L’écriture chez l’auteur japonais Haruki Murakami s’assimile à un “jeu difficile dans lequel l’écrivain confectionne son manuscrit, comme dans un film où il est à la fois réalisateur et acteur”. C’est ainsi que l’écrivain tunisien et aussi directeur de la Maison du Roman, Kamel Riahi, a décrit l’œuvre du romancier nippon qui a fait l’objet, jeudi soir, d’une conférence-débat, au siège de la Maison à la Cité de la Culture à Tunis.
L’universitaire et chercheur Adel Kedher était l’invité de ce rendez-vous dédié à l’étude de l’œuvre de Haruki Murakami, auteur à succès, plusieurs fois favori pour le prix Nobel de la Littérature.
Kamel Riahi, qui vient lui-même d’un univers romanesque, a qualifié l’écriture romanesque de ce best sceller japonais “d’acte qui fait chaud au cœur et à l’esprit”.
Il est revenu sur l’œuvre d’un auteur prolifique, dont les écrits originaux sont convoités dans les quatre coins du monde. En effet, son best seller “1Q84” a enregistré des ventes record, estimées à trois millions de copies.
Autour de cette approche romanesque, Adel Kedher a spécialement sondé les traits psychologiques des personnages et divers protagonistes dans le roman de cet écrivain japonais né en 942, assimilés à “des sujets post traumatiques”.
Il fait allusion au choc subi par le peuple japonais suite aux drames de la seconde guerre mondiale dans cet archipel asiatique. Le professeur de la Littérature arabe à la Faculté des Arts, des Lettres et des Sciences humaines à la Manouba, donne sa lecture du traumatisme de la guerre qui “affecte désastreusement la vie des gens”.
Des cas de traumatisme profond sont assez présents chez les personnages dans trois des meilleurs romans de Haruki Murakami, estime le conférencier citant “Kafka sur le rivage”, “Chroniques de l’oiseau à ressort” et “Le Meurtre du Commandeur”. Kedher parle d’un “sujet” qui se trouve victime de troubles psychologiques accompagnés d’un état de manque d’empathie jusqu’à sombrer dans l’indifférence totale.
Son diagnostic va vers cet état de deuil et d’anxiété permanente, comme celui chez le soldat dans “Le Meurtre du Commandeur”, transformé en un criminel de guerre. Ce jeune habitué au piano était contraint à couper la tête des détenus de guerre. Dans ce roman, l’auteur revient sur la guerre sino-japonaise et le massacre de Nankin en décembre 1938 durant lequel, 400 mille civils chinois ont été massacrés dans ce génocide perpétrés par les militaires nippons.
Le thème de la guerre sino-japonaise dans l’œuvre de Haruki se distingue par la position de l’auteur qui qualifie de “scandale”, le massacre de Nankin.
Le conférencier estime qu’il a été le premier à avoir osé briser les tabous et parler de ce génocide atroce, longtemps resté tabou dans le milieu littéraire nippon.
Au moment où ce roman a soulevé une vive controverse nippone, notamment, chez les nationalistes, l’auteur a été largement salué par les chinois. Kedher évoque un écrivain accusé de reconnaître un crime de guerre qui, de l’avis de ses compatriotes, n’a jamais eu lieu.
L’universitaire place les romans de Haruki Murakami dans un contexte qui représente la défaite de l’âme japonaise de l’après guerre qui est loin de cette vision nationaliste dans l’œuvre romanesque de ses compatriotes. Ces romans glorifient l’image d’un pays qui renaît de ses cendres et d’un Japon vainqueur malgré la défaite.
Pour Adel Kedher, le roman de Haruki constitue un nouveau tournant romanesque dans la littérature japonaise d’un auteur habité par un monde surréaliste qui puise dans l’idéologique des grands auteurs, comme le britannique Gorge Orwell par qui il a été très influencé.
Romancier, nouvelliste, traducteur, essayiste et journaliste, Haruki Murakami est un auteur culte et un rebelle qui adopte un mode de vie traduisant la profondeur de son âme. Cependant, il était condamné par ses pairs nippons pour son approche littéraire qui met la dignité de l’être au coeur de son œuvre. Sa fascination pour la langue de Shakespeare et la littérature américaine est aussi sujette aux reproches.
Son engagement humain n’est pas à démontrer, notamment, après son fameux discours à Al-Qods occupée en février 2009 alors qu’il recevait le prestigieux prix pour la liberté de l’individu dans la société. L’auteur avait ouvertement condamné le recours à la violence dans les territoires palestiniens. A cette époque, une offensive a été menée contre la bande de Gaza.