La déroute électorale du bloc des démocrates portera-t-elle un coup d’arrêt à la transition démocratique ? Une alliance de dernière chance autour d’un programme commun de gouvernement en vue des législatives peut-elle endiguer le triomphe du cartel des populistes ?
Les Tunisiens ont une relation orageuse avec les urnes. Cela a commencé en 1981 quand celles-ci ont sorti les billets rouges du PSD, alors qu’elles étaient bourrées, de l’avis de tous, des billets verts du parti MDS dirigé par Ahmed Mestiri, nous privant d’une expérience de cohabitation que Habib Bourguiba, président de la République à l’époque, aurait magistralement gérée.
Passons. Sous les vingt-trois années de dictature, en dehors d’un premier épisode piège, les urnes ont vite retrouvé leur fonction de boîtes de magie noire. Ainsi, “vivent les électeurs, mon petit, et qu’au loin leurs votes maquillés les suivent“, aurait conclu Léo Ferré.
La question est : Sommes-nous matures pour la démocratie ou alors, nous a-t-on mis en situation d’immaturité pour la démocratie ? Stop pour le fun et revenons à nos moutons, n’y voyez là aucune allusion malsaine avec les électeurs.
Ce dimanche 15 septembre de l’an de disgrâce 2019, le ciel nous est tombé sur la tête. Le peuple a dit son mot et il semble que la langue des urnes, une fois encore, a fourché. Mais hélas cette fois, c’est du comptant. Dans l’attente des résultats officiels, les sondages nous annoncent que les anti-systèmes seront aux commandes. Vivons-nous un deuxième épisode de “Dalenda Carthago !” (L’empereur romain CATON disait ”Il faut détruire Carthage ”Dalenda Carthago”).
Un crash électoral qui a été prédit longtemps à l’avance
L’affaire est sans surprise, les sondages prédisaient avec insistance le doublé gagnant quoique dans un ordre différent. Cette fois les sondages donnent Kaïs Saïed en tête, devançant Nabil Karoui.
Plus récemment, dans nos colonnes, Dr Karim Ben Kahla ([VIDEO] Présidentielle 2019 : “J’appelle à un vote responsable“) alertait l’opinion en affirmant que tout se jouerait au premier tour. Il disait que si chaque candidat, du bloc des démocrates, en bout de course, se persuadait qu’il pouvait gagner tout seul, nous serions tous perdants. La malchance lui a donné raison. Par conséquent exit, le bloc des démocrates de la compétition, pour n’avoir pas su anticiper cette déconvenue électorale.
Voilà le résultat quant au lieu de s’unir face au mal qui s’annonçait, on se présente en ordre dispersé. Et avec pour seules armes des individualités qui débordaient d’un égo maladif et d’ambitions surexagérées.
Cela vaut-il pour le bloc islamiste, lequel, se retrouve, en apparence, lui aussi hors course ? Les accointances entre les courants populistes de quelque sensibilité qu’ils se drapent, avec l’islamisme politique permet d’en douter. En dehors de leurs faux nez de différence idéologique, tous deux ne s’accommodent pas de l’Etat institutionnel. Voilà leur socle commun. Et c’est une similitude qui pourrait les rapprocher et non les éloigner.
Si donc les sondages se confirmaient, quelles seraient les retombées du scrutin sur le processus démocratique ?
La carence de leadership chez le bloc des démocrates
Tout a un prix dans la vie. Et l’absence d’un chef se paie au prix fort. Et c’est cette tragédie que vient de vivre le bloc des démocrates. Le narcissisme en politique est mauvais conseiller. Presque tous les candidats ont versé dans ce vilain défaut et hélas, tous manquaient d’envergure et chacun a tenté de faire de l’ombre à l’autre au lieu de se fixer pour une idée de conduire le peuple vers la lumière.
Il faut tout de même saluer le désistement de Mohsen Marzouk, en faveur d’Abdelkrim Zbidi. Un acte de lucidité politique et de discernement électoral. Le tour est joué, le bloc des démocrates se retrouve hors champ, mais peut-être pas sans moyens.
A bien regarder, un rapprochement des principales sensibilités démocrates, lors des législatives, pourrait constituer une riposte adéquate. Selon nous, la sortie par le haut serait d’inverser les priorités invoquées par les populistes en montrant leur irréalité.
Le cartel des populistes a surfé sur les malheurs de la Tunisie d’en bas (en référence à un concept émis par JP Raffarin, ancien Premier ministre de Jacques Chirac qui désignait par la France d’en bas, les exclus du système) sans leur configurer un scénario de sortie. On sait que les promesses ne lient que ceux qui y croient et que leurs auteurs s’en délient facilement.
La légèreté de ces promesses est facile à démontrer. Si l’Etat a été défaillant et par ricochet a laissé se perpétuer les injustices sociales et les inégalités régionales, c’est bien parce qu’il a été mis hors d’état de faire son travail. Depuis 2011, on a tenté par tous les moyens de l’anesthésier. On l’a mis dans l’incapacité de se déployer dans le domaine économique et le champ social figeant tous ses leviers. Et au final on l’incrimine en lui collant tout le passif. Cette méthode, vilaine, est connue. Charger le bon peuple contre les élites, les institutions et l’Etat est une grosse ficelle, facile à démasquer.
Se retrouvant désuni, le bloc des démocrates a omis de mettre en échec cette manœuvre. Il y a déjà quelque temps, Afif Chelbi, président du Conseil d’Analyses économiques, fustigeait le démantèlement su secteur exportateur et dénonçait le lobbying de l’informel dans les cercles parlementaires lesquels convergeaient à deux à annihiler la puissance publique ((In “L’Economiste maghrébin du 19/09 au 03/10 2018.pp 32 à 35).
En parade au revers électoral, un revirement des priorités
Le cartel des populismes a réussi un gros coup. Face à des masses socialement essoufflées et politiquement excédées et toujours tenues en haleine en vue d’un hypothétique élan de développement, rien de plus facile que de plaider la priorité des réformes économiques. Mais en l’absence d’Etat et d’un pouvoir fort qui rétablirait la puissance publique dans tous ses attributs, l’économie ne suivra pas. Faute de gouvernance républicaine, sans faille, point de salut. Mais, en régime parlementaire et en partitocratie, elle reste hors d’atteinte. La reconduite du même cadre politique nous expose au même risque d’immobilisme. Il n’y aura pas davantage de créations richesses et par conséquent il n’y aura pas grand-chose à répartir.
Il faut que la priorité de changement de régime politique revienne en surface. Le règlement des questions de sécurité pendantes ne pourra pas venir à bout du parasitage politique et de l’instabilité.
Il faut tirer au clair les questions pendantes des assassinats politiques et des systèmes de milices secrètes. Un leader doit se manifester et dire tout haut qu’en l’absence d’un assainissement du climat politique, du rétablissement d’un régime présidentiel et non présidentialiste, point de salut. Celui-là et celui-là seul serait en mesure de rassembler le camp des démocrates trop occupés à s’écharper au lieu de se mettre en ordre de marche sous un commandement unifié.
Tout n’est pas joué. Le populisme peut s’emparer de la présidence mais une entente pour les législatives pourrait s’ériger en rempart démocratique. Un programme commun de gouvernement peut, par simple matching des plans actuels des divers partis, être mis sur pied.
Quel sera le critère de choix pour déterminer l’homme de la situation ? Les résultats du scrutin seuls peuvent le désigner sans avoir à polémiquer. L’hypothèse que nous évoquons est tout à fait plausible et salutaire. Le bloc des démocrates est juste fissuré. Il n’est pas irrémédiablement fragmenté et démembré. Son agglomération est tout à fait à portée. Sinon on risque d’avoir voté pour la dernière fois.
Ali Abdessalam