Les solutions proposées, jusqu’ici, pour résoudre le problème du chômage en Tunisie ont des relents idéologiques. Les parties «makhzéniennes», conservatrices, représentées par les islamistes, les thuriféraires des anciens régimes autoritaires et les syndicats, jusqu’ici uniques de fait (UGTT, UTICA…) suggèrent des réformettes soft consistant à renforcer et à améliorer ce qui existe.
Des parties de sensibilité de gauche proposent la migration pure et simple vers un nouveau modèle de développement plus inclusif fondé entre autres sur l’économie solidaire et sociale.
Il y a aussi les libéraux et les néolibéraux qui se démarquent par des solutions pragmatiques qui méritent qu’on s’y attarde.
Au rayon de l’administration, la ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi, Saïda Ounissi, a évoqué les grandes lignes de ce que sera la stratégie nationale pour l’emploi (SNE 2020-2030), et ce lors de la réunion du Comité de pilotage (COPIL) en présence du ministre de l’Industrie et des PME, Slim Feriani, des représentants des syndicats concernés (UGTT et l’UTICA) et du Bureau international du Travail (BIT).
Réformettes pour renforcer l’existant
«Cette session du COPIL, indique Ounissi, a permis l’examen du rapport de diagnostic élaboré dans une démarche participative et consensuelle qui a porté sur quatre axes principaux devant équilibrer le marché du travail, à savoir la transformation du modèle économique actuel, la valorisation du capital humain, le renforcement de la gouvernance du marché et la réussite de la mise œuvre de la stratégie».
Concernant les parties de sensibilité de gauche, l’universitaire Mongi Boughezala pense que la situation actuelle n’offre pas un dispositif adéquat en matière de création d’emplois mais favorise plutôt l’aggravation des conflits.
Pour y remédier, il propose de mettre en place un nouveau dispositif qui serait un nouveau contrat social, voire un système qui permette d’opérer les ajustements nécessaires, qui reconnaît et récompense l’effort et le rendement et veille à la justice sociale.
La gauche pour une rupture nette avec l’existant
Quant à Abdeljelil Bedoui, universitaire de sensibilité de gauche, il n’y va pas par quatre chemins, et propose une nette rupture avec l’existant. «Pour vaincre le problème de l’emploi, il ne suffit pas d’élargir et de renforcer les politiques actives de l’emploi, ni chercher à améliorer le fonctionnement du marché de l’emploi, ni vouloir améliorer l’employabilité des diplômés par des réformes répétitives et vaines du système éducatif, ni s’acharner à améliorer la flexibilité de l’emploi (…). Toutes ses actions qui caractérisent les politiques actuelles restent insuffisantes et incapables, dans le cadre du modèle de croissance extensive et de la régulation marchande, d’améliorer significativement la situation de l’emploi», lit-on dans son essai «Le défi de l’emploi et la nécessité de repenser le modèle de développement».
Et l’universitaire d’ajouter : «D’où l’impératif d’organiser une transition vers un modèle de développement intensif durable et équitable. Cette transition nécessite une rupture avec certaines croyances dogmatiques de la pensée libérale et néolibérale concernant en particulier le concept des avantages comparatifs, la règle de la neutralité de l’Etat, les conceptions abstraites du fonctionnement, la croyance relative à la supériorité du marché à l’Etat».
«Cette rupture, note-il encore, est nécessaire pour repenser le rôle des acteurs et de leurs relations, définir de nouvelles articulations entre les différentes dimensions de la reproduction sociale et saisir les immenses opportunités en matière de croissance et d’emplois qu’offre l’économie solidaire et sociale».
Des solutions pragmatiques libérales
Côté libéraux, à signaler l’initiative de Mansour Moalla, ancien ministre des Finances et de la Planification au temps de Bourguiba. Sa recette «consiste à demander à toutes les entreprises exerçant effectivement de recruter un nombre de personnes sans emploi égal à 15% du total de la main-d’œuvre exerçant dans l’entreprise, et ce durant une période de 3 ans.
On aboutira ainsi à la création d’un nombre d’emplois annuel égal à 5% de la main-d’œuvre active exerçant dans l’entreprise et 15% à la fin de la période de 3 ans.
Sur le plan national, on parviendra à un total de 200 000 emplois par an dont 40%, soit 80 000 diplômés qualifiés. Et on aura ainsi abouti à la fin des 3 ans à la résorption du chômage actuel évalué à 600 000 sans emploi. Ces recrutements exceptionnels vont constituer des charges supplémentaires pour les entreprises concernées. Pour les aider à y faire face et les inciter à effectuer les recrutements indiqués, on peut envisager de déduire ces charges supplémentaires des salaires du revenu ou bénéfice imposable, et ce durant la période d’apprentissage et de formation, soit 3 à 5 ans suivant l’importance de ces charges imposées par le recrutement».
Toutefois, cette initiative séduisante, en apparence, n’a aucun avenir, car elle ne tient pas compte de la mauvaise qualité structurelle du chef d’entreprise tunisien. Ce dernier est souvent réputé ne jamais créer de la valeur, ne chercher que le gain immédiat et facile, et donc ne recruter que temporairement, et pour profiter des avantages multiformes que lui procure les mécanismes provisoires mis en place par l’Etat aux fins d’acheter plus la paix sociale que pour résoudre la problématique de l’emploi.
Vient enfin la solution pragmatique de Sophien Bennaceur, expert tuniso-américain en gestion de crise. Il a proposé au gouvernement d’«actionner le levier de la diplomatie économique pour placer à l’étranger quelque 250 000 travailleurs sans emploi dans le cadre de l’émigration organisée ou contrôlée».
Il estime que «des pays comme l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, les pays du Golfe, les pays africains et autres sont demandeurs de travailleurs en règle. Il suffit de zapper sur le net pour s’en rendre compte». Pour réunir toutes les conditions de succès à cette opération, Bennaceur a suggéré au gouvernement «de se préparer en amont et de mettre en place une base de données exhaustive des postulants à l’émigration organisée, de leur qualification, de leur spécialité et savoir-faire».
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