René Trabelsi, ministre du Tourisme et de l’Artisanat, est incontestablement un homme de médias et de communication. Intimement convaincu que la communication est un enjeu majeur d’un secteur, aujourd’hui considéré comme l’une des premières industries mondiales, qui fonctionne malgré les aléas économiques ou politiques, il est présent sur tous les fronts et agit à tous les niveaux.
Entretien.
WMC : Qu’est-ce que cela fait de passer du statut de voyagiste -un professionnel du tourisme- à celui de ministre qui dessine les stratégies et les politiques visant le développement du secteur ?
René Trabelsi : Il est évident qu’il y a une grande différence entre être voyagiste et être ministre. Etre ministre, c’est assumer la responsabilité de mettre en place les stratégies et les politiques de développement d’un secteur quel qu’il soit. Etre passés par la case voyagiste nous permet de mieux comprendre les problèmes des professionnels et mieux communiquer avec eux.
Quand on vient du domaine, on connaît le terrain. Lors des premières réunions que nous avons organisées avec la profession, qu’il s’agisse de la FTAV ou de la FTH, nous sommes rentrés directement dans le vif du sujet. Nous connaissons les problèmes du secteur et nous avons une idée sur les solutions, donc nous avons avancé très vite. Nous avons travaillé sur l’image de la Tunisie et comment mettre en place des tarifs plus attractifs.
Il fallait renverser la tendance médiatique quant à notre pays. Car les journalistes étrangers qui y viennent font surtout des reportages politiques. Je voulais réorienter les couvertures médiatiques sur la dimension touristique et les richesses naturelles et culturelles du pays.
La Tunisie devait être mise en avant en tant que destination touristique, et nous avons commencé par la France parce que c’est l’un des marchés les plus importants pour nous. En 2010, ils étaient 1,4 million de Français à choisir la Tunisie ; en 2018, ils étaient 800 000. La différence est énorme.
Nous avons également abordé l’Allemagne, la Belgique et l’Italie que nous avons presque perdue comme marché et que nous reprenons petit à petit.
Pour résumer, nous avons commencé par une stratégie de reconquêtes de nos marchés classiques avant d’attaquer les nouveaux tels la Chine et la Russie. Les résultats de notre stratégie médias ont été probants et nous avons vu tout le monde débarquer en Tunisie. On n’a jamais autant réalisé de reportages sur notre pays sur les télévisions et les grands médias français (Le Figaro, Le Monde, Le Parisien), et les journaux du 20h (FR5, TF1, FR2, M6).
L’émission de Cyril Hanouna de 3h en prime time sur la Tunisie a été très suivie.
Qu’en est-il de la qualité des prestations de service et des hôtels contrevenants ?
Nous avons fait un choix. Je me suis dit, ou bien nous fermons les hôtels qui ne respectent pas les normes et nous entamons des chantiers de remise à neuf des infrastructures ainsi que des actions et des investissements d’envergure pour une qualité de service au top, ou nous travaillons sur le taux d’occupation, pour permettre aux professionnels d’avoir les moyens de remettre à neuf leurs unités.
Ceci étant et en tant que professionnel de tourisme, j’ai été enchanté par la qualité des infrastructures des hôtels qui ont pourtant souffert de crises qui se sont poursuivies sur des années. Les hôtels sont bien entretenus et il y en a qui ont été remis à neuf.
Pour ce qui est du personnel, j’ai vu que beaucoup de jeunes ont trouvé des emplois dans le secteur du tourisme depuis le mois de juin. Il n’empêche, nous devons reconnaître que nous manquons de personnel qualifié. Comme vous le savez, à partir de juillet et août, les professionnels ont du mal à dénicher du personnel de haut niveau et font donc appel aux temporaires qui ne sont pas nécessairement qualifiés.
Il y a énormément à faire en matière de qualité de service, le secteur touristique a commencé à reprendre du poil de la bête depuis fin 2016. En 2018, nous avons investi au maximum pour faire revenir le maximum de touristes en Tunisie. Notre pays est l’un des rares pays de la région à vivre une véritable expérience démocratique.
Le site Tunisie figure par ailleurs parmi les plus beaux de la Méditerranée et est à découvrir pas seulement en haute saison mais en arrière-saison. Ceux qui ont travaillé aux mois de juillet et août viennent pour la thalasso, pour le golf, etc. Et soit dit en passant, ne pensez surtout pas que les touristes ne dépensent pas d’argent en Tunisie, ils en dépensent de manière considérable mais à partir du moment où ce n’est pas inclus dans le package, ce n’est pas comptabilisé, c’est-à-dire le faite de se rendre dans les souks et y acheter des objets tunisiens, ou bien manger dans les restaurant, etc.
Le problème est que les établissements para-touristiques ne profitent pas vraiment des centaines de milliers de touristes qui séjournent dans notre pays.
Comme vous le savez, cela est dû au fait que les hôtels qui offrent des prestations en all inclusive préfèrent garder leurs clients à l’intérieur de l’hôtel. Mais cela n’empêche pas ces touristes d’aller ailleurs et ne nuit ni à l’activité de l’hôtel ni à celle des places marchandes. En Espagne, en Grèce, à Antalya, à Izmir, et dans toutes les grandes stations en Turquie, les hôtels se vendent en all inclusive.
Le problème de la Tunisie est le manque de coordination, d’organisation et de bonne gestion des séjours touristiques.
Pourquoi ? Parce que les grandes agences, les voyagistes négocient très intelligemment même les sorties et les excursions et tout le monde en profite. Le problème de la Tunisie est le manque de coordination, d’organisation et de bonne gestion des séjours touristiques.
J’ai débattu de ces thèmes avec la FTAV, et j’ai insisté sur le fait qu’il faut travailler sur une meilleure gestion des séjours touristiques pour que les sorties ne se limitent pas aux souks, mais s’étendent aux sites historiques, culturels et naturels. Aujourd’hui on ne parle plus de touristes mais de voyageurs.
Les Russes veulent découvrir les pays qu’ils visitent et ne pas rester cloîtrés dans des hôtels. Le touriste aime bien sortir de son séjour classique et découvrir les sites intéressants. Il va peut-être falloir former les commerçants, les guides et les voyagistes et leur apprendre à proposer de nouveaux produits aux touristes et aux voyageurs.
Des produits comme ?
Il y a des produits qui existent déjà. A Tabarka, il y a la thalasso, les randonnées équestres et pédestres, les sites historiques. Nous avons le tourisme saharien ; et à Djerba nous commençons à avoir des pistes cyclables pour des randonnées matinales.
Nous voyons donc de nouvelles pratiques touristiques. J’ai vu personnellement des touristes de haut de gamme qui séjournent dans des hôtels classés mais qui ne s’amusent pas autant que des jeunes qui viennent dans des 3* et dépensent beaucoup d’argent parce qu’ils font la fête et sont tout le temps à l’extérieur à s’amuser en dépensant leur argent et en découvrant les sites.
Ça veut dire que les clients peuvent ne pas aller dans les 5* et dépenser beaucoup d’argent. D’un autre côté, la destination Tunisie n’est pas toujours bradée, quelquefois, les prix sont attractifs et d’autres non, nous avons vendu plus de 1 400 euros la semaine à l’Hasdrubal.
Comment définirez-vous la clientèle qui vient en Tunisie ?
Ce sont des gens qui ont envie d’y venir parce que c’est proche, pas cher, sympathique et accueillant. Ils ont des amis ici, et là je parle surtout des Français. La Tunisie c’est aussi la clientèle thalasso et c’est le deuxième site thalasso après la France. Nous avons une très bonne qualité de service et d’équipement.
Aujourd’hui, nous travaillons sur la clientèle du golf, nous vendons le site Tabarka qui détient l’un des plus beaux parcours de la Méditerranée.
Au mois de septembre, nous lançons une opération commerciale sur le produit golf. Nous amènerons de grands golfeurs de renommée internationale et nous comptons intéresser les sportifs de haut niveau à notre pays. L’hiver y est très doux par rapport à d’autres pays, et ils pourront s’entraîner sans craindre les aléas climatiques.
Au mois de décembre, il faut travailler sur les congrès, les événements un peu différents et qui ont surtout en rapport avec une clientèle différente… Malheureusement, il n’y a que Tunis qui peut abriter des congrès regroupant un grand nombre de participants. Ces infrastructures n’existent pas Djerba, à Sousse ou à Hammamet, et c’est mauvais pour ces régions-là. En été, on peut les organiser en plein air, mais pas en hiver.
Et qu’en est-il des facilités accordées au TRE pour des séjours touristiques dans leur pays d’origine ?
Cette année, le gouvernement a mis en place un quota pour les Tunisiens travaillant à l’étranger et qui ne peuvent pas s’offrir des séjours chers. Je peux vous assurer qu’il y a eu beaucoup de facilités accordées aux TRE, mais ce que je regrette personnellement est le manque de volonté d’investir en Tunisie.
Je regrette personnellement le manque de volonté des TRE d’investir en Tunisie
Les TRE ne tiennent pas spécialement à investir dans leur propre pays, ce qui n’est pas le cas des Portugais et d’autres ressortissants d’autres pays.
Je regrette aussi l’absence de représentations des banques à l’international qui s’occupent des TRE et qui proposent des formules encourageant les investissements dans l’immobilier ou dans l’économie et incitant à l’épargne. Des formules de financement et d’épargne encourageantes feraient que les TRE rentrant dans leurs pays retrouvent leur cagnotte avec une valorisation et des possibilités de crédits avec des taux minimes.
C’est regrettable, nous sommes en train de perdre beaucoup à ce niveau. Quand je visite des régions comme Tabarka ou Zarzis, j’appelle mes concitoyens à réfléchir à investir dans leurs régions et penser à créer des projets locaux, que ce soit dans les commerces ou dans d’autres activités économiques. Parce que si on vit à l’étranger, qu’on travaille jour et nuit pour tout juste construire une maison, ce n’est pas intéressant. Ce sont des problèmes sur lesquels il faut sérieusement se pencher.
Qu’en est-il du partenariat Tunisair/ONTT pour promouvoir le site Tunisie ?
Le partenariat Tunisair – ministère du Tourisme – ONTT est pour moi plus que nécessaire. Ma relation avec Tunisair remonte au jour où j’ai créé mon propre tour opérateur. Je travaillais à hauteur de 80% avec Tunisair. Je connais très bien le mécanisme Tunisair.
Maintenant, au niveau marketing, les tours opérateurs ont évolué. Chaque TO présente une demande à l’ONTT et Tunisair en même temps pour l’organisation d’un eductour, et nous faisons cela tout au long de l’année, tout comme nous organisons des conférences de presse, des dîners galas, des visites guidées, etc.
Vous avez récemment parlé de l’open sky et de son lancement prochain en Tunisie ?
L’Open sky profite aux compagnies low-cost comme Ryanair, Easy Jet ou Transavia. Pour le moment, elles ne sont pas autorisées à opérer sur la Tunisie parce que nous n’avons pas encore signé avec l’UE le contrat de l’Open sky. Le plus important est que la Tunisie a paraphé les conditions de l’accord avec l’UE.
Mais comme il y a eu le Brexit et que tout le monde attend son exécution le 31 octobre, pour concrétiser les accords.
L’Open sky est un avantage pour la Tunisie. Nous avons parlé de l’ouverture de l’aéroport de Tabarka, de celui de Tozeur aux compagnies low-cost pour permettre leur réouverture et la reprise de leurs activités. Ceci ramènera des touristes et désengorgera l’aéroport de Tunis-Carthage trop saturé. Les low-cost sont des compagnies qui veulent faire leurs vols, ramener leurs clients et repartir de suite. Elles n’occuperont pas les aérogares, mais encourageront l’afflux de nouvelles catégories de touristes et en prime les jeunes.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali