Dans le cadre de la couverture de la campagne électorale, webmanagercenter.com a posé des questions aux 26 candidats en lice pour la présidentielle anticipée du 15 septembre 2019, questions ayant trait aux prérogatives du président de la République telles que définies par la Constitution tunisienne de 2014.

Mehdi Jomaa, cet ingénieur brillant qui s’est frayé un chemin à l’international et s’est imposé en tant que valeur sûre dans nombre d’activités économiques à haute valeur ajoutée telles  l’Industrie Aéronautique, la Défense, l’Automobile, ou le Ferroviaire est le pur produit de l’ascenseur social. Issu d’une famille nombreuse et studieuse, il a vécu, il a vu des vertes et des pas mûres avant d’atteindre les plus hauts postes dans des secteurs stratégiques.

«Rentrer dans mon pays pour y exercer le poste de ministre de l’Industrie et ensuite celui de chef de gouvernement a été pour moi plus qu’un honneur, un devoir de servir un pays qui m’a beaucoup donné. Je n’arrêterai jamais de servir la Tunisie là où je suis et où que je sois ». Entretien ! 

WMC : Si vous êtes élu, quelles seront vos priorités, en matière de défense et de sécurité nationales ?

Mehdi Jomaa : Mon expérience à la tête du gouvernement m’a permis de bien connaître nos forces sécuritaires aussi bien celles relevant du ministère de l’Intérieur que celles relevant du ministère de la Défense nationale. Nous avons d’ailleurs mis en place une stratégie qui avait pour but de renforcer la coordination entre la garde nationale et l’armée pour isoler et éliminer les groupes terroristes retranchés hors des villes.

Cette coordination a continué durant ces dernières années, mais nous avons relevé que malgré tous les efforts de l’exécutif, c’est la décision politique qui faisait toujours défaut, en termes de nominations et de législations notamment. Ma priorité est d’assurer un soutien et une protection sociale effective à nos forces sécuritaires et ensuite d’immuniser le ministère de l’Intérieur de toute nomination clientéliste ou partisane.

Quelle est votre approche pour combattre la contrebande sur nos frontières et son implication sur l’économie du pays ?

La contrebande est une résultante de deux problématiques profondes dans notre société. La première étant la non-application de la loi. La contrebande et la corruption sont interdépendantes et se nourrissent l’une de l’autre.

La seconde est celle des loquets administratifs qui bloquent l’entreprenariat.

Les jeunes vivant dans les régions frontalières voient leurs espoirs d’entreprenariat anéantis par les lourdeurs des procédures administratives et se rabattent sur la contrebande.

Notre objectif est de faire prévaloir la loi à laquelle les contrebandiers doivent se soumettre, de trouver des solutions concrètes et rapidement applicables au commerce parallèle et ensuite éradiquer toutes les autorisations administratives inutiles pour intégrer progressivement ces milliers de tunisiens exclus du marché formel.

Ceci étant, il est évident que j’userai de mon autorité morale en tant que président pour agir sur ces phénomènes parallèlement à travers des propositions de loi que j’espère pouvoir initier à travers mon bloc parlementaire qui sera important et influent.

Quelle est votre approche s’agissant de la question libyenne ?

La Libye a toujours été un allié historique et stratégique de la Tunisie ; des efforts colossaux ont été déployés pour consolider nos relations dans le respect des règles de bon voisinage par Habib Bourguiba, lequel, dès l’indépendance, a vu le potentiel que représenterait cette relation pour nous.

La crise libyenne est donc une question sensible pour la Tunisie. Nous devons jouer un rôle beaucoup plus important que celui que nous jouons actuellement. La neutralité positive historique de la Tunisie peut nous permettre d’assurer la meilleure des médiations pour le bien de nos deux peuples.

La crise libyenne préoccupe toute la zone euroméditerranéenne.

Comment envisagez-vous de renforcer le rôle de la diplomatie tunisienne et quels seraient les dossiers prioritaires ?

La diplomatie est d’abord une vision. La Tunisie a des acquis en matière diplomatique. De grands noms ont forgé les Affaires étrangères de notre pays (Mongi Slim, Mohamed Masmoudi, Béji Caïd Essebsi et bien d’autres). Ces derniers ont édifié un positionnement historique de la Tunisie sur la scène internationale qui consiste en une neutralité positive et agissante.

Aujourd’hui il s’agit de renforcer ces acquis et de passer à l’étape suivante : faire de tous les Tunisiens résidents à l’étranger qui réussissent dans leurs domaines des ambassadeurs et des promoteurs de la Tunisie. J’ai moi-même joué ce rôle lorsque j’ai été dans le secteur privé ou j’ai pesé de tout mon poids pour installer à Sousse une unité industrielle qui emploie plus de 1 000 personnes dans le domaine de l’aéronautique et l’industrie automobile.

C’est cette vision de la diplomatie économique que j’ai. Mettre en réseau toutes nos compétences, notre diaspora, pour servir la Tunisie et la génération qui arrive. C’est ce qui explique notre orientation pour un seul et même ministère qui regroupe les Affaires étrangères, la Coopération internationale et la diaspora.

Que représente l’Afrique pour vous ? Une étendue géopolitique ? Un marché économique ?

L’Afrique est une opportunité pour la Tunisie. Mais avant de saisir les opportunités, il faut d’abord préparer le terrain et construire une approche globale stratégique.

En Tunisie l’entreprenariat est au point mort, bloqué par les lourdeurs administratives. Il en va de même pour l’export. Le dinar est au plus bas et on ne gagne pas pour autant en compétitivité.

Je suis pour une vision qui encourage l’investissement, la production et l’export. L’Afrique est donc une opportunité et nous devons miser sur nos atouts, je ne conçois pas qu’il y ait des pays non-francophones plus présents que la Tunisie sur des marchés de l’ouest africain.

La Tunisie doit encourager les bailleurs de fonds à accompagner nos relais en Afrique. Sans oublier que la Tunisie est signataire d’accords essentiellement économiques avec les pays africains : la ZLECA (Zone de libre-échange continentale africaine) et le COMESA (Marché commun de l’Afrique orientale et australe).

Je saisis cette occasion pour remercier nos diplomates chevronnés.

Près de 15% de la population tunisienne vit à l’étranger, nous en avons une connaissance approximative, et avec les nouvelles générations nous risquons de perdre progressivement leur attachement à leur pays d’origine et à celui de leurs parents et grands-parents. Qu’envisagez-vous de faire pour eux ?

Comme vous le savez, j’ai passé 27 ans de ma vie à l’étranger, je connais donc cette réalité. Mais je peux vous assurer que nos compatriotes résidents à l’étranger, qu’ils soient immigrés ou expatriés, sont attachés à leur pays, leur culture et leurs racines. Ils ont néanmoins l’impression qu’ils ne sont pas des citoyens à part entière.

J’ai dans ma vision de les responsabiliser dans un futur proche d’en faire nos ambassadeurs et nos représentants. Renforcer le réseau de Tunisiens à l’étranger pour augmenter la cohésion et la solidarité afin de faciliter leur évolution qu’ils ne subissent pas ce que l’on appelle “le plafond de verre“.

Compte tenu des prérogatives constitutionnelles du président de la République, comment pensez-vous pouvoir agir sur les politiques et les actions du gouvernement ? Et quelles sont les causes que vous défendrez et pour lesquelles vous serez prêt à vous battre ?

Je me battrais pour l’application de la loi et le retour à l’ordre. Les Tunisiens vivent dans un environnement d’impunité, ils ont perdu confiance en leur gouvernement. C’est donc ma première bataille : restaurer l’Etat de droit.

Notre second chantier c’est le service public. Nos services sont sinistrés, ce qui a complètement anéanti la notion de service public et rompu le contrat social.

Et en troisième lieu, je souhaite lever les verrous de l’économie, surtout ceux des autorisations administratives. Je souhaite voir 1 million de nouveaux entrepreneurs sur les cinq prochaines années ; ce n’est pas une utopie, c’est un cap. Nos initiatives seront donc dans ce sens. J’utiliserai toutes les prérogatives que me confère la Constitution de la seconde République dont la priorité dans les initiatives législatives. J’irai jusqu’au référendum s’il le faut.

Pour assurer toutes les chances de réussite de la jeune démocratie et pour une réelle représentativité des élus, seriez-vous prêt à rendre le vote obligatoire ?

Non, je ne rendrai pas le vote obligatoire, ça serait la porte ouverte vers le clientélisme. Mais j’entamerais dès la première année une réforme de notre loi électorale pour garantir une représentativité plus stable, faire en sorte que les élections soient autour de projets et non autour de personnes.

J’envisage aussi de reconnaître le vote blanc. Je souhaite que la Tunisie soit de nouveau « gouvernable ».

Dans quelle situation vous pourriez envisager de dissoudre l’Assemblée ?

Comme je vous l’ai dit, je serais le garant de la Constitution, je veillerais à son application et à son respect par tous. Le président de la République ne peut dissoudre le Parlement que dans le cas d’un échec pour la formation d’un gouvernement. Je n’hésiterais pas à user de toutes mes prérogatives uniquement dans l’intérêt suprême de la nation.

Est-ce que vous pouvez envisager de démissionner si vos engagements et promesses de campagne ne sont pas tenus?

Je suis héritier d’hommes d’Etat qui ont forgé la République. Un homme d’Etat ne fait pas de promesse qu’il ne peut pas tenir. Un homme d’Etat ne démissionne pas.

 

NB: Nous avons adressé ces questions aux 26 candidats en lice pour cette présidentielle anticipée du 15 septembre 2019. Les réponses seront publiées en fonction de leur réception par notre rédaction.