La Tunisie a un nouveau président. Il est «clean», au propre comme au figuré. Il promet, à défaut d’une République exemplaire, d’un pays débarrassé de toute forme de corruption, “un Etat de droit”. Il s’appelle Kaïs Saïed.
Nous somme lundi 14 octobre 2019. Les Tunisiens se sont réveillés avec un président tout neuf, propre comme l’eau de roche, et par-dessus tout un professeur de droit à la retraite. En la personne du professeur Kaïs Saïed.
Mais avant d’arriver là, il avait sillonné le pays et rencontré de jeunes et moins jeunes et leur a «vendu» l’idée d’une nouvelle façon de gouverner la Tunisie. Et ça a plu au-delà même du cercle des jeunes, en tout cas si l’on regarde son score et les tranches d’électeurs qui l’ont porté au pouvoir ce dimanche 13 octobre à l’occasion du deuxième tour de la présidentielle (73,4% de femmes; 79,2% d’hommes; et par tranches d’âges : 18-25 ans : 90%; 26-44 ans : 83,8%; 45-59 ans : 68,2%; plus de 60 ans : 49,2%).
Ce matin du 14 octobre 2019, dans la bouche de ceux qui ont voté Kaïs Saïed, on entend : «avec Kaïs Saïed, c’est une République exemplaire» ; «avec Kaïs Saïed, c’est l’Etat de droit assuré» ; «désormais la corruption ne passera pas»…
En revanche, les électeurs de Nabil Karoui se disent déçus parce qu’ils ne vont pas “manger de langoustes” ou autres “crevettes” comme ils espéraient s’il avait été élu président de la République.
Mais cela dit en passant, c’est inquiétant que les jeunes, qu’on pouvait penser munis d’un certain bagage intellectuel “critique”, puissent se faire convaincre si rapidement voire si aveuglement et naïvement. C’est à la limite très inquiétant aussi bien pour nous Tunisiens que pour l’étranger…
En effet, lorsqu’ils sont revenus en Tunisie en 2011, les gens d’Ennahdha avaient promis aux Tunisiens une prospérité comme celle qui existerait en Turquie. On connaît le résultat. Alors voir aujourd’hui des jeunes et des moins jeunes penser qu’un homme, fût-il un spécialiste de droit, soit capable de changer la Tunisie en “bien”, c’est faire preuve de naïveté…
Mais entre ces «deux Tunisie», il y en a une 3ème, celle réaliste et qui se dit que ni Kaïs Saïed ni Nabil Karoui ne peuvent changer la donne économique et sociale du pays. La faute sans doute à la Constitution de 2014. Et à notre avis, si on mesure dans quelques mois ou dans un an le bonheur dans notre pays, il ne sera pas étonnant qu’on trouve dans cette frange-là le plus grand nombre des Tunisiens les plus «heureux». Au contraire, les électeurs de Kaïs Saïed seront les plus «malheureux». Car entre promesse et réalité -surtout en politique-, il y a souvent un océan.
Et c’est pour cette raison qu’un rappel explicatif s’impose. Selon la Constitution tunisienne de janvier 2014, le président de la République n’a aucune prérogative en matière de lutte contre la corruption. Il n’a pas non plus de prérogative lui permettant de «décréter» la croissance. Il n’a pas de compétence en matière sociale. Il ne peut pas former le gouvernement, donc il ne peut pas révoquer un ministre…
Après ce rappel, nous mettons donc en garde celles et ceux qui essaient de nous «fabriquer» un futur petit dictateur en voulant pousser le nouveau président de la République à agir en dehors du périmètre tracé par la Constitution. D’ailleurs, partout dans le monde, c’est ainsi qu’on se fabrique des dictateurs, qu’on pousse à violer la Loi fondamentale.
Et là nous disons halte, ligne rouge !