Au moment où le gouvernement tarde à adopter et publier la stratégie nationale pour l’emploi (SNE) pour la décennie 2020 – 2030, qu’il avait promis de finaliser en 2017, les 600 000 chômeurs (majoritairement des jeunes et des femmes) continuent de souffrir, dans l’indifférence totale, au plan moral et matériel.
Comble du ridicule, cette stratégie est fin prête, depuis début mai 2019, au niveau du diagnostic et de recommandations, lesquelles appellent, vaguement, à transformer le modèle économique actuel, à valoriser le capital humain et à renforcer la gouvernance du marché du travail.
La publication de la SNE tarde à venir
Le seul obstacle qui entraverait sa publication et sa soumission à un débat national serait, selon la ministre (nahdhaouie) de la Formation professionnelle et de l’Emploi, Saïda Ounissi, ce qu’elle appelle bizarrement «sa formulation», voire sa rédaction, comme si la première mouture du document était rédigée en chinois.
Décryptage : tout semble indiquer que les conclusions de la SNE seront utilisées, en exclusivité, à des fins électoralistes, en faveur sans doute du parti Ennahdha, et, particulièrement, de son président, Rached Ghannouchi, qui s’est présenté pour les législatives dans la circonscription de Tunis 1 dont la maire n’est autre qu’une autre nahdhaouie, Souad Abderrahim.
Empressons-nous de constater, ici, que depuis 2015, sur quatre ministres qui se sont relayés à la tête du ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi, trois sont des nahdhaouis : Zied Ladhari (2015), Imed Hammami (2016) et Saïda Ounissi (2018). Leur bilan est quasiment nul. Le taux de chômage continue à stagner autour de 15% de la population active.
Quant au quatrième ministre ayant occupé ce poste, en l’occurrence Faouzi Abderrahmane du parti Afek (2017), il a essayé de faire bouger les lignes en proposant un projet de loi porteur : «l’autoentrepreneur».
Ce projet de loi, soumis au Parlement depuis le mois de décembre 2018, période au cours de laquelle le ministre avait quitté le gouvernement Chahed, permettrait aux travailleurs informels de bénéficier d’une couverture santé, d’un système fiscal simple, d’une cotisation unique proportionnelle. Les bénéficiaires du système seront dispensés de l’enregistrement au Registre de commerce. Ils bénéficieront en plus d’une première année de cotisation blanche, et de procédures simples leur permettant de bénéficier de la carte d’initiative dans un délai maximum de 10 jours.
Malheureusement, ce projet de loi, qui aurait pu réduire de manière significative l’informalité et le chômage, dort toujours dans les tiroirs de l’Assemblée des représentants du peuple en dépit de son urgence.
Selon nos informations, ce projet de loi ne serait pas du goût des députés nahdhaouis (majoritaires au Parlement) parce qu’il pourrait être comptabilisé comme un succès à l’actif de Faouzi Abderrahmane aux dépens des ministres nahdhaouis avant lui à ce poste.
Le taux de chômage est toujours à 15%
Moralité de l’histoire, la situation de l’emploi en Tunisie est là même qui prévalait avant le soulèvement du 14 janvier 2011 et que l’universitaire Abdeljelil Bedoui décrit en ces termes dans son livre “Le défi de l’emploi et la nécessité de repenser le modèle de développement“ : «Des jeunes diplômés de plus en plus nombreux en chômage, des jeunes salariés de plus en plus nombreux occupant des emplois précaires (contrats à durée déterminée, travail temporaire, travail saisonnier, des stages qui ne finissent pas et sans lendemain…) et très mal rémunérés».
Abstraction faite de ces blocages, en l’absence de communication institutionnelle, de vision et de stratégies claires en matière d’emploi, nous allons essayer ce papier-dossier, par le biais de contributions d’éminents universitaires et hauts cadres du pays, d’éclairer l’opinion publique et de comprendre les véritables causes du chômage en Tunisie et des pistes à explorer pour y remédier.