Jean-Pierre Sueur, sénateur et président du groupe d’amitié Tunisie-France au Sénat français, a adressé, en mai 2019, un courrier au ministère français de l’Europe et des Affaires européennes, dans lequel il a exprimé sa crainte que l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) ne se fasse aux dépens de la Tunisie.
Dans une interview accordée à l’agence Tunis Afrique presse (TAP), le sénateur français explique cette crainte et revient sur les effets néfastes que pourrait avoir l’ALECA sur la pérennité des secteurs de l’agriculture et de la santé, s’il venait à être adopté sous sa forme actuelle.
Eviter d’amplifier la dépendance alimentaire de la Tunisie
Selon lui, “… la dépendance alimentaire de la Tunisie dépasse déjà les 55%, et une grande partie des terres agricoles cultivables sont destinées aux marchés extérieurs. Avec l’ALECA, cette dynamique risque d’être renforcée avec la menace de réduction des productions de secteurs stratégiques, tels que les céréales et l’élevage”.
Il poursuit en disant que l’agriculture tunisienne, pour être compétitive, doit se spécialiser dans des secteurs moins essentiels. De ce fait, “le pays serait davantage exposé aux fluctuations des prix agricoles, ce qui entraînerait une instabilité des prix des produits de première nécessité, qui serait très préjudiciable.
Le secteur de la santé en danger
Idem pour le secteur de la santé. Sueur pense que, dans la mouture actuelle de l’ALECA, “… des cliniques européennes pourraient très facilement s’installer en Tunisie”. Puis d’ajouter: “pour les acteurs de la société civile tunisienne que j’ai pu rencontrer, cela risque de se traduire par une baisse de la qualité du secteur public et un renforcement des inégalités face à l’émergence d’un secteur privé, qui serait loin d’être accessible à tous les Tunisiens”.
Autre conséquence prévisible, “cet accord prévoit d’allonger au-delà de 20 ans la protection des brevets sur les médicaments, ce qui reviendrait, in fine, à empêcher la commercialisation de génériques. Pourtant, les génériques produits en Tunisie, qui sont accessibles à des prix raisonnables, couvrent aujourd’hui 70% des besoins de la population”.
Donc, “freiner la production de génériques risque de se traduire par une forte augmentation des prix des médicaments et donc d’entraver l’accès à la santé pour tous”, estime le sénateur français.
Quid de délivrance des visas?
Concernant la mobilité des personnes, Jean-Pierre Sueur se dit favorable “à la réciprocité en termes d’attribution des visas, en tant que condition nécessaire de partenariat égal. L’absence de visas ou à minima de procédures simples, claires et rapides, en vue de leur obtention pour tous les citoyens, me paraît constituer des conditions fondamentales”.
Que faire pour que l’ALECA soit profitable à la Tunisie?
Après avoir souligné les effets négatifs de l’ALECA s’il est en l’état, Sueur fait des recommandations pour que cet accord soit bénéfique pour la Tunisie.
Tout d’abord, il affirme que “les acteurs la société civile tunisienne m’ont fait part de plusieurs revendications que je partage”.
Ainsi, il estime que cet accord, en cours de négociation, ne doit pas remettre en cause la souveraineté alimentaire de la Tunisie, au contraire il doit protéger les petits agriculteurs du pays.
Attention aux mécanismes d’arbitrage
En outre, “je pense qu’il faut être très vigilant quant à l’introduction de mécanismes d’arbitrage qui permet aux investisseurs européens d’attaquer l’Etat tunisien, afin d’annuler des mesures d’intérêt général alors que l’inverse serait quasiment impossible. Cela pourrait se révéler très déséquilibré au détriment des intérêts de la Tunisie”.
L’autre crainte du sénateur français concerne “l’harmonisation de l’agriculture tunisienne aux normes sanitaires et phytosanitaires européennes”. Or, il pense que la plupart des producteurs tunisiens ne sont pas capables d’atteindre ces normes. Donc, “une période de transition serait, dans tous les cas, absolument nécessaire”.