Pour en mesurer l’ampleur, il s’agit de digitaliser plus de 1,5 million de photos lesquelles illustrent tous les événements majeurs qui ont eu lieu dans le pays depuis plus d’un demi-siècle.
L’Agence de presse officielle – Agence Tunis Afrique presse- plus connue sous l’acronyme TAP, est réputée, depuis sa création en 1961, d’être « l’historienne de l’instant » en ce sens où elle rend compte quotidiennement et en temps réel des événements qui ont eu lieu dans le pays et à l’international.
Les générations de journalistes, photographes, documentalistes et autres qui ont travaillé dans l’ombre et dans des conditions de travail souvent stressantes compte tenu de la nature de l’autoritarisme qui prévalait dans le pays, ne réalisent pas qu’ils ont forgé, durant 60 ans, par l’écrit et par l’image, une partie de la mémoire officielle du pays.
Le cumul de leur travail punaisé dans des dépêches et photos est érigé, de nos jours, en patrimoine national. L’actuel PDG de l’agence, Rachid Khechana, vient de prendre la décision d’entamer la numérisation du patrimoine photos de la TAP.
Pour en mesurer l’ampleur, il s’agit de digitaliser plus de 1,5 million de photos lesquelles illustrent tous les événements majeurs qui ont eu lieu dans le pays depuis plus d’un demi-siècle. Chaque décennie semble marquer une étape historique spécifique.
La première décennie (1956-1960) a été marquée par la proclamation de la République en 1957, la mise en place de la première République avec ces institutions, la promulgation des grandes réformes (Code du statut personnel …), le bombardement du village Sakiet Sidi Youssef en 1958.
La deuxième (1961-70), a porté le sceau de l’assassinat du leader Salah Ben Youssef, le 12 août 1961 à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), la bataille de Bizerte en 1961, la tentative de complot contre le premier président, Habib Bourguiba, en décembre 1962, le procès et la condamnation de onze conjurés, l’Evacuation de la ville de Bizerte le 15 octobre 1963, le congrès du PSD à Bizerte qui a institué la coexistence de trois secteurs public, privé, économie solidaire (collectivisme) en 1964, le procès du père du collectivisme Ahmed Ben Salah, en 1969…
Portée d’une numérisation
La troisième (1971-1980) a connu l’échec de la réforme du parti socialiste destourien (PSD) à Monastir en 1971, l’émergence du mouvement opposant démocratique social (MDS), la grève générale de l’UGTT en 1978, l’agression armée contre la Tunisie à partir de Gafsa en 1980…
La quatrième décennie est qualifiée de « la décennie perdue ». Elle est connue à travers l’échec des élections démocratiques en 1981, la révolte du pain en 1984, le putsch médical de 1987, la répression des djihadistes islamistes après 1989…
La cinquième (1990-2000) a été marquée par des changements économiques majeurs, la privatisation des entreprises publiques (cimenteries et autres…), l’adhésion de la Tunisie à l’Organisation mondiale du commerce en 1994, la conclusion d’un accord d’association avec l’Union européenne en 1995…
La sixième a été particulièrement violente. D’importants événements douloureux y ont lieu, et ont impacté négativement l’économie (tourisme) du pays. Parmi ceux-ci, il y a lieu de citer l’attentat perpétré, le 11 avril 2002, à Djerba, par le groupe terroriste El Qaida, la fusillade de Soliman (sud-est de Tunis) en janvier 2007, les émeutes du bassin minier 6 janvier 5 avril 2008, le soulèvement populaire (décembre 2010 – janvier 2011).
La septième décennie a consacré, certes, la transition démocratique, mais dans un contexte marqué par l’émergence du terrorisme et des assassinats politiques. A signaler à propose de cette décennie, l’organisation des premières élections « démocratiques en 2011 » suivie de la victoire des islamistes 2011-2013, la mise en place d’une Assemblée constituante, l’assassinat, en 2013, des deux militants progressistes (Chokri Belaid le 6 février et Mohamed Brahmi le 25 juillet), l’institution d’un dialogue national, la promulgation d’une nouvelle Constitution 2014, l’avènement de la 2ème République suite aux élections générales de 2014, série d’attentats meurtriers en 2015 (au Bardo, à Sousse et à Tunis (Avenue Mohamed V), attaque de Ben Guerdane le 7 mars 2016….
Au tour du « patrimoine dépêches »
Cela pour dire que cette numérisation du patrimoine photos de la TAP est un événement majeur pour la mémoire du pays. Cette digitalisation est une seconde vie pour ces clichés. Une chose est certaine, elle va non seulement les dépoussiérer et les réhabiliter au grand bonheur des historiens et des chercheurs, mais surtout, elle va conférer à leur témoignage la pérennité requise. Et ce à une époque où « le mobile journalisme » est en train de révolutionner le métier journalistique, partout dans le monde.
Cela est dû, entre autres, à la qualité des vidéos produites en utilisant des téléphones portables au point qu’elle est en train de concurrencer celle des vidéos produites par des caméras professionnelles.
Espérons que la direction générale de la TAP, qui vient d’opter pour la migration vers un produit pointu, la vidéo, fera autant pour «le patrimoine dépêches». Il s’agit d’une partie de la mémoire nationale.