“Lutter pour la probité publique, c’est lutter pour la compétitivité des entreprises”, estime l’ancien ministre de l’Economie et des Finances français, Michel Sapin, invité, jeudi 12 septembre, à une conférence-débat organisée à Tunis par l’INLUCC et la CONECT.
Il a témoigné de l’expérience française en matière de renforcement du cadre juridique de la transparence, la lutte contre la corruption et de modernisation de la vie économique, à travers la loi Sapin 2.
La loi Sapin 2, promulguée le 9 décembre 2016, vise à porter la législation française aux meilleurs standards internationaux et européens en matière de lutte contre la corruption et succédait à la première loi anticorruption (loi Sapin 1) adoptée depuis 1993.
Elle a créé l’Agence française anti-corruption, renforcé la protection des lanceurs d’alerte et imposé aux grandes entreprises la mise en place d’un dispositif de prévention de la corruption.
La lutte contre la corruption est, selon Sapin, ” une bataille renouvelée… C’est une double défiance à combattre et une double confiance à rétablir. Une confiance dans les institutions et les autorités publiques et une confiance économique. Lutter pour la probité publique, c’est lutter pour la compétitivité des entreprises car il n’y a rien de plus désastreux pour une entreprise sur son territoire que l’absence de probité publique. Il en va de même au niveau international où les craintes de rentrer dans des processus entachés de faits corruptifs sur certains marchés, dissuadent les entreprises de s’y aventurer “.
Evoquant l’expérience française, il a souligné ” nous avons mis du temps avant qu’il y ait la première loi Sapin qui avait plutôt un aspect domestique. Et puis il a fallu 22 ans pour avoir la deuxième loi Sapin. C’est pour dire qu’on met du temps pour arriver à perfectionner les dispositifs législatifs de manière très efficace. Cette deuxième loi couvre la corruption transnationale qui n’a pas été couverte par la première loi et c’est très important pour corriger la mauvaise réputation de la France dans ce domaine. Une réputation qui nuisait fortement à la compétitivité de nos entreprises ailleurs”.
“La corruption est un phénomène très profond. Plus c’est profond, plus la volonté politique de la combattre est nécessaire. C’est un processus qui doit s’inscrire dans la durée..”, a-t-il conclu.
De son côté, le président de l’INLUCC, Chawki Tabib a rappelé l’arsenal juridique relatif à la lutte contre la corruption, mis en place en Tunisie, considérant qu’”il constitue une véritable révolution. Toutefois, du chemin reste à faire en matière de lobbying et d’implication du secteur privé dans la lutte contre la corruption”.
Tabib a déploré ” l’absence d’une volonté politique franche de compléter cet arsenal juridique par les textes d’application nécessaires. Chose qui n’a toutefois, pas empêché l’instance d’entamer l’application des lois en question, confrontée parfois aux réticences de l’administration profonde, de certains lobbies et politiciens”.
” La route est droite, mais la pente est forte et nous sommes déterminés à la remonter “, a-t-il lancé.
Intervenant, Farhat Toumi, avocat et membre du conseil de l’INLUCC, a fortement critiqué l’approche nationale d’élaboration des textes de lois qui aboutit souvent selon lui ” à des textes inapplicables, contradictoires, incohérents et parfois destructeurs pour le pays et l’économie “.
” Nos lois nous sont souvent imposées, passées dans l’urgence, sans aucune cohérence ni rapport avec notre réalité. J’aurais souhaité avoir, en Tunisie, une législation transversale, avec des principes unifiés mais pour cela, il va falloir changer de méthode de légiférer, rompre avec cette logique d’experts importés que nous payons à l’heure pour nous copier des textes déconnectés de notre réalité, associer nos 5 facultés de droit et nos entreprises dans ce processus d’élaboration des textes “.
Ses propos n’ont pas trop plu au président de l’INLUCC qui n’a pas manqué de réagir. ” Ce constat est peut être vrai pour certains textes régissant la vie économique. Mais l’arsenal juridique anti-corruption est une pure expérience tunisienne qui part de la réalité du pays, de ses spécificités et de ses attentes “.