“La crise économique et sociale que traverse le pays trouve ses racines dans un échec politique patent”, estime l’ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Mustapha Kamel Nabli, lors d’un débat organisé récemment sur son essai “J’y crois toujours, au-delà de la débâcle… une Tunisie démocratique et prospère ” (Sud Edition, 2019).
“L’explication de cet échec réside d’abord dans la nature de la jeune démocratie qui a mis au pouvoir des personnes inexpérimentées, non préparées pour gérer une économie en transition. Certes, les observateurs étrangers font remarquer que le pays a relativement bien réussi sa transition démocratique, mais on ne peut pas réussir sur un seul plan et échouer dans les domaines économique et social, car les deux réussites sont étroitement liées”, a-t-il indiqué.
Pour Nabli, “trois faits importants ont marqué le cours des événements, à savoir l’arrêt de la production du phosphate et la paralysie de toutes les activités qui en dépendent, l’effondrement du secteur de l’énergie et les coups portés au tourisme par les attentats terroristes. Il s’agit de trois secteurs sinistrés”.
Il rappelle que l’année 2013 a marqué un tournant pour le pays, car c’est à partir de cette date que la Tunisie est entrée dans le cycle infernal de l’endettement, notamment en recourant au FMI : un signe annonciateur d’une crise financière inévitable.
En 2014, la situation s’est encore détériorée à cause des attentats politiques et d’une vive tension sociale. Après l’élaboration de la nouvelle Constitution et les élections d’une nouvelle classe politique, l’année 2015 promettait une amélioration de la situation sur tous les plans, mais il n’en fut rien. Bien au contraire, la Tunisie est entrée dans une nouvelle crise politique difficile à gérer, qui eut pour conséquence la fin de toute confiance dans l’élite dirigeante ainsi qu’une aggravation de la situation économique.
Aujourd’hui encore, le pays est confronté à une exacerbation du déficit commercial, un recul de la croissance et une montée du chômage et des pressions inflationnistes, explique Nabli.
Pour l’ancien gouverneur de la BCT, “l’erreur qui a été commise par les responsables politiques a consisté à trouver des solutions au coup par coup, favorisant ainsi celles à court terme alors que la crise est chronique. Une telle manière de procéder a enfoncé le pays dans l’endettement et aggravé la situation économique “.
“Chaque équipe au pouvoir a cherché à résoudre les problèmes économiques et sociaux à travers le recours à des solutions techniques inappropriées relevant du populisme et du souci de sauvegarder des intérêts personnels, alors que la solution doit être fondamentalement politique. Mais c’est la volonté politique qui a fait défaut”.
Nabli a parlé d’un “scénario miracle” qui verrait le peuple accepter les sacrifices nécessaires au sauvetage du pays, encouragé en cela par l’exemple de tous, élite comprise.
Il se dit optimiste malgré tout, car, même si “2019, année des élections présidentielle et législatives, ne marquera pas la fin de la crise, 2020 devrait constituer une année de prise de conscience de la gravité de la situation qui débouchera sur le déclenchement d’une dynamique de réformes sérieuses pour sortir de l’abîme”.
Il insiste sur le fait que la solution doit être globale, mais elle nécessite, d’abord, le bon diagnostic, et ensuite une détermination politique pour instaurer les réformes nécessaires aussi bien au niveau de la gouvernance politique qu’au niveau économique.
Interrogé sur la nostalgie manifestée par certains aux régimes autoritaires, laquelle serait justifiée par les mauvaises performances économiques de la période post-révolution de janvier 2011, Nabli rappelle qu’un pays dirigé par un seul homme fort présente toujours plus de risques qu’une jeune démocratie avec un pouvoir politique faible. Le dérapage dans le premier cas est plus coûteux pour l’économie, alors que dans une démocratie, il y a des forces de rappel qui jouent le rôle d’amortisseur pour atténuer les chocs”.
Ce débat a été organisé l’Association DREAM (Dynamique de réflexion économique à Mahdia).