Rétablir l’Etat investisseur, numériser l’administration et stopper le gâchis des ressources naturelles, tels sont les éléments clés du programme économique du Front populaire (FP), coalition récemment créée après la scission de l’ancienne coalition parlementaire du Front Populaire.
Le FP regroupe le parti du Front Populaire (nouveau parti créé en juillet 2019), le parti des patriotes démocrates unifié (Ppdu), Attaliaa et la Ligue de la gauche ouvrière. Il sera présent dans 31 circonscriptions pour les élections législatives (6 octobre 2019).
Les grandes lignes de son programme sont présentées par Ahmed Seddik, porte-parole du Front populaire et tête de liste Tunis 1, dans une interview avec l’Agence TAP.
Ahmed Seddik: Quel modèle économique préconise le Front populaire, notamment pour réduire les disparités régionales ?
Réduire les disparités régionales ne peut pas se faire à travers des mesurettes isolées, c’est un grand projet national à engager. Il faut agir sur deux axes préalables : la numérisation de l’administration et la mobilisation des ressources financières de l’Etat, tout en réduisant l’endettement.
Cette approche nécessite ensuite, une volonté publique de mettre en place un nouveau découpage territorial horizontal en districts économiques, selon les spécificités économiques des régions. Un découpage qui relie l’intérieur du pays aux côtes.
Il devrait être accompagné d’un travail sur la logistique et le transport des marchandises et des personnes, à l’intérieur du pays, premier pas vers le désenclavement économique, social, financier et culturel des régions intérieures.
Pour cela, le FP propose le renouvellement et l’élargissement du réseau ferroviaire et routier. Un grand investissement qui peut être réalisé dans le cadre de la coopération internationale.
Ce projet national requiert aussi, une amélioration des infrastructures et des services publics dans les régions et repose sur la valorisation des ressources naturelles, du domaine forestier et des filières agricoles, tout en combattant l’emprise des intérêts de certains lobbies sur ces secteurs stratégiques.
Il passe, en outre, par une nouvelle conception de l’aménagement territorial. Les plans d’aménagement territorial doivent être conçus sur 50 ans. Ils doivent définir les vocations des terres, répartir les activités économiques, protéger le littoral, favoriser de nouveaux plans de reboisement…
Quel programme proposez-vous pour lutter contre la pauvreté et par quels financements ?
La lutte contre la pauvreté passe obligatoirement, par le développement. Mais comme les stratégies de développement prennent souvent du temps pour donner leurs fruits, des mesures conjoncturelles et urgentes sont nécessaires.
Le FP propose de créer une caisse nationale d’assistance aux familles nécessiteuses, qui sera financée par des prélèvements parafiscaux, des contributions de solidarité volontaires, et une participation publique (budget de l’Etat), sur 10 ans.
Mais pour que cette idée puisse susciter l’adhésion de la société, il faut engager la numérisation du fichier national des personnes pour éviter tout risque de malversation ou de détournement.
Quelles propositions avez-vous pour résoudre la question de l’endettement de l’Etat tunisien et lutter contre l’économie parallèle ?
Il faut commencer par un audit de la dette tunisienne. On n’est pas favorable au non paiement de la dette, ni à son rééchelonnement (sauf s’il y a un accord là-dessus), mais un audit va permettre de cerner le pourcentage de la dette odieuse et de la négocier avec les bailleurs concernés.
Pour limiter l’endettement, il faut aussi, optimiser la mobilisation des ressources de l’Etat en améliorant le recouvrement fiscal, en intensifiant le contrôle fiscal (en augmentant le nombre des contrôleurs) et en réformant le régime fiscal, dans le sens d’une équité fiscale.
Pour une meilleure mobilisation des ressources de l’Etat, il faut aussi, lutter contre le commerce parallèle. Cela ne sera possible qu’en interdisant le cash, en numérisant l’administration, en intensifiant le contrôle et en appliquant la loi.
Il faut également, envisager une amnistie de change et une révision de la loi sur le change de manière à limiter la tentation de la fraude.
Que proposez-vous pour réduire l’inflation et améliorer le pouvoir d’achat du citoyen ?
L’inflation est une résultante de la réalité économique. Sa réduction passe nécessairement, par la relance de l’économie et une rationalisation de la politique monétaire.
On peut alléger le poids de l’inflation par des mesures conjoncturelles visant à assister certaines catégories sociales, mais un réel changement n’est possible que si les indicateurs économiques virent au vert. Pour ce faire, il faut sortir de la logique de l’Etat comptable et aller vers une logique de l’Etat investisseur, qui soit une locomotive pour le développement.
Quelles sont vos propositions pour résoudre le problème de l’approvisionnement en eau et relever les défis environnementaux croissants ?
S’agissant de l’eau, un changement radical des comportements doit être initié, en instaurant une politique de l’économie de l’eau au niveau des ménages, des administrations, des entreprises et des milieux industriels. La législation régissant le secteur immobilier doit être révisée, pour favoriser les installations et les pratiques économes en eau.
Il faut aussi, renouveler le réseau de la SONEDE et améliorer la gestion des ressources disponibles. Parallèlement, il faut accroître les capacités de stockage, en optimisant la capacité des ouvrages existants et en investissant dans d’autres ouvrages, mais aussi, en améliorant la gestion partagée des eaux souterraines avec les pays voisins (Algérie et Libye).
Il faudra aussi exploiter la piste du dessalement de l’eau de mer, via le recours aux énergies renouvelables et prévoir les investissements nécessaires pour résoudre les problèmes quotidiens : lutte contre les moustiques, collecte des ordures, évacuation des eaux usées…
A une échelle plus large, notre programme environnemental repose sur l’idée de stopper le gâchis des ressources naturelles et d’adapter toute l’activité humaine (pas seulement industrielle), aux normes écologiques les plus strictes. Cette approche requiert un processus de sensibilisation et une rigueur dans l’application de la loi.