Des “experts” analysent l’endettement intérieur et extérieur de la Tunisie

L’agence TAP a voulu savoir davantage sur l’endettement de la Tunisie. Pour ce faire, elle a soumis la question à des analystes économistes sur la portée des crédits et la réalité de la confiance des bailleurs de fonds internationaux en la destination Tunisie, dix ans après la Révolution.

Le rythme de l’endettement intérieur et extérieur de la Tunisie ne cesse de s’accélérer, et ce en vue de la mobilisation des financements pour alimenter le Budget de l’Etat, tirant profit des montants et des offres séduisants présentés par des bailleurs de fonds. Mais cette stratégie suscite une grande polémique auprès des analystes économistes, même si le gouvernement considère cela comme étant ” une affaire ordinaire “.

L’obtention par la Tunisie, récemment, d’un emprunt obligataire d’une valeur de 700 millions d’euros (environ 2,275 milliards de dinars tunisiens) auprès du marché financier international a permis de mettre en évidence le niveau de l’endettement du pays et son impact sur l’indépendance de sa décision économique. Il a aussi remis en question la continuité de l’endettement du pays et les conditions d’éligibilité équivoques pour les financements obtenus récemment.

L’agence TAP a voulu en savoir davantage en donnant la parole aux analystes économistes sur la portée des crédits et la réalité de la confiance des bailleurs de fonds internationaux en la destination Tunisie, dix ans après la Révolution.

La sortie sur le marché financier international, une affaire ordinaire

La sortie de la Tunisie sur le marché financier international est une affaire ordinaire, surtout après l’entrée en vigueur de la loi des Finances pour l’année 2019, permettant au pays de bénéficier d’une marge de crédit entre 500 et 800 millions d’euros. C’est ce qu’estime le ministre auprès du chef du gouvernement chargé des Grandes réformes, Taoufik Rajhi.

L’éxécutif a choisi de mobiliser un montant de 700 millions d’euros alors que la date de la sortie sur le marché a été tributaire de plusieurs facteurs, dont notamment la cinquième revue du programme de réformes économiques du FMI basée sur un accord au titre de la facilité élargie de crédit, depuis 2019, afin d’octroyer la sixième tranche du même crédit, ce qui a permis de renforcer la confiance des investisseurs en la capacité de la Tunisie à l’emprunt.

Rajhi assure que le gouvernement a réalisé son objectif, en fournissant l’appui financier au budget de l’Etat pour l’année 2019, indiquant que la sortie vient suite à des conditions plus souples, étant donné que le taux d’intérêt du dernier emprunt obligataire s’élève à 6,37%, avec une maturité de 7 ans; contre des financements précédents avec un taux d’intérêt plus élevé et dans une courte période de remboursement.

Il insiste sur la nécessité de trouver des financements auprès des établissements financiers, car le taux d’intérêt global ne dépasse pas 2,5%, alors que le coût de la sortie sur les marchés financiers demeure élevé.

Rajhi s’est dit étonné des avis de certains experts qui considèrent que le taux d’intérêt de cette sortie est ” irréel “, indiquant que les conditions de crédits ont été claires et montrent le taux d’intérêt requis.

Sortie réussie et imposée

Pour l’enseignant universitaire et ancien ministre du Commerce, Mohsen Hassan, la sortie de la Tunisie sur le marché financier international est ” un choix inévitable ” au vu des pressions exercées sur la finance publique, due aux accumulations et à des situations politiques et sociales difficiles.

Il fait observer que “le déficit budgétaire enregistré par la Tunisie depuis des années ne peut pas être financé à travers le recours à l’endettement intérieur seulement”, et de ce fait, “l’endettement extérieur devient une nécessité impérieuse”.

Il estime que l’opération de sortie est ” réussie “, au vu de la situation interne et externe difficile ainsi que le taux d’intérêt estimé à 6,375%, lequel représente le taux le moins élevé infligé à l’ancien emprunt obligataire évalué à 6,75% et qui a été obtenue par la Tunisie en 2018.

Cette réussite fait preuve également de la volonté de 182 institutions financières de contribuer au financement de cet emprunt obligataire et de présenter un montant de 2,200 milliards d’euros.

Selon Mohsen Hassan, les bailleurs de fonds sont toujours confiants en la capacité de notre pays à rembourser ses dettes, affirmant que ” bien que nous soyons en crise économique et financière, les bases de notre économie nationale demeurent saines “.

Et d’ajouter: “nous souffrons du déficit budgétaire, mais le gouvernement œuvre à en faire face. De même, nous avons un problème au niveau de l’inflation, mais le gouvernement a pris des mesures de maîtrise, dans le cadre de sa politique monétaire”.

Une fausse méthode de calcul du taux d’intérêt

L’universitaire Ridha Chkoundali explique, de son côté, que l’emprunt que vient de recevoir la Tunisie, d’une valeur de 700 millions d’euros, a été programmé dans la loi de finances pour l’exercice 2019.

Cet emprunt a suscité une polémique, suite aux déclarations des ministres du Tourisme et de l’Agriculteur, prévoyant des recettes exceptionnelles, cette année, qui seront comptabilisées grâce à la relance touristique et à l’exportation prévue de produits agricoles (dattes…), souligne l’universitaire. Ces recettes sont estimées à environ 2,3 milliards de dinars, soit presque le montant qui vient d’être emprunté.

” Ce prêt sera remboursé sans bénéficier d’une période de grâce, au vu qu’il n’est pas dicté par de programmes économiques et qu’il n’a pas été octroyé par une institution financière internationale “, a-t-il encore noté, ajoutant que “le taux d’intérêt communiqué (6,375%) est erroné “.

Il souligne l’impératif de prendre en considération le glissement du dinar, dans le calcul, et si c’était le cas, alors “le taux d’intérêt réel s’élèverait à environ 26%”.

Le fait que la Tunisie a réussi à sortir sur le marché international ne peut pas cacher la faiblesse des piliers de notre économie, à l’instar du taux de croissance (1,1%), du taux de chômage et de l’aggravation du déficit commercial du pays.

La Tunisie n’a pas besoin de financements…

Un analyste économique qui a voulu garder l’anonymat a souligné que “les pays du monde se précipitent pour emprunter la Tunisie, pour deux raisons. La première raison est politique, en vue de contribuer au succès de l’expérience du printemps arabe et à sa continuité. La seconde est économique, dans la mesure où les bailleurs de fonds veulent tirer profit du besoin de la Tunisie en financements, ce qui sera assez rentable pour eux”.

La Tunisie a reçu, juste pour une période d’un mois, 800 millions de dollars auprès de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), 151 millions de dollars auprès de la Banque mondiale, et 150 millions d’euros auprès de l’Union européenne, ce qui correspond à une enveloppe globale d’environ 3,4 milliards de dinars pour appuyer le budget de l’Etat et financer les banques publiques.

Nous nous attendons à ce que la Tunisie reçoive une nouvelle tranche auprès du Fonds monétaire international (FMI) d’une valeur de 247 millions de dollars (environ 740 millions de dinars), dans le cadre de l’accord au titre de la facilité élargie du crédit.

L’Union européenne a également annoncé, le 25 juin 2019, le versement d’un prêt d’un montant de 150 millions d’euros (soit 495 millions de dinars) sur trois tranches pour financer le budget de l’Etat, faisant savoir que la valeur de financement du programme d’assistance macro-financière (AMF) de l’UE à la Tunisie a atteint 500 millions d’euros (soit l’équivalent de 1,700 milliard de dinars).

Ce versement (150 millions d’euros) portera à 650 millions d’euros le montant des fonds d’AMF versés par l’UE à la Tunisie depuis 2005.

L’analyste considère que la raison non déclarée de l’octroi de ces financements est de préserver la stabilité du dinar à travers l’injection de la monnaie dans le compte d’épargne de devises, sachant que la Tunisie a emprunté environ 13 milliards auprès des banques locales.

Selon notre analyste anonyme, aucun millième n’a été mobilisé pour assurer des financements au profit du développement, et que tous les montants ont été alloués pour combler le déficit budgétaire de l’Etat lequel s’élève à 4,9% du PIB, d’une part, et de financer l’importation, d’autre part, contrairement à ce qui est d’en train d’être diffusé sur le paiement des salaires.

Sur un autre niveau, l’expert explique que la sortie de la Tunisie sur le marché financier international pour emprunter 700 millions de dollars ” selon une méthode de paiement mystérieuse “, car le taux d’intérêt réel n’est pas proche de 7% mais de 32% étant donné que le prêt sera totalement remboursé après 7 ans.

Les conditions de cet emprunt sont ” mystérieuses ” surtout que le ministère des Finances n’a pas donné des informations sur les procédures de remboursement et de commission des institutions financières ayant servi de médiateur pour obtenir le prêt.

Des crédits non destinés à l’investissement

D’après Mohsen Hassan, le point négatif dans l’obtention de ces prêts réside dans le fait qu’ils ne sont pas orientés vers l’investissement ou le développement, mais pour assurer le paiement de salaires ou de dettes ou pour soutenir le budget de l’Etat.

“La dette extérieure n’est pas une solution mais il faut que le prochain gouvernement décide des réformes révolutionnaires, ce qui nécessite une institution législative ayant pour objectif principal de sauver l’économie “, estime Hassan.

Il a mis l’accent sur la nécessité de maîtriser les dépenses, le déficit commercial, le déficit énergétique, la restructuration du secteur du tourisme ainsi qu’une meilleure exploitation des fonds des tunisiens à l’étranger.

Il propose, également, le développement des investissements directs étrangers (IDE) et la mise en place d’une politique commerciale pour attirer la réalisation des mégaprojets à haute valeur ajoutée.

Des prêts sans détails

Le site officiel du ministère des Finances ne contient pas de données actualisées sur la dette publique en 2019. Les dernières informations publiées remontent à septembre 2018, malgré les nombreuses demandes déposées par des députés de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et des personnes intéressées par le dossier économique pour avoir des données actualisées sur la dette, les emprunts contractés et les échéances de remboursement des prêts.

Ces données permettent de mieux comprendre la dette externe et interne du pays et contribuent à réduire les interprétations au sujet de l’endettement de chaque tranche versée ou prêt approuvé.

Le dernier emprunt obligataire (700 millions d’euros) alimentera le budget de l’Etat pour l’année 2019, alors que gouvernement est en train de lutter pour rembourser ses anciens prêts dans un cercle vicieux de dette…