet par une meilleure ” éditorialisation ” des contenus proposés.
L’étude propose aussi de globaliser les audiences traditionnelles et numériques pour mesurer la puissance des marques-médias, de déployer des outils informatiques de management et de pilotage des contenus et des différents supports de diffusion et de recourir à des outils internationaux de monétisations reconnus.
Il est également recommandé d’innover dans le numérique, de développer les formations de managers généralistes et de développer les formations de direction artistique de médias et de marques et de former des spécialistes de marketing capable de définir des diversifications et des segmentations d’offres.
Il s’agit aussi de former des spécialistes d’internet susceptibles de développer le numérique dans les médias et de former des spécialistes du droit du numérique et des propriétés immatérielles.
Afin que l’accès à l’espace digital ne demeure source d’insécurité juridique, il conviendrait également de procéder à une harmonisation d’un certain nombre de dispositions juridiques avec les dispositions constitutionnelles en matière de liberté d’expression.
Les principales dispositions visées sont la loi organique 2015-26 relative à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent incrimine l’apologie d’une manière publique et expresse (…) des opinions et idées liées aux infractions terroristes.
Toutefois, une définition juridique de l’apologie s’impose afin d’éviter des portes ouvertes à toute insécurité juridique et de facto limitant la liberté d’expression ; l’article 91 du code de la justice militaire incrimine l’atteinte à la dignité, à la renommée et au moral de l’armée.
De même les notions d’atteinte au moral et à la renommée méritent d’être rigoureusement définies afin de ne pas constituer une autre menace à la liberté d’expression ; l’article 86 du code des télécommunications, encore en vigueur à la date de publication de ce rapport, incrimine quiconque nuisant sciemment aux tiers et perturbant leur quiétude à travers les réseaux publics des télécommunications.
Aussi, il s’impose de définir les notions de nuisance et de perturbation de la quiétude afin de ne pas limiter de manière dangereuse la liberté d’expression dans ce nouvel espace numérique encore en construction.
C’est sur ce fondement que la blogueuse Fadhila Belhaj a été condamnée au mois de février 2019 à deux ans de prison ferme et à une amende par la chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Tunis. En effet, plusieurs personnes, avaient porté plainte contre la blogueuse pour les avoir injurié sur les réseaux sociaux, souligne l’étude.
A noter que la 2ème édition des rencontres de Carthage organisée les 25 et 26 juin à l’IFT par l’Union francophone a été aussi une occasion pour discuter l’émergence des infox et comment y faire face dans un contexte en mouvance outre la discussion du thème le numérique et la souveraineté des Etats.
Un concours de jeunes talents de la Pub est aussi organisé en marge de ces journées.
Selon Christian CAPPE, président de l’Union francophone, six équipes de jeunes talents de la pub auront 6 minutes chacune pour présenter leur projet de campagne publicitaire visant à sensibiliser l’opinion publique contre les ” infox ” dans les domaines de la santé et du climat.