Dans le contexte de la campagne électorale présidentielle et législative, les représentants de plusieurs partis démocrates se sont confiés à nous, au sujet des coalitions éventuelles entre les différentes composantes de la famille démocrate tunisienne. Il s’agit de Jasser Jebabli de Afek Tounes, Khawla Ben Aicha de Machrou Tounes, Hela Ben Youssef d’Ettakatol.
Les prétentions sont dans l’optique de se rapprocher au sein la famille « centriste » démocrate, en vue de développer le projet réformiste et progressiste. Tous nos interlocuteurs confirment leur ouverture à une coalition éventuelle entre les partis mentionnés ci-dessus ; il y en a même ceux qui vont plus loin pour inclure le “centre gauche“, représenté par Ettayar Dimocrati.
En effet, tous les acteurs sont conscients de leur propre poids électoral et personne ne voit un inconvénient pour le rassemblement, autour d’une feuille de route claire et d’un projet commun, une fois au Parlement. Ils ont même exprimé leurs préoccupations par rapport à la nature du prochain Parlement.
Pas de différence majeure entre les programmes
Parlant de programmes électoraux, nous n’avons tiré aucune différence majeure entre nos différents interlocuteurs. A contrario, leurs discours se rejoignent et leurs idées convergent.
Sur le fond, leur orientation politique insiste sur un rôle économique régulateur de l’Etat pour réactiver l’ascenseur social. Tous ont confirmé la position favorable par rapport au projet de la COLIBE, et ils l’ont même considéré comme étant une avancée historique et révolutionnaire dans le domaine des droits de l’Homme et des libertés individuelles.
Egalement, ils se sont tous engagés à initier des projets réglementaires, en faveur de la digitalisation de l’administration.
Sur une échelle macro, nous n’avons perçu aucune contradiction fondamentale ou divergence phare qui fasse que l’idée de coalition demeure limitée à des prétentions et ne soit pas concrétisée sous forme de listes électorales communes, que des mépris entre les personnes ou une passivité d’échange qui sont à l’origine de cette dispersion.
Quid de la crise de confiance… ?
Cette atmosphère de mépris est le résultat déterministe de la crise de confiance entre les leaders des partis qui s’est installée au cours de ces dernières années, à la suite des promesses et des engagements non tenus et des principes qui fluctuent en fonction de la donne politique et des différents rapports de forces, pendant le dernier quinquennat.
Depuis la révolution, certains entre ces partis ont vécu l’expérience des coalitions des pouvoirs, d’autres ont sacrifié leur image et identité politique dans des fusions partisanes. La leçon a été mal assimilée, dans la mesure où elle a engendré un renfermement sur soi, voire un autisme politique, chez chacun des partis.
Ceci dit, la relation inter-partis est en carence de confiance et nul ne peut nier l’influence de la division de Nidaa Tounes sur le climat générale de la vie partisane.
Nécessité d’un catalyseur pour rassembler la famille démocratique
Quoique l’évolution accrue intra-parti soit considérable, mais ceci reste invisible pour l’opinion publique. Le bilan de chacun des partis, après ce quinquennat, demeure respectable. On note la construction du parti Machrou Tounes en Bottom up, en valorisant le potentiel régional du pays, le renforcement des institutions, au sein d’Afek Tounes qui n’a pas dévié de ces principes depuis son instauration. Ettakatol, suite à l’expérience du pouvoir au sein de la Troïka, a effectué un audit interne et une remise en question profonde afin de reconstruire son image ; il est aujourd’hui le seul parti tunisien reconnu par une organisation internationale, à savoir l’Internationale Socialiste. Al-Badil Ettounsi, Ettayar Dimocrati ainsi que Beni Watani se sont également démarqués par une image bien travaillée.
Cette dynamique de la vie partisane illustre un principe démocratique majeur, celui du pluralisme, certes. Par surcroît, en vue de rajouter de l’efficacité aux efforts de militantisme, un catalyseur serait indispensable pour rassembler la famille démocratique, tout en préservant les spécificités de ses composantes ainsi que son image.
La coutume politique, depuis 2011, a fait que ce catalyseur soit une initiative d’un personnage, au centre de l’unanimité nationale, à l’instar de l’intervention de Ahmed Mestiri pour rapprocher les visions entre UGTT et le gouvernement à l’époque.
Rassembler dans la différence…
Pour répondre au besoin de révolutionner le paysage politique, les militants des partis, mentionnés ci-dessus, sont invités à faire une preuve de maturité politique, en passant à la vitesse supérieure : l’initiative doit, alors, naître du plus profond de la réalité de la vie partisane ainsi de son expérience parce que l’ère du changement parachuté par un « rassembleur externe » qui fait l’unanimité, en tenant compte de son âge ou son Histoire, est révolue. Il est grand temps de rompre avec le rôle patriarcal du rassembleur.
L’initiative consisterait éventuellement à une coalition ou un rapprochement entre les différents partis, tout en gardant chacun son image et son identité politique parce que le pluralisme est vital à la démocratie.
Suite à l’expression de la non-opposition des militants à l’idée de coalition du pouvoir, un passage à l’action imminent est impératif malgré la concurrence électorale afin d’assumer la part de responsabilité du devenir de la famille démocratique. Certains sont allés plus loin, pour proposer le désistement de toutes les listes de la famille démocrate de façon à finir par une liste de la même famille par région.
Plusieurs leaders politiques estiment que ceci ne peut être négocié qu’en fonction du poids électoral de chacun. Ces propos sont légitimes, voire pragmatiques.
D’autre part, les préoccupations des tunisiens qui soutiennent le projet réformiste et progressiste ne cessent d’accroître, notamment à la suite des résultats du scrutin présidentiel. La mobilisation post-électorale, dans ce sens, risque d’être tardive et la classe politique aura manqué une opportunité dorée pour être à la hauteur des attentes et confirmer son mérité et sa responsabilité.
Les ambitions des militants ne cessent d’accroître autant que celles des leaders des partis, ceci est légitime, certes. Mais le risque majeur de la déviation du processus démocrate, qui serait provoqué par la non-représentativité d’une grande majorité de l’électorat, détruira l’idée de projet réformiste et progressiste.
Un autre risque, qui n’est pas des moindres, est celui de l’islam politique qui bénéficiera de la dispersion aiguë des démocrates pour s’emparer des rênes de l’Etat.
En ce contexte historique, il suffit d’une table ronde pour tout remettre dans l’ordre, loin des egos surdimensionnés.
GHARBI KAOUTHER