Continuer à maquiller la réalité économique du pays à un moment où il n’y a que la vérité qui compte, même si elle blesse, ne sert à rien et ne servirait à rien. Les temps ne sont même plus à établir des diagnostics. Les faits et les chiffres s’entêtent à nous renvoyer à nos échecs, à nos mauvais choix, à notre absence de vision et à l’absence de stratégies et de plans visant à remettre le pays sur pied et à sauver ce qui peut l’être encore.
Point de la situation avec Habib Karaouli, expert économique et PDG de Capital African Partners Bank (CAP Bank).
WMC : Alors comment se porte l’économie nationale ?
Habib Karaouli : Je crois qu’il y a une unanimité à moins d’être dans la myopie analytique ou politique sur le fait que le pays est quasiment bloqué selon les indicateurs économiques. Tous les voyants sont au rouge et même les éléments présentés par le gouvernement comme étant des éléments d’amélioration de la situation -comme la réduction du déficit budgétaire ou l’appréciation du dinar- sont entièrement fallacieux et ne correspondent pas du tout à un redressement de l’économie.
Il y a un danger autrement plus important : celui du recul au niveau des libertés individuelles ! Et tout le monde est inquiet dès que son regard s’attarde sur ce nouveau phénomène. Les libertés individuelles sont beaucoup plus importantes que les libertés collectives.
Vous savez, en termes d’analyse, il faut être honnête et objectif. Et en la matière, la meilleure approche consiste à établir un bilan de départ pour atteindre le bilan d’arrivée. Dans quelle situation le pays était partant des indicateurs et dans quelle situation il a atterri ?
Avec toute la bienveillance du monde, nous pouvons dire qu’il n’y a aucun domaine où nous pouvons parler d’amélioration. Il y a une détérioration de tous les indicateurs.
Aucun investisseur ne viendra dans un pays où l’espérance de vie des lois est extrêmement courte, où les lois peuvent changer du jour au lendemain, ou les procédures changent rapidement et où les règles de jeu peuvent muter en cours de route.
Pire, le choix de la politique budgétaire et de la politique monétaire sont en parfait décalage avec les enjeux auxquels est confronté le pays. A un moment où nous avons besoin de davantage d’investissements domestiques dans tous les secteurs, à un moment où nous avons besoin de ressources pour restructurer les entreprises en difficulté qui subissent coup après coup la crise, nous optons pour une politique restrictive qui a tari toute possibilité de financement et de refinancement pour les entreprises.
Du coup, au-delà du chômage habituel des primo demandeurs d’emplois, nous sommes dans une situation où de plus en plus d’entreprises en grandes difficultés sont en train de fermer leurs portes, incapables de réaliser les investissements de régénération.
Nous sommes passés d’une ère où le colonialisme- sachant que le colonialisme est le résultant de la révolution industrielle- est venu s’approprier les ressources et les richesses naturelles dans nos pays à une autre où il s’approprie les ressources de l’intelligence humaine et notre expertise dans lesquelles il n’a pas déboursé un seul sou. C’est le néo colonialisme, il vous vide de nos ressources humaines et là ça nous fait une perte de vitalité de notre potentiel créatif et d’initiatives.
Il est quand même étonnant que nos investissements soient paralysés avec des entreprises en difficulté alors qu’il existe des lignes financières étrangères bloquées dans l’administration publique dont un exemple que nous citons tout le temps : 6 milliards de dinars rien qu’au niveau de la coopération allemande ?
C’est une situation que nous pouvons qualifier de surréaliste. En fait, il s’agit d’un télescopage des objectifs. Ce sont des objectifs antinomiques que nous ne pouvons atteindre dans le même temps. Nous ne pouvons réaliser qu’un seul objectif et pas deux ou trois. Et ce qui est inquiétant, c’est que nous avions à un certain moment pensé que l’investissement public allait servir de locomotive et entraîner dans son sillage l’investissement privé. Cela n’a pas été le cas, parce que nous avons privilégié une situation de stabilité macro comptable pour répondre aux demandes de nos bailleurs de fonds, et notamment du FMI et de la BM, aux impératifs de répondre à des enjeux vitaux de la réalité économique.
Deuxième élément et qui, d’après moi, est grave et peut être potentiellement déstabilisateur, c’est que nous ne sommes pas dans une situation de ralentissement des investissements. Nous sommes dans une situation de désinvestissement. Les dernières statistiques de l’APII (Agence de promotion de l’investissement et de l’innovation) sur les intentions d’investissement sont tragiques.
Vous avez 12 gouvernorats à l’ouest du pays où vous avez 50% en moins d’intentions d’investissement, et nous savons tous que les intentions en matière d’investissements sont concrétisées à hauteur de 10 à 40%. En revanche, il y a davantage d’investissements à l’est du pays. Et nous savons que le clivage est entre est et ouest.
Ils créent le problème, nous entraîne dans une crise sans fin et on vient ensuite nous dire, nous allons vous vendre 20 hélicoptères à un montant qui s’élève à je ne sais combien ! Nous n’avons pas besoin de leurs hélicoptères ! Ils sont à l’origine du problème et c’est à eux de le résoudre. Ils arrivent, déstabilisent tout un système fragilisent un pays, ne font pas grand-chose pour compenser et profitent de ses ressources humaines parties à cause de la situation de crise qu’ils ont engendrée !
Tout un chacun le sait et nous l’avons déclaré, affirmé, réaffirmé depuis longtemps : sans un concours substantiel des investissements publics dans les régions désertées par le secteur privé, l’investissement domestique n’ira pas dans ces régions-là et encore moins l’investissement étranger. L’Etat devrait donner l’exemple mais il manque à son rôle qui consiste à impulser ces investissements-là, et ce n’est pas avec une politique monétaire restrictive comme celle que nous sommes en train d’entreprendre que nous arriverons à favoriser les investissements.
A ce jour, il n’y a pas du tout de prise en compte de cet aspect fortement déstabilisateur. Je n’arrête pas de dire, depuis mars 2011, que toutes les politiques économiques doivent être jugées et jaugées d’après leurs capacités à répondre à deux facteurs à l’origine de cette espèce de tumulte que nous vivons actuellement. Je parle du chômage et des disparités régionales. Aucune des politiques économiques que nous avons adoptées depuis 2011 n’a essayé de s’intéresser de près à ces impératifs et d’y apporter de réelles solutions et non d’y répondre par des discours populistes et démagogiques.
Du coup, nous payons aujourd’hui le prix de cette négligence voire de cette fraude politique, qui n’a pas apporté les solutions appropriées à ces deux contraintes majeures. Et nous nous retrouvons avec exactement les mêmes problématiques mais en plus complexes auxquelles nous ne pouvons pas trouver des solutions.
Je rebondis de nouveau sur les lignes financières octroyées par les bailleurs de fonds qui non seulement ne trouvent pas preneurs mais en plus au cas où les dossiers avancent, ces bailleurs nous dictent leurs conditions et parviennent généralement à écarter les opérateurs locaux pour imposer les leurs. Du coup, la Tunisie perd à tous les niveaux, un tissu économique qui se désintègre et une expertise qui disparaît. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Nous sommes dans une situation paradoxale. En Tunisie, nous n’avons pas un problème de ressources mais nous avons plutôt un problème d’emploi des ressources. Et là vous le confirmez, nous avons des ressources mais qui ne sont pas exploitées. Et nous n’avons pas la capacité de générer des projets.
Je rappelle que les plus gros projets d’infrastructures que vous voyez aujourd’hui ont été étudiés et engagés bien avant le 14 janvier 2011. Il n’y a pas de nouveaux projets structurants générés après le 14 janvier.
D’autre part, et ce qui est de mon point de vue beaucoup plus grave, c’est que notre capacité de consommation des ressources allouées par les bailleurs de fonds est extrêmement limitée. Il n’est pas une ligne où il n’y a pas d’excédent. Un excédent qui n’a pas été encore consommé. Et cela vaut également pour les lignes de financement mises à la disposition des banques.
L’explication est simple : les conditions d’octroi de prêts ou de financement sont draconiennes avec des taux d’intérêt très élevés. Et à partir de là, un investisseur réfléchi à deux fois avant de s’engager car il prend en compte et très sérieusement les conditions de garantie additionnelle et de sûreté additionnelle.
Du coup, nous sommes dans une situation de blocage ; et ce qui est dramatique, c’est que nos jeunes se demandent s’ils ont encore leur place dans la sphère socioéconomique de leur pays.
L’environnement sociopolitique laisse à désirer également…
Conjugué au marasme économique, il y a un danger autrement plus important : celui du recul au niveau des libertés individuelles. Et tout le monde est inquiet dès que son regard s’attarde sur ce nouveau phénomène. Les libertés individuelles sont beaucoup plus importantes que les libertés collectives. Nous vivons une situation de remise en question même des acquis de l’avant 2014.
Etre maintenant condamnés à débattre sur les droits des femmes, l’égalité dans l’héritage et soulever la question de la polygamie est d’une indécence à la limite du supportable.
La situation sociopolitique est véritablement dangereuse dans notre pays, la banalisation de la violence, notamment celle que subissent les femmes et les personnes vulnérables au vu et au su de tout le monde est alarmante. Et ce qui est tragique est que personne ne bouge et surtout ceux et celles censés réagir. Cette situation contribue à la déstabilisation du pays et à l’instabilité économique.
Comment y pallier ? Par de nouvelles lois ?
Bien sûr que non. Encore faut-il que nous appliquions celles déjà promulguées. Je suis de ceux qui estiment que nous n’avons pas besoin de lois ou de nouveaux textes en renfort.
Appliquons tout d’abord les textes législatifs et réglementaires dont nous disposons avant d’en promulguer de nouveaux. Malheureusement, nous sommes dans un gouvernement qui préfère créer de nouvelles règles avant même l’évaluation des anciennes.
Pire, il n’applique ni les nouvelles ni les anciennes règles. Vous savez, un investisseur ne prend pas en compte uniquement la stabilité du pays sur le plan sécuritaire et l’assurance de son intégrité physique, il accorde autant d’importance sinon plus à la stabilité du cadre législatif et la capacité de l’Etat à appliquer les dispositifs procéduraux, réglementaires et judiciaires. Aucun investisseur ne viendra dans un pays où l’espérance de vie des lois est extrêmement courte, où les lois peuvent changer du jour au lendemain, où les procédures changent rapidement et où les règles de jeu peuvent muter en cours de route. Dans pareille situation d’instabilité, ne nous attendons pas à voir de sérieux investisseurs débarquer sous nos cieux.
Car les sérieux étudient le site, comparent avec d’autres, observent l’évolution des secteurs, leur historique, leurs projections et également les notes souveraines accordées au pays par les agences de notation. Les nôtres font de nous un site risqué où ne viendront que les fonds spéculatifs.
Je crois que le gouvernement aurait pu prendre un certain nombre de dispositions pour sécuriser les investisseurs, oser des décisions courageuses et prouver qu’il ne laisse et ne laissera pas les choses partir dans tous les sens, ou améliorer artificiellement une situation délicate par des mesures conjoncturelles.
Et pourtant le chef du gouvernement ne cesse d’annoncer les bonnes nouvelles…
Je pense que le discours du chef du gouvernement n’est pas responsable. Et je comprends qu’il y ait un temps pour le politique, pour montrer qu’on est ambitieux et courageux, et en la matière il est dans son rôle. Mais il n’est plus dans son rôle quand il travestit et maquille la réalité. Vous savez, les chiffres sont têtus, et donc vous avez beau me dire ce que vous voulez, moi je lis les chiffres. Et puis il y a le regard que nous posons sur notre environnement, et comme on dit : perception is reality (la perception est la réalité).
Et si ma perception de la réalité est qu’il y a une augmentation de l’inflation et qu’il y a recul des investissements, vous ne pouvez pas m’empêcher de voir l’absence des investissements industriels. Et un pays qui se désindustrialise faute de vision, faute de projets, faute de soutien et faute de prise de bonnes décisions, court à sa perte. Notre Tunisie est en train de perdre de plus en plus de sa vitalité alors qu’elle n’a pas de ressources naturelles.
Dans un site qui a un certain nombre d’avantages comparatifs, nous pouvons avancer malgré la difficulté de la conjoncture.
Prenons le secteur agroalimentaire, il faut mettre le paquet en matière de transformation et de labellisation. Nous parlons de l’huile d’olive depuis un certain nombre d’années et c’est l’un de nos vaisseaux amiraux. Nous sommes à peine à 5% en matière de transformation et de labellisation alors qu’il faut élaborer un plan national pour que, dans 5 années ou un peu plus, 50% de notre production soit labellisée. L’ambition est de garder la valeur ajoutée ici et non de la transporter ailleurs.
Dans tous les secteurs d’activité, nous ne sommes pas en train de travailler sur l’innovation. Nous avons raté l’opportunité de créer un grand fonds avec concours public mais aussi , pourquoi pas, privé pour aider au développement d’un tissu industriel à haute valeur ajoutée, mais cela n’a malheureusement pas été concrétisé.
Nous parlons aujourd’hui des énergies renouvelables, et nous avons à peine commencé à livrer les autorisations. Nous avons perdu beaucoup de temps parce qu’il n’y a pas eu de décisions prises, des décisions tout à fait naturelles et qui ne posaient aucun problèmes dans leur exécution.
Malgré toutes les mises en gardes de la BCT concernant les importations superflues, le ministère du Commerce a fait la sourde oreille et invoque les accords internationaux et l’OMC. Quel impact selon vous sur un pays où les ressources en devises sont limitées ?
Vous avez entièrement raison parce que, encore une fois, nous prouvons que nous n’avons pas de vision. C’est le drame de la Tunisie. Si vision il y avait, nous aurions osé les mesures de crise exceptionnelles que supposent les temps de crise. Et les mesures exceptionnelles sont conçues pour se protéger. C’est ce que font tous les pays du monde quand ils estiment qu’il y a un facteur de risque.
En France, on a appelé cela “patriotisme économique“. Trump a appelé cela “America first“. Et de par le monde, tous les pays ont adopté ce genre de plan protectionniste. Personne n’est venu leur jeter la pierre pour leur dire que vous voulez porter atteinte aux accords et aux conventions internationales.
J’ai coutume de dire qu’énoncer des lois et des principes, c’est un prétexte pour l’inaction. Quand vous ne voulez pas bouger, quand vous cherchez un prétexte à l’inaction, vous le trouvez dans ces textes et ces accords. Je défie quiconque de vouloir nous démonter le contraire. Je suis passé par là avec l’OMC, quand vous présentez votre dossier et votre argumentaire, personne ne peut vous imposer une politique suicidaire.
Dans notre pays, nous sommes dans une politique suicidaire. Nous sommes en train d’importer du chômage et d’exporter des emplois, puisque nous sommes en train d’exporter de la matière brute et de l’expertise que nous avons payées cher qui vont évoluer, être transformées dans d’autres pays et y créer des emplois, alors que nous en perdons chez nous.
Nous sommes un Etat qui n’est ni stratège ni bienveillant d’ailleurs. Nous en observons les conséquences sur les couches les plus défavorisées, qui se sentent complètement abandonnées par l’Etat faute d’intervention directe, etc.
Vous savez de par mon expérience en matière de négociations avec les bailleurs de fonds, surtout les multilatéraux, quand vous arrivez avec vos dossiers et vos plans bien travaillés, bien ficelés et bien argumentés, quand vous savez où vous allez, il est rare qu’on ne vous écoute pas quand vous faites de la résistance et que vous déployiez une capacité de négociation. Et nous sommes là, dans une situation où les bailleurs de fonds ont en face d’eux des gens qui n’ont ni stratégie ni plan d’action. Par conséquent, ils leur servent ce qui les arrange le mieux comme ils font dans d’autres pays vulnérables, et c’est le cas de notre pays actuellement.
C’est aussi l’expertise de toutes ces PME/PME qui gravitaient autour des entreprises publiques et qui sont en train de disparaître à cause des restrictions budgétaires que nous perdons.
L’élément que vous venez d’évoquer concerne le rôle important de stimulation et d’initiative que jouaient les grandes entreprises avant et qu’elles ne font plus maintenant parce qu’avant on était dans un système de satellisation des activités, avec une grande entreprise et autour un certain nombre de PME/PMI, qui assuraient l’externalisation du service et de fourniture de matériel et d’équipement.
Bien entendu, nous pouvons citer toutes les entreprises qui traitaient avec la STEG, la SONEDE ou encore l’ONAS, qui s’occupaient d’entretien et de maintenance, mais lesquelles, depuis que l’Etat est incapable de payer, font faillite. Leur expertise va ailleurs alors que l’Etat tunisien a payé très cher la création et le développement de ce savoir-faire.
Les entreprises ont fermé et qu’est-ce qu’on fait en lieu et place? On importe ce genre d’expertise et le matériel avec, et l’expertise tunisienne est partie ailleurs. Nous avons un réel problème maintenant, parce que dans le domaine des TIC, de l’expertise comptable, de l’audit, il y a des départs massifs de nos jeunes et de nos moins jeunes. C’est la migration des compétences. J’ai appelé ce phénomène un facteur sous-développant et c’est un paradoxe.
Un pays pauvre finance la formation des expertises et des compétences qui vont ensuite dans des pays riches qui profitent de ces acquis gagnés sur le dos du contribuable tunisien. Nous sommes passés d’une ère où le colonialisme -sachant que le colonialisme est la résultante de la révolution industrielle- est venu s’approprier les ressources et les richesses naturelles dans nos pays à un autre (colonialisme) où il s’approprie les ressources de l’intelligence humaine et notre expertise dans lesquelles il n’a pas déboursé un seul sou. C’est le néocolonialisme. Il vous vide de nos ressources humaines et là ça nous fait une perte de vitalité de notre potentiel créatif et d’initiatives.
Le système ne peut pas continuer comme ça éternellement. Les mouvements ou expressions politiques que nous voyons ne sont pas étrangers à ces phénomènes destructeurs pour nos pays. Je maintiens que les politiques sont responsables de ce qui arrive à notre pays, parce ce que nous aurions pu réduire, dans un premier temps, ce genre de tendance pour la supprimer ou l’annihiler dans un délai court. Or rien n’a été fait, et pour l’inverser, tout au contraire nous nous retrouvons avec des compagnies d’informatique ou autres qui ne trouvent plus des ressources et des expertises à employer en Tunisie.
La situation est extrêmement grave à ce niveau-là. Et le drame est que personne n’a eu l’idée de demander aux marchés de destination des compensations ou des dédommagements en les appelant à financer des centres de formation pour remplacer ce vide créé par la migration de l’expertise, ou à créer des centres de recherche ici, au moins pour compenser le coût de personnel qu’ils ont pris dans notre pays. Personne ne s’inquiète de cette situation…
L’hégémonie de l’international.
C’est le cas de le dire. Pendant 60 ans, les deux tiers de la force de ce pays ont été consacrés au domaine social : la santé, le transport et l’éducation. Le fait qu’un pays tiers crée des problèmes sur nos frontières avec la Libye, c’est la cause d’un basculement en termes d’allocations optimales des ressources à d’autres départements.
Nous avons réorienté nos ressources vers la sécurité et le financement de l’armée, alors que nous ne sommes nullement responsables de ce qui est arrivé en Libye. Et personne ne s’est adressé à l’Europe et notamment à la France pour lui dire : “vous avez une responsabilité dans ce chaos à nos frontières et vous devez assumer !“. Ils créent le problème, nous entraînent dans une crise sans fin et on vient ensuite nous dire, “nous allons vous vendre 20 hélicoptères“ à un montant qui s’élève à je ne sais combien. Nous n’avons pas besoin de leurs hélicoptères. Ils sont à l’origine du problème et c’est à eux de le résoudre. Ils arrivent, déstabilisent tout un système, fragilisent un pays, ne font pas grand-chose pour y remédier et profitent de ses ressources humaines parties à cause de la situation de crise dont ils sont la cause ! Et maintenant, nous avons de moins en moins de ressources pour financer les secteurs qui ont assuré la vitalité de la Tunisie, à savoir le transport, l’éducation et la santé. Et parce que ces secteurs sont en ruine, nous nous rabattons sur la formule la plus simple : s’endetter. Et nous perdons ainsi chaque jour un peu de notre souveraineté : souveraineté politique, souveraineté économique, souveraineté financière et même notre sécurité tout court !
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali