« Je n’ai jamais fait de pression sur les journalistes lorsque j’étais chef de gouvernement et ce malgré les débordements de nombre d’entre eux. Je considère qu’il est plus sain pour une démocratie d’encourager une régulation avisée, naturelle, responsable et assumée des organes de presse que d’user de moyens coercitifs pour les faire taire. Je pense qu’il faut soutenir intelligemment la presse nationale et veiller à la préserver de la médiocrité et du népotisme en améliorant en premier les conditions de vie des journalistes et des professionnels des médias ».
La déclaration est de Mehdi Jomaa, président du parti Al Badil et candidat aux élections présidentielles lors d’une rencontre avec les rédacteurs en chefs des principaux journaux de la place.
Mehdi Jomaa, auquel on reprocherait son appartenance islamiste datant de l’université, ne cesse de clamer son rejet total et définitif de la mouvance de l’islam politique : «Aucune chance pour que je m’allie avec eux. Je l’ai dit et je le redis à chaque fois, l’islam politique n’a aucun avenir en Tunisie et ne peut servir en aucun cas les intérêts de notre pays pour la simple raison que la gestion des affaires de l’Etat dans l’esprit du parti Ennahdha se fait par allégeance et non par compétence».
Mehdi Jomaa, qui a pu construire une carrière internationale après des études à l’ENIT appelle à éviter à un pays fragile et vulnérable les débats politiciens pour s’attaquer aux questions de fond : l’avenir et la relance de la Tunisie et le choix du projet de la vision pour assurer son redécollage.
«L’Etat doit être un stratège, or depuis Bourguiba, nous n’avons pas vu la dimension stratégique d’un Etat doté d’une vision et qui planifie et décide de l’avenir d’une nation en la projetant dans le futur et en mettant tout en œuvre pour créer la richesse et réaliser la croissance».
Mehdi Jomaa estime que l’Etat tunisien ne fait que gérer depuis des années ou assurer le rôle de sapeur-pompier. «Il faut arrêter cette manie de vouloir tout contrôler et donner des autorisations pour toute activité économique. L’Etat doit garder sa capacité de contrôle a posteriori. Il faut encourager la libre initiative et inciter les jeunes à libérer leurs talents et à occuper la place qu’ils méritent sur la place économique. Il faut mettre fin aux blocages administratifs et procéduraux. Ceci ne veut en aucun cas dire que je défends le libéralisme sauvage. Je suis pour le social et je ne défens pas l’antisocial».
Et de donner à ce propos l’exemple de la Chine, source d’inspiration pour Jomaa, qui a fait sortir 700 millions de Chinois du seuil de la pauvreté grâce aux réformes engagées en 1978 par Deng Xiaoping et a vu son PIB augmenter de manière fulgurante. La stratégie politique chinoise axée sur le peuple allie un travail basé sur des objectifs chiffrés à l’échelle du pays avec une approche empirique et lutte aujourd’hui pour figurer en tant que première nation créatrice et innovante du monde.
«Pouvons-nous prétendre être plus socialistes que la Chine ? Voyez où son réalisme politique et son pragmatisme socioéconomique la place aujourd’hui, en tête de peloton des puissances économiques mondiales grâce à ce que, peut-être, nous pouvons décrire comme un libéralisme social. Nous devons gagner l’adhésion de tous les acteurs socioéconomique à nos projets de réforme, de relance de l’économie et de l’édification d’une Tunisie qui se projette dans le futur en tant que force économique importante. Ce n’est pas un rêve, c’est faisable, j’ai les moyens de le faire. Si la Chine a pu sortir de la pauvreté et du sous-développement».
La Tunisie ne suit aucune méthodologie dénonce Mehdi Jomaa. La croissance économique n’est pas que soumise à la loi des chiffres, car on réalise aujourd’hui plus que jamais que l’économie n’est pas une science exacte. Le facteur humain y est pour beaucoup. «Il y a une alchimie extrêmement compliquée et difficile à réussir entre l’économie et les sciences sociales. En Tunisie, cela fait 40 ans, que nous n’avons pas procédé à une évaluation réelle de tous les choix économiques que nous avons effectués et voyez où cela nous a mené», explique pour sa part Hédi El Arbi, ancien ministre de l’Equipement, expert international et chargé du programme économique du parti Al Badil.
A la question se rapportant à la nature de ses relations avec l’UGTT et la résistance que peut trouver tout candidat dès lors qu’il s’attaque à des chantiers tel la privatisation des entreprises publiques déficitaires ou le rôle du secteur privé, Mehdi Jomaa a affirmé qu’il n’a jamais trouvé des difficultés à négocier avec la centrale ouvrière. « J’ai eu lors de mon mandat de 2014 à débattre avec l’UGTT de nombre de sujets et nous sommes toujours parvenus à un accord parce que je leur exposais les choses clairement. J’estime que le souci de l’UGTT est de s’assurer que les droits des travailleurs sont préservés et garantis. Si nous nous entendons tous autant que nous sommes sur ce principe, pourquoi voulez-vous qu’il y ait conflit entre nous ». Ce n’était pas l’avis de Zied Krichène, rédacteur en chef du journal Le Maghreb qui a rappelé à l’ancien chef du gouvernement que ses relations avec la Centrale syndicale n’étaient pas vraiment au beau fixe.
Mais passons, pour Mehdi Jomaa, l’avenir est aux accords et aux ententes et non aux désaccords, la Tunisie ne pouvant plus supporter des conflits de quelque sorte qu’ils puissent être.
Amel Belhadj Ali