La Tunisie célèbre, ce mardi 13 août 2019, le 63ème anniversaire du Code du statut personnel (CSP) adopté en 1956 mais appliqué une année plus tard, en 1957 ; une législation considérée, depuis son adoption en 1956, comme une avancée majeure en matière de reconnaissance des droits des femmes.
Ce texte a notamment aboli la polygamie, créé une procédure judiciaire pour le divorce et posé le principe du consentement mutuel des époux comme règle de validité du mariage.
Depuis sa promulgation, ce code a été enrichi, au fil des années, par d’autres acquis majeurs dont le droit d’avortement, le droit de vote et d’éligibilité, le droit de se marier à un étranger non musulman, l’incrimination de la violence perpétrée contre la femme …
De nouvelles mesures
L’année (août 2018-août 2019) n’a pas failli à la règle, ayant apporté son lot de réformes et de mesures en faveur de la femme.
Il y a exactement une semaine, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a annoncé d’importantes mesures en faveur de la femme.
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Celle-ci jouira dorénavant du droit de déclarer la naissance des enfants à la faveur de l’amendement, à cette fin, de la loi du 1er août 1957 sur l’état civil.
Autres mesures : quelque 700 mille jeunes filles dont l’âge varie entre 12 et 14 ans seront vaccinées gratuitement contre le cancer du col de l’utérus, tandis que les femmes âgées de 40 ans et plus affiliées au régime de la Sécurité sociale bénéficieront gratuitement de la mammographie.
Pour ce faire, une ligne de crédit de 10 millions de dinars sera mise à la disposition de la Banque tunisienne de solidarité (BTS Bank) pour financer l’acquisition de moyens de transport au profit des femmes travaillant dans le secteur agricole.
Ces mesures viennent s’ajouter à celles prises, en octobre 2018, par le chef du gouvernement. La principale consiste à faire bénéficier la femme rurale de lotissements domaniaux et de profiter de financements accordés à des taux préférentiels (ligne de garantie, bonification des intérêts…). L’objectif est de financer les projets individuels et collectifs, lancés dans le cadre de l’économie sociale et solidaire.
Parmi les mesures avant-gardistes en cours d’étude figure celle annoncée, la 9 août 2019, sur les ondes d’une radio privée, par la ministre de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Seniors, Neziha Labidi, en faveur des aides ménagères. En vertu d’une étude en cours, ces dernières devraient être âgées d’au moins 18 ans, avoir un contrat de travail légal, un diplôme et une couverture sociale.
A priori, ces mesures devraient nous faire oublier cette tragédie de traite humaine et de mettre un terme au trafic des aide-ménagères mineures.
Des frustrations
Abstraction faite des énormes avantages que pourraient apporter l’ensemble de ces mesures, annoncées à la veille de la Fête de la femme tunisienne, cet anniversaire est entaché par une grande frustration. Celle qui consiste en la non adoption de la loi sur «l’égalité entre l’homme et la femme en matière d’héritage» dont le texte sacré présente une thèse contraire. «Il revient à l’homme la part de deux femmes», dit le texte coranique.
Cependant, si ce projet de loi, salué par certains pays notamment occidentaux, est adopté, il peut pu émanciper économiquement les femmes de Tunisie qui représentent la moitié de la population.
Il n’a pas été adopté en raison de ce fameux consensus déstructurant entre l’ancien président Béji Caïd Essebsi et les islamistes du gourou Rached Ghannouchi.
Pourtant, ce projet de loi n’était pas aussi contraignant. Ainsi, ceux qui désirent donner le tiers de leur héritage à leurs filles et le double à leurs garçons n’ont aucun souci à se faire, ils pourront encore le faire. Le législateur est ainsi libre de décider en conscience d’accepter comme de refuser le principe d’égalité homme-femme.
Il faut reconnaître que ce projet ne pouvait que terroriser les commerçants de l’islam (islamistes), car il va les priver de beaucoup de pouvoirs dont celui de l’argent en ce sens où la moitié du patrimoine du pays va passer aux mains des femmes et consacrer leur indépendance économique.
Nous ne pouvons pas nous interdire également de penser que les initiateurs de ce projet, en l’occurrence les membres de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (COLIBE) ont été de piètres pédagogues. Ils n’ont pas su prendre le temps requis pour expliquer aux Tunisiens le bien-fondé de cette loi. La société civile et les médias laïcs et progressistes n’ont pas été, eux aussi, à la hauteur du projet.
Beaucoup reste à faire
Par-delà ces acquis et insatisfactions, les femmes, qui ont sauvé le pays de la dictature totalitaire islamiste en votant utile massivement en 2014 en faveur d’un président laïc, Béji Caïd Essebsi, attendent toujours le retour sur investissement d’un tel exploit.
Selon Radhia Jeribi, présidente de l’Union nationale de la femme tunisienne (UNFT), les femmes tunisiennes refusent d’être utilisées comme simple décor lors des échéances électorales.
Pour sa part, Neziha Labidi, plus directe, estime que «le principe de l’égalité homme-femme n’a pas été pris en considération dans les listes candidates aux prochaines élections législatives, notamment au niveau des têtes de liste».
Pis, par-delà la parité constitutionnalisée entre la femme et l’homme, les jeunes femmes, particulièrement les diplômées de l’enseignement supérieur sont les plus affectées par le chômage.
Selon le 13ème plan de développement (2016-2020), seules 24% des femmes travaillent en Tunisie. Même le Maroc fait mieux que nous avec c’est plus de 30%. «C’est très surprenant», s’exclame Yassine Brahim, artisan de ce plan quand il était ministre du Développement, de la Coopération internationale et de l’Investissement dans le gouvernement de Habib Essid.
Ce faible taux d’embauche des femmes s’expliquerait, pour Yassine Brahim, certes par la mentalité conservatrice de certaines familles tunisiennes mais aussi par le problème de mobilité, voire l’absence de transport interurbain. «Quand les femmes sans emploi sont originaires du sud ou de l’ouest du pays, les familles ne les laissent pas aller chercher un job là où il existe», note-t-il dans une récente interview accordée à un magazine de la place.
Cela pour dire au final qu’il n’y a pas que les femmes rurales et les aide-ménagères qui pâtissent de la discrimination et de la marginalisation, il y a aussi d’autres pans de la communauté féminine.
En somme, il reste beaucoup à faire pour que la femme tunisienne soit un véritable partenaire de l’homme et un levier de développement efficient.