Quoiqu’en pensent les âmes chagrines et les désappointés des résultats de l’élection présidentielle en Tunisie, l’issue du 15 septembre a prouvé que l’argent n’est pas le nerf de la guerre et que c’est plutôt par force de conviction qu’une grande frange de notre jeunesse et de la population vote.
C’est plutôt rassurant si ce n’est les abstentionnistes et les votes sanction qui ont prouvé à ceux qui en doutaient, qui fort heureusement pour eux n’ont pas été étouffés par leur suffisance et arrogance, que le peuple est en colère !
« Il n’est pire sourd que celui qui ne veut rien entendre ; il n’est pire aveugle que celui qui ne veut rien voir ! ». Pendant des mois et des mois, nous avons prévenu quant aux dérives du système, à l’autisme des dirigeants et aux dangers de la gestion des affaires de l’Etat entre copains/copines, des fausses promesses et des guéguerres insensées entre leaders appartenant à une même mouvance politique.
Kais Saied, gagnant au premier tour de la présidentielle et favori du second tour, est sorti de nulle part, selon ses détracteurs. Le monsieur n’est pas un inconnu au bataillon. En 2011, il a été omniprésent dans les médias après le 14 janvier et s’est fait connaître par une large frange d’une population scotchée devant les chaînes de télévision séduite par une ouverture démocratique et une liberté d’expression qu’elle ne rêvait pas. En sa qualité de juriste, il était régulièrement sollicité dans les journaux télévisés pour discuter de la Constitution en cours d’élaboration ou de questions juridiques récurrentes.
Pour ses collègues, c’est un monsieur correct et respectueux. C’est un constitutionnaliste brillant selon ses étudiants, maîtrisant parfaitement le français et l’anglais, un grand timide qui s’exprime dans un arabe littéraire impressionnant pour des jeunes en quête de repères identitaires et dont on a rabattu les oreilles de colonisation culturelle venue de partout !
Kais Saied est-il un vulgaire démagogue qui n’a pour objectif que de séduire le peuple et de répondre à ses désirs pour le contrôler et gagner son adhésion ? Kais Saied est-il salafiste ? Porte-t-il en lui les germes de la pensée islamiste ? Est-il un militant aguerri ?
Sahbi El Amri, doyen des blogueurs libres, le décrit comme un homme dépourvu de toute velléité militantiste ou engagée : «Il n’a aucune expérience dans l’activisme politique, c’est un grand orateur comme nombre d’universitaires. Il est intègre et modéré et entretient de bonnes relations avec tout le spectre sociopolitique du pays. Il est aussi très humain».
Le peuple acteur de son destin !
Ridha Mekki, dit “Ridha Lénine“ mentor de Kais Saied et chef d’orchestre de sa campagne, un des fondateurs du mouvement des patriotes démocrate d’obédience gauchiste marxiste-léniniste, s’indigne lorsqu’on parle de la mouvance islamiste de son élu : «Vous êtes fous ou quoi ? Regardez-moi bien, vous me voyez soutenir un islamiste ? Kais est un conservateur, il est pratiquant mais je peux vous assurer qu’il est plus modéré et respectueux du droit à la différence que beaucoup de prétendus progressistes ou gauchistes».
Et il faut reconnaître que Ridha Mekki connaît bien Kais Saied, car cela fait huit ans qu’ils ont lancé le mouvement « Forces de la Tunisie Libre ». Cela fait huit ans que Kais Saied, Ridha Lénine et tous les militants du mouvement sillonnent la Tunisie de long en large, s’assoient dans les cafés et les endroits publics et discutent avec le peuple et en prime avec les jeunes. Ils n’ont pas réinventé la roue, Bourguiba l’avait expérimenté auparavant : cela s’appelle « Al ittissal al Moubasher » (le contact direct et frontal).
Ils discutent avec les jeunes, les écoutent, s’intéressent à eux, les laissent exprimer leurs préoccupations et leur promettent qu’ils reconstruiront ensemble une nouvelle Tunisie. Une Tunisie où les choix émanent de la base pour atteindre le sommet de l’Etat, une Tunisie où le peuple ne subit pas mais agit.
Des idées qui séduisent des jeunes qui ne s’identifient pas à leurs gouvernants. Gouvernants qu’ils refusent de prendre pour exemple tant ils les ont déçus. Pour eux, Kais Saied représente l’idéal : il est intègre, à l’écoute et se projette avec eux dans une Tunisie meilleure où ils ne seront pas des sujets mais des acteurs agissants pour leur bien et celui de leur pays.
Cette approche de recourir au peuple n’est aucunement antinomique avec la démocratie. L’approche Saied donne une voix à ceux qu’on n’entend pas, les adhérents à son mouvement dont nous n’arrivons pas à définir le contour à ce jour et encore moins à identifier le projet sont pourtant convaincus que c’est l’homme qu’il faut à la Tunisie.
Ils sont dans le rejet de tous ceux qui ont géré la phase 2011/2019. Parmi ces jeunes, il y en a aussi qui expriment un conservatisme surprenant. Dans un commentaire d’une jeune adepte à une dame qui s’étonnait du phénomène Saied, une réaction pour le moins choquante de S.O : « Mais c’est quoi ton problème avec KS ? Qu’il soit un champion en droit constitutionnel? Qu’il ait passé sa vie à enseigner le droit à des générations ? Qu’il ne fasse partie d’aucun clan mafieux du pays ? Qu’il ne soit pas le pantin d’un lobby régionaliste ? L’histoire de sa salafisation soudaine est une pure fabrication pour l’attaquer quand les derniers sondages l’ont montré vainqueur. Il est où le problème avec KS ? Dieu est supérieur à la Constitution… Et svp, la COLIBE est une reformulation des diktats de l’UE qui conditionne les prêts par la question de droits LGBT et la négation de toute loi dont l’essence est un IJTIHAD musulman (Ils ont une guerre culturelle à mener et ils la mènent bien et savent sur qui cogner). Et des opportunistes ici ont voulu sauter sur ces diktats et les reformuler pour paraître comme des chantres des libertés… et avoir la bénédiction des lobbies européens. Bajbouj a aussi utilisé cette question pour faire chanter Nahdha. Bref, c’est un business crasseux ces histoires de la COLIBE. Les Tunisiens méritent qu’on les aide à résoudre leurs vrais problèmes».
Est-ce par ce genre d’idées et d’opinions que Saied réussit à convaincre les jeunes à adhérer à son mouvement ?
Nous ne pourrons pas le savoir avant qu’il ne veuille parler publiquement dans les médias de son projet et de sa vision pour la Tunisie.
Mais ce qui est sûr, c’est que la logique de la conviction a vaincu la logique de l’intimidation et de l’argent !
Amel Belhaj Ali